Correspondance

Retour au sommaire - BIPP n° 24 - Décembre 1999

Dr Olivier SCHMITT (Niort) :

De la protection du colloque singulier entre professionnels de l'intime et leurs clients(1)

L'agressivité des socialistes vis-à-vis des professions libérales(2) s'exprime de diverse manière ces derniers temps. Sans doute les assimilent-ils au libéralisme sauvage et ces professionnels à des escrocs avides de pouvoir manipulateur sur des individus fragilisés par leurs difficultés, et dont le but serait essentiellement vénal. On peut leur souhaiter de ne jamais être en nécessité d'y avoir recours. Le dernier exemple est l'obligation qui leur est faite, dans l'article 57 de la nouvelle loi de finances, de communiquer les noms de leurs clients à l'administration fiscale dans le but avancé -but alibi sans doute -de mieux contrôler la fraude fiscale.

Alibi inconscient, n'en doutons pas, mais alibi en cela que la mesure est absurde pour deux raisons :

-Le fait de donner les noms des gens déclarés créditeurs n'empêchera en rien une part de travail au noir qui demeurera insu. Alors que l'exigence de fournir un coupon, un reçu à tout paiement serait, elle, véritablement dissuasive;

-La nécessaire discrétion autour de ces activités concernant l'intimité de la personne humaine trouvera des échappatoires bien plus péjoratives à partir du moment où elle sera sujette à répression. Cela favorisera les activités clandestines et donc une absence de contrôle possible en ce qui concerne la compétence et l'honnêteté de ces professionnels bref, le charlatanisme en ce domaine.

La bureaucratisation de la société, avec tous les fichages qui en découlent, fait le lit des pratiques mafieuses (voir l'évolution de la Russie) et met en danger des pans entiers de la population si par malheur le pouvoir vient aux mains de politiciens sans vergogne (voir ce qui s'est passé aux Pays-Bas lors de la deuxième guerre mondiale).

Il me semble qu'il est grand temps de remettre à l'ordre du jour la protection de l'intimité de l'être humain et de reconnaître l'importance du respect que doit l'État à la déontologie des professionnels de l'intimité.

1 Médecins, avocats, psychanalystes etc. toutes ces professions ont le devoir de respect absolu de discrétion, de secret et l'obligation de pratiquer en dehors de contrainte institutionnelle pouvant nuire à leur indépendance et ainsi préserver le colloque singulier avec leurs clients de tout conflit d'intérêt.

2 De conviction socialiste moi-même il ne s'agit pas ici de critique politicienne.

 

Dr Anne-Marie VAN TORHOUDT-KERVRAN (Vire) :

J'ai été quelque peu surprise par le déroulement des récentes journées des psychiatres privés cette année à Marseille. Le sujet était passionnant et collait parfaitement à nos préoccupations quotidiennes, et pas seulement sur le plan théorique.

Voici quelques réflexions: comment a-t-on pu aborder un tel sujet sans que ne soit soulevée -je ne l'ai entendu à aucun moment -la question des fonctions parentales spécifiques de la mère et du père, singulièrement de cette fonction paternelle si problématique dans nos sociétés modernes ? Je ne suis pas sûre non plus qu'il soit admissible et je ne pense pas qu'une telle question ait été envisagée : que tout mode de reproduction humaine médicalement assistée soit souhaitable à partir du moment où il est possible techniquement et admis juridiquement ? (la place du juridique ?) N'avons-nous pas dans notre fonction à dire que la médecine n'a pas à répondre toujours systématiquement oui à toute demande du patient, comme si cette demande était le désir même du patient. N'y aurait-il pas lieu souvent de se demander si la réponse affirmative à toute sorte de demande du patient ne cache pas bien mal le désir de toute puissance du médecin ?

De façon plus terre à terre, je n'ai pas apprécié que le travail des ateliers se réduise à l'écoute d'orateurs passionnants certes...mais les limites de temps faisaient que l'atelier s'arrêtait quand l'exposé était fini.

Je terminerai ces quelques remarques sur une question très pragmatique: je voudrais savoir qu'elle est la position du Syndicat sur le problème de la F.M.C., si cette formation me paraît bien sûr devoir être continue. Il me paraît néanmoins nécessaire que nous en soit assurée la maîtrise des thèmes et du contenu.

Dr Michel PRADÈRE (Hagondange) :

Cher SNPP

Tu fais ton travail de syndicat et je ne saurais t'en blâmer. Tes protestations doivent emporter l'adhésion de bien des confrères. Il faut un type bizarre dans mon genre pour trouver à y redire, pour surenchérir sur le" ménage" dont parle Krivitsky, pour retrouver la très lacanienne argumentation de Comuault sur nous-mêmes. Car je ne suis pas du tout d'accord avec tes arguments.

Tu ironises sur " les thérapeutiques qui devraient être cadrées dans leur durée et leurs effets... être mesurables et quantifiables ".Et pourquoi pas ? On le fait bien avec les psychotropes! Ne me rétorque pas que ce n'est pas la même chose: dans les deux cas, il s’agit de jauger le patient avant et après. Comment se fait-il que nous n'ayons pas mis un point d'honneur à vérifier l'effet de nos interventions, et que ce soit la Sécu qui nous y oblige: ne trouves-tu pas ça suspect ? Moi si, et nous poser en défenseurs de la lutte contre la souffrance psychique me paraît tendancieux. Nous avons certes de bonnes intentions, mais tu sais qu'elles pavent l'enfer. Que dirais-tu à un labo te présentant son produit ainsi: " On ne peut le tester car il y a trop de paramètres, l'évaluation n'est pas au point, mais il est certain qu'il agit en profondeur, à la véritable source de la maladie, même s'il l'aggrave les premiers temps " ? Refrain sempiternel des psychothérapies actuelles.

Tu sais aussi que l'on accorde une efficacité identique pour toutes les psychothérapies, toutes théories (mais pas tous praticiens) confondues. Mais cette efficacité est limitée à un an. Pourtant, nous dépassons largement cette durée: n'y a- t-il pas " énorme gaspillage " ?

Les psychothérapies peuvent être brèves et efficientes, mais il faut les chercher. On en trouve dans tous les genres: les PIP (Gilliéron les recense dans ses bouquins), les TCC et la Systémique brève de Watzlawick. Je ne te cache pas ma préférence pour cette dernière, mais chacun ses goûts.

Ne pas vous évaluer fait de nous des " idéologues " (dixit Popper, mais il dit trop de choses gênantes) et sûrement pas des médecins. De plus, notre épistémologie semble sérieusement dater avec son " énergie " psychique, sa psycho " dynamique " (c'est du Newton !), sa causalité linéaire. Edgar Morin affirme que nous attendons notre " révolution copernicienne ".En clair, il nous traite de moyenâgeux!

D'après toi, nous bénéficierions d'une " formation approfondie à la relation ". Tu plaisantes! Je ne jette la pierre à personne, mais j'ai pas mal traîné mes guêtres en province et à Paris, je n'ai jamais vu de supervisions de cas. on ne m’a jamais appris à reconnaître une relation symétrique ou complémentaire, une position haute ou basse. On ne m’a jamais décrypté pas à pas la sémiologie de la communication, on ne m'a jamais conseillé de lire Bateson ou Palo Alto. Tu dois confondre avec le transfert, qui n'a pourtant pas grand-chose à voir.

Tu t'enorgueillis du beau nom de " psychiatre " : mais ne vois-tu pas comme les patients en ont peur, de ce nom, et viennent nous voir souvent trop tard ou jamais à cause de lui ? Pourquoi ne l'avons nous jamais changé, alors que l'HP l'a fait 4 fois en trente ans, et c'était bien moins justifié ?

Pourquoi dire que l'État doit payer? Ce n'est pas Aubry qui va sortir le fric de sa poche, ce sont les cotisants, et ils ont le droit de ne pas le jeter par les fenêtres. Cela fait 20 ans que je m'étonne de sa tolérance envers nos pratiques. Vivent les restrictions financières si elles nous contraignent à plus de rigueur, d'efficience, de science (oui, de science), si elles mettent fin au système actuel qui nous paye à l'heure et nous pousse à la consommation. Plus on échoue, plus on gagne: est-ce logique ?

Mais tu vas penser que je déconne, et tout est peut -être pour le mieux dans le meilleur des mondes psychothérapiques. Mon discours est sûrement syndicalement incorrect et bien sûr impubliable dans un BIPP défenseur de nos bons droits à nous, bons psychothérapeutes.

Toutes mes amitiés quand même,

Mais si, mais si, cher psychiatre. je te publie, même si tu n'es pas " dans la ligne " (ce dont tu parais convaincu) et même si tu n'es pas (encore) adhérent chez moi. Le BIPP n’est pas l'évangile. ni une plaquette publicitaire, ni un instrument d'auto apologie. mais un support d'expression qui admet très bien la contradiction. Je ne doute pas que d'autre.\" voudront te répondre -tu les/ouailles assez pour cela. C'est la controverse (même si elle ici sévère) qui m'a permis souvent de progresser dans l'analyse. ne serait-ce qu'en m'obligeant à affûter mes arguments.
Bien cordialement,

SNPP

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