Traumatisme et symptôme : point de vue

Jacques Louys
Retour au sommaire - BIPP n° 51 - Avril 2008

Dans un fait clinique réactionnel, notre conception du psychisme doit nous permettre d’articuler sans pour autant les séparer complètement les deux processus suivants :

  • Un événement de vie provoque chez quelqu’un un effondrement des régulations homéostatiques du psychisme et réalise une véritable effraction traumatique sans qu'apparaisse pour lui apparemment une possibilité de métabolisation et d'apaisement.
  • La même sorte d'événement peut engendrer chez un autre l'échec de l'utilisation habituelle d'un mode de défense entretenu par refoulement dans un ou plusieurs registres psychiques ; cela va provoquer chez lui un retour du refoulé sous forme du surgissement forcé et douloureux de symptôme(s) incompréhensible(s).

1 ) En effet, lorsqu’un fait clinique persistant apparaît comme traumatique, secondaire à une atteinte importante, à un effondrement plus ou moins complet des équilibres délicats des fonctions contraires inhérentes au psychisme, devant la persistance de la reviviscence de la scène traumatique, le clinicien doit se poser la question : Pourquoi cette blessure ne cicatrise-t-elle pas ? Pourquoi le refoulement ne résorbe-t-il pas l’imprévisible atteinte fonctionnelle ? Le traumatisé, dans sa persistance à rester sous le coup du trauma, ne présente pas de symptôme conçu comme retour du refoulé car il ne peut/veut plus revenir à un fonctionnement psychique basé sur les modes de défense qui n’ont pas tenu le coup dans le choc rencontré. Le traumatisé résiste justement à ce retour à la situation antérieure en continuant à être un “traumatisé”, en utilisant l’effondrement traumatique à cette fin, en y stagnant. Plus la personne s’obnubile sur son trauma — hors jeu du lieu et du temps présent —, plus elle cherche à pousser le clinicien à croire qu’elle est incapable de refouler et ne peut donc que rester une pauvre et complète victime des circonstances.

2 ) D’une autre manière, lorsque quelqu’un “symptomatise” sans cesse et ne peut/veut pas remettre en question son fonctionnement psychique dysharmonique et déséquilibré résultant de l’utilisation habituelle du refoulement, on est amené à considérer en clinique qu’il ne peut/veut plus aborder le côté traumatique de son existence. Il réduit, par exemple de façon névrotique, le conjoncturel et le moment du traumatique à un élément de fantasme. L’oubli du réel est corollaire du refoulement, quels que soient l’aspect et la manière de celui-ci. De continuer, de façon répétitive et monotone, d’être pervers, névrosé, autiste, dépressif, etc. est sa manière de mettre sa volonté au service de son incapacité d’aborder facilement le “trauma” et l’imprévu avec les capacités d’adaptation que cela nécessite. Du coup, cette difficulté est considérée et présentée par lui comme foncière, comme totale et irrémédiable. Il oublie par là ses oublis en quelque sorte. Le clinicien tombe dans le piège tendu s’il se met à y croire lui aussi, à se dire par exemple : le Réel n’est pas la réalité, on n’a pas accès au Réel qui est toujours hors du monde représentatif de l’être humain. Alors qu’il ferait mieux de considérer que nous avons accès à un réel limité, que notre réalité humaine est un réel limité, réduit à cause de nos filtres transducteurs inconscients. Ce n’est pas un en deçà du Réel. On ne fonctionne pas psychiquement hors du lieu et du temps réel. Le psychisme utilise des bouts du réel en les actualisant, en révélant leurs potentialités articulatoires mais le réel n’est pas un au-delà inaccessible, un Réel philosophique avec un grand R.

Opposer ainsi ce qui serait chez certains "traumatisés", avec son absence foncière de refoulement, de ce qui serait chez d’autres "refoulement" chronique et indépassable à la source du symptôme, est se mettre dans l’incapacité de prendre en charge et de traiter les problèmes psychiques des personnes.

S’il échappe au piège tendu par un traumatisé, le clinicien doit, sans nier la difficulté de la personne choquée dans des circonstances et moments particuliers, arriver à l’interpeller ainsi : d’accord, vous avez des difficultés à oublier mais vous vous ingéniez aussi à croire ces difficultés complètes, comme si vous n’aviez jamais connu un état préalable, comme si vous n’aviez pas de passé ni d’avenir. À faire cela, quelle est alors votre recherche ? Ne voulez-vous pas vous apercevoir que la danse psychique nécessite un choix des éléments retenus pour danser et qu’un choix n’est pas un refoulement calamiteux ? Que cela ne vous empêchera pas de vous adapter quand même aux circonstances !

Le traumatisé sera considéré ainsi comme quelqu’un qui redoute trop le refoulement, comme quelqu’un qui doit rester sans cesse dans l’insupportable sous peine de ne plus être jamais capable de s’adapter à l’imprévu.

Par contre, avec quelqu’un ne voulant pas sortir du refoulement et du symptôme, avec quelqu’un ne voulant plus jamais se confronter au réel si insupportable, le clinicien doit pouvoir l’interpeller sur son refus de considérer que la joie de vivre existe. Il doit lui témoigner que la réalité n’est pas d’abord traumatique et souffrante malgré ce que le “symptomatisant” a pu tirer de son expérience de vie et qu’il voudrait absolument oublier. Il devra lui dire que la jouissance de vivre nécessite une utilisation du réel même si elle n’est que partielle, que cela lui permettra justement de supporter les inévitables blessures de la vie qu’il peut encore rencontrer.

Être thérapeute consistera donc à amener le traumatisé scotché à l’événement effroyable, à décoller du pont de son bateau une fois la tempête passée pour regagner une cabine plus vivable. Ce sera aussi considérer avec le symptomatisant qu’il n’est pas condamné aux fers, que la résilience n’est pas réservée à une élite mais qu’il peut toujours arriver à sortir de son fond de cale et voir de nouveau le soleil.

Conclusion

Le clinicien doit apprendre à être prudent quand quelqu’un se présente à lui comme un traumatisé ou comme un symptomatisant. Car, coller à la clinique revendiquée, l’entériner, lui ferait perdre aussitôt ses capacités de thérapeute. Il persisterait alors lui-même dans l’éternité de l’indépassable du traumatisme ou dans la répétition monotone et stérile du symptôme.

Bien sûr, cela lui donne dans ce collage au patient la possibilité de créer des tableaux cliniques particulièrement complets et immuables, “caractérisés”, c’est-à-dire suffisamment congelés et stables pour qu’il puisse les travailler à coup de statistiques vérifiables sur de longues périodes. Mais en satisfaisant les épidémiologistes de la Santé mentale et les utilisateurs du DSM/CIM, il choisira de devenir parjure en renonçant dans les faits à soigner les souffrances qu’il aura démontrées !

Jacques Louys
Haguenau

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