Télétransmettre ou ne pas télétransmettre ?

Jacqueline Légaut
Retour au sommaire - BIPP n° 59 - Juin 2011

Depuis bientôt 12 années, la télétransmission est obligatoire pour tous les médecins. La CPAM avait envisagé récemment de faire payer aux médecins récalcitrants les feuilles de soin à hauteur de 50 centimes par feuille non télétransmise : cette sanction a été jugée anticonstitutionnelle par le Conseil d'État, elle n'est donc plus d'actualité.

Notons cependant que, malgré les pressions et les menaces de sanctions réitérées, 55% des psychiatres ne télétransmettent toujours pas les feuilles de soin, et notons par ailleurs que ce chiffre est tout à fait spécifique de la corporation des psychiatres, les autres médecins télétransmettent beaucoup plus.

Quelle est la position du SNPP à ce sujet ?

Nous encourageons le maximum de résistance à cet ordre de télétransmettre. Pourquoi ? Chacun d'entre nous peut vérifier sur « l'espace pro » de ameli.fr, que l'utilisation de la carte vitale d'un patient nous informe immédiatement de ses différentes consultations, prescriptions, examens effectués, et ceci sans que nous ayons besoin de le lui demander. Le patient est littéralement court circuité dans ce processus et la relation thérapeutique est forcément mise à mal puisque, à la limite, on s'en passe !

Par exemple il est bien différent d'apprendre, par l'utilisation de sa carte vitale, que le patient est allé demander un autre avis à un collègue ou de l'apprendre parce qu'il a décidé de nous en parler ce jour-là, à ce moment-là, alors qu'il était question de ceci ou cela, et que cette information est alors tricotée dans la relation thérapeutique ...

D'autre part, la feuille de soin n'empêche pas la transmission des informations dans le dossier du patient, mais cette transmission n'est pas de notre fait. C'est là aussi une différence notable.

Nous ne sommes pas sans savoir que ce qui commande tout ce processus n'est rien d'autre que le pouvoir des groupes financiers qui, via les mutuelles etles assurances privées et tout le processus d'informatisation, grignote sans cesse davantage notre marge de liberté. Tout va dans le sens de leur donner toujours plus de pouvoir : qu'il s'agisse d'envisager un traitement plutôt qu'un autre, qu'il s'agisse de choisir un médecin plus accommodant des exigences de ce pouvoir financier plutôt qu'un autre, qu'il s'agisse de l'éligibilité à un crédit immobilier quand l'assureur du prêt appartient au même groupe que l'assurance de santé (c'est souvent le cas des banques qui proposent des « packs assurantiels ») ou encore, qu'il s'agisse des effets du coût des mutuelles en fonction de l'état de santé du patient, etc.

Rien ne nous oblige à obtempérer aux exigences d'un système financier dont nous récusons à toute force la logique exclusivement féroce qui fait fi de toute forme de solidarité. Nous l'observons sans cesse dans l'amoindrissement des remboursements de la Sécurité sociale, dans l'augmentation des franchises, etc.

Avoir conscience de ce processus nous paraît important, y compris dans la façon dont nous en  tiendrons compte dans la relation thérapeutique, notamment de notre côté, en expliquant à l'occasion au patient, mais aussi en nous incitant à être dans une position subjective plus active sans nous contenter de subir les aléas d'un système qui nous dépasse.

Nous sommes bien placés pour savoir que lorsque nous sommes plus actifs et vigilants sur ces questions, notre façon d'écouter le patient n'est pas la même que si nous nous résignons à supporter sans broncher des diktats résolument contraires à notre éthique.

C'est pourquoi nous vous invitons à résister autant que possible, chaque fois que vous le pourrez.


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