L’enfant extradé

Liliane Irzenski
Retour au sommaire - BIPP n° 63 - Décembre 2012

La loi du 11 février 2005 en décrétant l’intégration de tous les enfants dans les écoles de la République, crée paradoxalement les MDPH, et opère ainsi, pour ceux présentant des difficultés psychiques passagères ou même plus graves, une stigmatisation catastrophique sur le plan humain. En 1990, la France ratifiait la Convention internationale des droits de l’enfant. Or, depuis 7 ans, cette loi de 2005, censée répondre aux besoins d’aide réels des enfants scolarisés en maternelle, en primaire ou au collège, les frappent du sceau d’Handicapé.

Soulignons cependant l’intention sans doute bienveillante de cette loi de 2005, tant les lieux de ségrégation peuvent faire honte aux valeurs républicaines et démocratiques et faire violence, à ce que nous appellerons ici, le principe d’excédence de la vie. Mais, cette préoccupation politique légitime d’intégration de tous, de valeur réellement symbolique et respectueuse, nous donne aussi à penser qu’une loi peut venir marquer les enfants, par un signifiant différentiel péjoratif homogène au processus de discrimination qu’elle voudrait interdire.

« Le marquage des individus est de l’ordre d’une prétention imaginaire et donc aussi une prétention de savoir prenant pouvoir sur ce qui est l’autre. Ce pouvoir technique du marquage des frontières et des différences n’est pas sans rappeler la folie des critères que les extrêmes nationalismes mettront toujours en jeu afin de délimiter, d’inclure ou d’exclure des populations entières ». Cette loi de 2005 viendrait par surcroît légiférer sur ce qu’il en est de l’ordre de la différence, en dégradant la dimension et le caractère symboliques de cette notion de différence par un marquage discriminant. Pour nous, ce marquage risque d’obturer ou de geler, de façon irréversible, les possibilités de tissage d’une reconnaissance et d’une pensée de l’altérité, des coordonnées qui préexistent au seul véritable apprentissage fondamental qui soit, si laborieux à conquérir pour tout un chacun, dans sa mise en jeu sociale de citoyen : la reconnaissance de l’autre semblable en tant qu’autre radical.

Entre la Loi universelle – celle où le sujet se confronte à la Loi symbolique de l’Autre, instance de nomination c’est-à-dire de séparation, par qui la castration nous permet de supporter la rencontre avec l’incomplétude et de s’assumer endetté –, et la loi du particulier où le sujet est soumis au pur caprice d’un système économique où le tiers est exclu, nous rencontrons le risque extrêmement incisif d’une substitution qui s’acharne à rabattre le rapport à l’Autre symbolique sur le petit autre imaginaire, en les confondant.

La langue d’un enfant est d’abord celle qu’on lui parle ; très tôt, les enfants entendent si celles et ceux de leur entourage trichent avec les lois du langage. Ils peuvent alors prendre l’option de se débattre avec cette tricherie en fabriquant des symptômes qui sont toujours des appels vers autre chose, pour donner à entendre les signifiants déterminants leur posture étonnante ou dérangeante et l’impact d’un Réel non symbolisé. Les points de surdité perçus chez ceux vers qui ses appels sont adressés peuvent le mettre en danger d’une rupture de lien avec lui-même et donc avec les autres.

Les enfants sont donc pris aujourd’hui en otage dans des préjugés attisés par des peurs. Or nous vivons tous aujourd’hui dans la peur, plus ou moins sourde, d’un effondrement qui a déjà eu lieu, mais dont on voudrait néanmoins se déprendre en projetant sur la jeunesse la violence injurieuse que l’on lui inflige.

« Pourquoi, se demande l’écrivain Annie Lebrun, le temps, de se reconnaître dans leur désir, de se le formuler, n’est plus donné à certains enfants qui se retrouvent, prématurément, par les voies des discours normatifs, révoqués, avant même d’avoir pu chercher et parcourir leur propre chemin, avant d’avoir pu donner sens à leur différence et accueillir la vie comme elle vient, pour continuer à s’y aventurer à leurs risques et périls ? ».

Pouvons-nous souscrire à ces pratiques qui consistent à étiqueter l’enfant, par le signifiant handicapé lorsque cet enfant exprime sa lutte ou ses résistances pour signifier que son insertion familiale ou sociale lui est douloureuse ou problématique ? Son symptôme serait-il créé en pure perte ?

« Pourquoi l’Éducation des enfants, n’est-elle plus une invitation à désirer le monde et devient un apprentissage sous la menace ?». Croyons-nous vraiment l’encourager à étoffer sa capacité d’initiative et de compréhension, à trouver ses propres repères pour construire sa légitimité à penser par lui-même, si ne lui est pas offert par don d’accueil et de tendresse, cet espace vital nécessaire pour entendre comment l’histoire des autres se déplie dans sa propre histoire ? Comment ce qui peut nous lier, est aussi ce qui nous sépare ? Comment la vie est creusée par l’absence qui construit en nous, le lieu d’où jaillira notre désir ? Comment chacun appartient à l’unique espèce vivante qui rend présent ce qui n’est pas là, pour en fabriquer des objets de pensée ?

Étiqueter un enfant en tant qu’handicapé, représente alors un excès ou un abus de langage, un forçage de la langue pour porter atteinte à d’autres sujets appréhendés, plus petits ou pas assez grands, ignorants ou pas assez instruits, pauvres ou pas assez riches, fragiles ou pas assez forts, marginaux ou pas assez insérés… et, aussi paradoxale que cela puisse paraître, ne méritant pas d’être pris en compte à valeur égale ! « Quand nous nommons le soleil, nous ne faisons pas autre chose que désigner l’astre qui nous éclaire, nous ne disons rien sur ce qu’est la lumière »; quand nous nommons un enfant handicapé, nous ne désignons rien d’autre que son comportement en voulant ignorer sa langue d’enfance et la nôtre. Parfois l’enfant en primaire ou au collège n’est plus nommé par son nom patronymique mais désigné par l’acronyme MDPH ! Et quand bien même cet étiquetage aura été supprimé, il continuera néanmoins à rester collé à l’enfant, par la parole des enseignants ou des directeurs d’établissement…!

Ainsi pour les enfants qui expriment dès l’école maternelle, une inadaptation aux autres, aux rythmes, aux consignes, aux apprentissages, l’État ne vient offrir à leurs parents qu’un droit à compensation. Ce droit monnayable n’implique pas un véritable droit puisque l’enfant restera enfermé dans le symptôme sociétal dans lequel son symptôme se monnaie. N’avons-nous pas à prendre très au sérieux, le constat paradoxal que trop nombreux sont les enfants auxquels on ne concède le droit de rester à l’école, autrement qu’avec cet « estampillage » d’handicapé afin de leur attribuer dans la classe et à temps partiel une auxiliaire de vie scolaire (AVS) sans aucune formation, ou une classe à petit effectif d’inclusion scolaire (CLIS) où il manque tant d’enseignants volontaires ? Cette indexation de l’enfance au handicap mental renvoie chacun au symbole invalidant du fauteuil roulant. Il atteste de la violence toujours si dépersonnalisante du déni ; car le déni de la dimension analysable et transitoire des difficultés à se construire, quelqu’en soient leurs formes, est toujours moteur pour avaliser cette croyance que l’inconscient n’existerait pas ou que parler à d’autres pour penser serait à proscrire !

Les parents qui viennent nous parler au CMPP au sujet de leur enfant ne viennent pas demander une psychanalyse ; ils s’adressent à une institution pour faire entendre une demande d’aide. L’aide ne deviendra effective que si le thérapeute auquel ils s’adressent peut prendre en compte la réalité psychique de l’inconscient structuré comme un langage, et s’ils peuvent en accepter, grâce au transfert, l’effet d’entame.

Les parents se plaignent de leur enfant bien plus souvent qu’ils ne peuvent s’en étonner ou s’en trouver questionnés. Démunis bien souvent sur beaucoup de plans, ils n’en sont pas moins profondément affligés et piégés par la violence de l’inconcevable, que ces procédures d’objectivations protocolisées représentent pour eux et leur enfant, quand celui-ci se retrouve marqué par ce signifiant handicapé. Ils sont embarqués à devoir eux-mêmes demander à un médecin, un certificat attestant le soi-disant handicap de leur enfant et ce, sur la demande gênée, pour le moins des directrices ou directeurs d’école. Si les premiers entretiens permettent d’engager pour l’enfant et/ou ses parents, une mise en mouvement de la pensée, en restituant à la parole son pouvoir de créer de nouveaux liens et de nouveaux écarts, ce leitmotiv conjoncturel initial, qui condense un grand nombre de plaintes parentales : « ne pas arriver à gérer cet enfant qui ne travaille pas » cessera d’astreindre parent et enfant à l’ordre insensé d’une norme !

Cette mise au travail viendra ré-agencer l’impact des signifiants trans-générationnels en les dénouant de ceux produits par les discours normatifs ou répressifs. Car, « discours s’oppose à parole ». Symboliser ce marquage opérera une re-trouvaille avec cet allant de vie, après le temps de la dispersion ou de la sidération. Mais les lieux comme les CMPP sont bien loin de pouvoir recevoir tous les enfants et leurs parents souffrant de cette stigmatisation. Depuis plus de trente ans que je reçois des familles et leurs enfants, j’ai entendu comment les pressions, de plus en plus tenaillantes, à la consommation rencontraient l’impossibilité de plus en plus angoissante de trouver un travail ou une place sociale pour les parents. « Dé-penser pour ne pas penser » vient participer à l’engluement de beaucoup d’enfants, dans leur place initiale d’objet, rivé à s’imaginer responsable de tous les maux des adultes tutélaires ou à devoir les soutenir, à leur corps défendant.

Quelles autres alternatives les professionnels de l’enfance peuvent-ils encore vouloir initier, avec l’aide des parents, si souvent disqualifiés, dans ce monde qui laisserait entrevoir un futur sans avenir pour cette jeunesse tenue responsable de le rejeter alors qu’il ne lui consent guère de contenants ou de place ? Ne sommes-nous pas requis, bien plus qu’invités, à ne pas cesser d’affirmer et de transmettre, de notre place d’autorité que confère l’écoute analytique, de notre place de garant de la Loi symbolique, les enjeux politiques de notre travail et la lecture que nous en élaborons. En questionnant les modalités singulières d’ancrage symbolique, propres à l’humanité du sujet, et en les articulant au contexte social et politique contemporain, les psychanalystes qui reçoivent des enfants partagent avec eux une perplexité de plus en plus profonde sur l’étrangeté du monde. L’exercice de la psychanalyse est une pratique politique qui subvertit les processus d’aliénation, de subordination et d’exploitation. Nous déplorons qu’à ce jour, trop peu de nos confrères se soient engagés auprès d’autres professionnels de l’enfance ou du soin, dans les nombreux collectifs créés ces dernières années, pour dénoncer et proposer d’autres voies à ce conformisme d’État.

Ces glissements sémantiques, communiquer (et non pas parler), gérer (et non pas vivre avec ou accompagner), travailler (et non plus apprendre ou étudier), outils (alors qu’il s’agit d’assignations) et maintenant, handicapés pour parler des enfants qui nous interpellent avec leurs difficultés : tous ces mots nous parlent de nouvelles dispositions abrasives de la pensée, d’un bouleversement de la sensibilité qui extorque l’intime, et qui impose une vision de plus en plus rationaliste, visant à mettre hors circuit ceux que l’on prétend vouloir aider. Tous les professionnels de l’enfance, en choisissant de se placer à l’écoute des enfants, savent ou devraient savoir comme l’écrit si bien Pascal Quignard que « Naître ne connaît pas de fin » et qu’ils ne peuvent pas oublier que parler nous place toujours à côté de ce que l’on veut dire. Se laisser traverser par l’équivocité de la parole, c’est accepter d’en témoigner auprès des enfants et leur transmettre les nombreuses significations en rien réductibles à un sens unique. Les assurer qu’ils ont bien entendu cette équivocité de la parole, c’est leur apprendre qu’elle peut prêter à toutes les fantaisies imaginaires, mais aussi à tous les malentendus symptomatiques, à toutes les confusions délétères.

C’est s’interdire, dans l’exercice de sa fonction, d’épingler un enfant dans une catégorie à partir de son vagabondage gestuel ou verbal et refuser de l’identifier à son symptôme. Par quoi l’enfant pourrait-il tenir dans le monde, s’il ne rencontrait plus les passeurs que devraient être les parents et les professionnels de l’enfance, responsables d’une fonction d’attention qui consiste à respecter sa temporalité et sa subjectivité, sa créativité et sa poésie ? L’inquiétude portée à la déliquescence de l’Autorité de l’Autre symbolique, remet en cause la fonction de référence qui représente le point d’appui du sujet pour se construire.

Comment un enfant peut-il espérer construire sa place, sa singularité désirante à partir des lois du langage si les pratiques pédagogiques et soignantes sont soumises à des dérives autoritaires, à des fins normatives lorsqu’elles piétinent son irréductibilité singulière et entravent l’imprévisibilité de sa vie ? Si, aux angoisses des parents, viennent se surajouter les aberrations d’un système capitaliste sécuritaire qui jouit de ses crises en ne cessant pas de vouloir nous décérébrer avec les peurs qu’il fabrique ? Si le regard surmoïque qui évalue vient supplanter la perplexité ou la radicalité de l’entendement ? Cette prévalence du regard qui scrute ou de la voix qui invective, orchestre dénis, rejets et forfaitures alors que « nous vivons dans l’oubli de notre métamorphose » et que nous passons notre vie à refouler les contradictions de l’inconscient. Devons-nous adhérer à cette idéologie malsaine d’un système anonyme dont la puissance politique et économique prétend devoir sa supériorité à ses mérites lors même qu’elle les doit à la ruse, au hasard, au pouvoir de l’argent ou du mensonge ?

Cette inflation de discours légiférant engendre un surcroît d’insécurité éprouvante. L’insécurité qui électrise les enfants ou les rend absents à leur vie, n’est pas seulement nouvelle, elle ne cesse de se déployer à la puissance haine. Et Bernard Golse se demande si la haine dont sont objets les enfants actuellement, ne viendraient pas de la haine des adultes pour l’enfant qu’ils auraient eu peur d’avoir été ? La promesse d’aide réelle édictée par cette loi n’est pas tenue faute de moyens pour s’y tenir. Si restrictions budgétaires il y a, quid des constructions d’internats d’excellence ou des prisons pour mineurs… ? Ce manquement politique et éthique à la parole donnée, ferait écho au temps où l’infans pose un jour, cet acte irréversible de se déprendre, du moins partiellement, de la sensorialité de son univers maternel. En entrant dans la langue par désir, il en attend un effet d’inscription prometteur d’échanges humanisants.

S’il n’en reçoit pas le minimum de retour symbolique escompté, son destin s’en trouvera infléchi à ne pas pouvoir accéder à la dimension métaphorique du langage. La formulation de Christian Hoffman, l’infantile, c’est la politique d’aujourd’hui condense notre lecture des effets de cette loi, tout en faisant écho à celle de Winnicott nos politiques souffrent d’infantilisme. Nombreux sont encore les enseignant(e)s et les référents MDPH qui luttent pour exercer leur métier de façon responsable et respectueuse. Mais il devient de plus en plus difficile de s’écarter des directives injonctives qui dénaturent leur métier et leur éthique.

Ces prescriptions arbitraires voudraient les métamorphoser en diagnostiqueurs précoces, asservis qu’ils s’éprouvent, à devoir participer, à leur corps défendant, à cette saloperie consensuelle. En effet, malgré ces mouvements de résistance épuisants, la tendance qui tend à nous marquer durablement est de constater, devant le refus obstiné d’accorder des moyens, qu’il faille composer avec ces feintes et ces traquenards pervers. L’État soumet tous les enfants à ses grilles d’évaluation et cette traque du « défaut » humain à l’école se monnaye, si les parents en sont d’accord, par l’étiquetage handicapé mental. Et malheureusement souvent les parents donnent leur accord. (Ce consentement n’est pas sans évoquer celui donné au mirage de l’évaluation des adultes dans le monde du travail). Ont-ils d’autre choix quand ils veulent eux aussi, comme leur enfant d’ailleurs, qu’il soit comme les autres ? Quand on leur dit que c’est pour son bien et qu’il n’y a pas d’autre solution, rien d’autre pour qu’il puisse rester à l’école ?

Certains psychiatres et enseignants peuvent trouver ce maintien « très rassurant pour les parents » avançant l’idée « qu’il serait moins pire d’être étiqueté handicapé que fou ». Ces positions méritent le débat... En effet, le manque de jardins d’enfants ou de Maisons vertes, d’enseignements adaptés ou de places en hôpital de jour à petits effectifs, ou la réticence légitime à psychiatriser le mal être des enfants (lorsque la scolarisation ne prend aucun sens pour eux), pousseraient les professionnels de l’enfance à s’habituer à ces logiques d’exclusion. Mais, si les enfants jugés trop malades pour être admis dans un hôpital de jour, se retrouvent à l’école (alors que la loi 2005 choisit leur orientation mais dans la pratique c’est l’établissement qui choisit), verrons-nous ces enfants malades, faute de soins, transmettre aux enseignants un savoir qui ne s’apprend pourtant pas à l’école ? Depuis la mise en place de cette loi, ces demandes d’aides MDPH ont doublé.

C’est dire que le nombre d’enfants qui expriment une réticence à l’autonomie, un retard de parole, une trop vive agitation, ou une dyslexie, bref, qui présentent aux regards des adultes qui les évaluent, un dysfonctionnement, ne cesse d’augmenter. Mais alors, que serait un enfant non handicapé ? Se faire traiter d’«handicapé de la tête » n’aide pas à penser, ni pour celui qui est traité, ni pour celui qui traite ! Les professionnels de l’enfance ne devraient que refuser une telle traîtrise ! L’effet de marquage désubjectivant et pénalisant auquel se réduit le plus souvent cette reconnaissance des difficultés des enfants, revient donc à déplorer une sale affaire, à dénoncer une « fabrique » d’ handicapés comme on dénoncerait un détournement de capitaux, puisque c’est la jeunesse qui se trouve ainsi disqualifiée alors qu’elle devrait être considérée par les instances gouvernementales, comme notre capital le plus précieux à protéger.

L’abandon de tous ces enfants en souffrance psychique, ne vient-il pas témoigner de la profonde imposture de ces lois face aux principes égalitaires ? Une haine ou un mépris maquillé en compassion par les plus Anciens à l’égard des plus Jeunes ? Ne vient-il pas chercher à faire croire à ceux que rien ne trouble, qu’ils ne pourraient garder leur place sociale qu’en supprimant celle des autres et plus particulièrement de ceux qui sont les plus fragiles ? Quand, l’Assemblée Nationale a reconnu la légitimité des demandes des associations de parents d’enfants handicapés, il n’a pas été voulu pour autant que ces parents désireraient que les enfants présentant des difficultés dans le cadre de l’école, soient étiquetés handicapés.

Cette perte de pouvoir de l’Éducation Nationale concernant les enfants en difficultés, (suppression des CCPE), cette délégation de ses pouvoirs à la MDPH, ajoutées à la pénurie de moyens, de lieux et de temps de réflexions avec d’autres, pour répondre au mieux, au un par un, est venue orchestrer la logique implacable de notre système ultra-libéral et transformer cette loi, en machine de guerre intergénérationnelle et intra subjective. Trop d’enfants ne peuvent trouver à l’école, telle qu’elle est conçue actuellement, un quelconque bénéfice ou gain pour leur épanouissement et s’étiolent douloureusement dans leur solitude maladive alors que tous les enseignants que nous avons rencontrés, reconnaissent ne pas être formés pour leur venir en aide. Ils sollicitent des concertations plus fréquentes avec les soignants, mais sont soumis, eux aussi, comme les enfants, à des évaluations et à des injonctions de leur Inspection… qui viennent contrer leurs spontanéités ou leurs discernements, leurs valeurs ou leurs expériences.

A bien considérer que tous les professionnels de l’enfance mais aussi de la relation humaine, se retrouvent actuellement dans le même bain, au plus près de ce que peuvent éprouver les enfants, aux prises avec les incohérences folles et dévastatrices de notre époque, n’aurions-nous pas à réaffirmer une solidarité intergénérationnelle, en respectant l’énigmatique de leurs troubles ? Aurions-nous si peur de cette génération dite montante qu’il faille la blesser encore davantage et l’humilier au point de pactiser avec un système qui semblerait marcher tout seul alors que tant de gens obtempèrent, laissent s’effectuer en toute bonne conscience, et participent à cette grande sélection honteuse ? S’il ne se produit pas un sursaut collectif de lucidité politique, une volonté de solidarité entre toutes celles et tous ceux qui ont choisi d’assumer auprès des enfants leur art d’en prendre soin, si nous ne reconnaissons pas la richesse qu’il y a à se laisser enseigner par la poésie des enfants, poésie qui convoque en chacun de nous, souvenirs et expériences des effets autoritaires infligés à nos dépens, comment pourrions-nous prétendre encore pouvoir transmettre en enseignant ou en soignant ? Dans son article je sais bien mais quand même, Octave Mannoni questionne : que croire si l’autorité est mystification ?

Ne pourrions-nous pas oser l’amorce d’une réponse, en rappelant l’impératif pour chacun, si essentiel, qui consiste d’abord à écouter et à traduire ce qu’il éprouve, retrouve et pense en regardant et en écoutant un enfant quelque peu étrange ou bizarre ? Car, si les Grands ou supposés tels, se précipitent à vouloir discriminer les Petits, alors adviendra le temps d’un impossible accompagnement à devenir autre... Et l’espace concédé à sa liberté ne sera réduit qu’à celui du mammifère esclavagisé promu par l’ultralibéralisme. Continuons donc de chercher à comprendre pourquoi tant d’adultes sont soudoyés par la violence de ces dérives sécuritaires, de ces normes de mise en conformité, tandis que trop nombreux sont les enfants en surcharge de gavages en tous genres, qui crient famine, saisis qu’ils sont, par la perte ravageante des repères symboliques.

Cette réflexion a donné lieu à une conférence le 26 novembre 2011 à Vitry-sur-Seine dans le cadre du quarantième anniversaire du CMPP municipal où je travaille, et un article dans le numéro 208 du Coq-Héron, article intitulé : « L’enfant extradé ».

1. A. Kojève : La notion d’autorité. (écrit en 1942) Nrf Edition Gallimard 2004

2. A. de Tocqueville De la démocratie en Amérique Edition Vrin tome 2 ou Ed GF

3. Béatrice Fortin : Identité nationale – identité des nations. Article paru dans la revue du Coq-Héron

4. Gilles Châtelet : Vivre et penser comme des porcs. 1998 Folio actuel

5. M. Ragouste : L’ennemi intérieur. Edition La Découverte 2009,2011

6. M. Benasayag : Les passions tristes. Edition la découverte 2003

7. H. Maldiney : Avénement de l’oeuvre. Préface de B. Salignon. Lucie éditions

8 & 13. P. Bruno : Lacan, Passeur de Marx. Edition Erès

9. A.Pellé : Ce que nous enseignent les ruptures majeures. Edition de L’Harmattan 2011

10 & 12. H. Arendt : Crise de la culture. Folio essais 11. D. Missika : Enfances un siècle d’histoire Edition A. Colin 2011

14. O. Mannoni : Clefs pour l’Imaginaire. Edition du Seuil 1969 15. H. Arendt : Condition de l’homme moderne. Edition Pocket


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