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16/05/2012

Lettre au Président de la République


Lettre ouverte sur la situation de la psychiatrie

Copie aux parlementaires et aux candidats aux élections législatives

Paris, le 16 mai 2012

 

Monsieur le Président,

L’attitude à l’égard des malades mentaux a toujours été paradigmatique de la philosophie générale d’un gouvernement. Elle dévoile sa position vis-à-vis de l’altérité, de l’étrangeté fût-elle énigmatique, de la reconnaissance de la vanité d’une volonté de maîtrise absolue.

Les cinq années qui viennent de s’écouler ont été l’occasion d’une accélération drastique du processus de destruction de la psychiatrie française tant du point de vue des moyens, de la formation des jeunes confrères, que de la conception même de la folie.

S’en sont suivis le déni de la spécificité de la psychiatrie au sein de la médecine, la volonté de cantonner le psychiatre dans un rôle d’expert et non plus de soignant, la tentative de mise en place d’une juridiction sécuritaire et coercitive, la promotion d’une bureaucratie soi-disant compétitive, jalouse de ses prérogatives et éloignée des réalités de terrain, l’abandon à des lobbies de pans entiers de ce qui relève du ressort médical, le renoncement à la neutralité et à l’honnêteté scientifique de bien des organismes d’Etat pourtant à vocation arbitrale.

La spécificité du soin en psychiatrie, tous modes d’exercice confondus, implique l’indépendance professionnelle et la confidentialité qui sont le pendant de la relation singulière engagée avec le patient.

Monsieur le Président, le climat est délétère et nous vous alertons solennellement de cette dérive. La psychiatrie française est en péril, en passe de destruction.

Une « bulle scientiste » au sein de la psychiatrie, portée par une idéologie néo-libérale, enfle démesurément sous nos yeux et donnera lieu à un scandale majeur, or la pédopsychiatrie est en lambeaux (et les enfants de plus en plus drogués « sur ordonnance ») ; des médicaments prometteurs ne sont pas mis sur le marché parce que des industriels n’ont pas donné leur feu vert à l’AFSAPS ; les études relativisant les effets de certains produits sont ignorées ; la HAS impose des normes de consensus qui détruisent toutes les pratiques singulières qui ne sont rien de moins que l’engagement des équipes dans leur mission ; l’uniformisation idéologique des soins dénie la nécessité de s’adapter aux troubles en présence ; au nom de la prévention des risques, le seuil du délit est sensiblement abaissé et inhibe la responsabilisation des thérapeutes ; les cliniques de psychiatrie ont le même cahier des charges que celles de chirurgie y compris dans la prévention des infections nosocomiales ce qui n’est rien de moins que kafkaïen ; la direction des lieux de soin est confiée à des gestionnaires et non à des soignants ; les patients qui ne s’intègrent pas aux protocoles en cours sont abandonnés ; les lieux de consultations sont surchargés ; les sectes et autres médecines parallèles voient leur influence grandir jusqu’à attaquer en justice de réels praticiens de renom ; des équipes psychiatriques sont détruites ; tout est fait pour empêcher peu à peu les psychiatres de travailler auprès des patients.

Nous avions la meilleure organisation psychiatrique au monde et nous l’avons abandonnée.

Le SNPP vous demande solennellement de porter une attention particulière à cette question et de rétablir une logique républicaine d’intérêt général à cette branche de la médecine ô combien sensible à la volonté politique, ce qui en constitue une des spécificités.

Des mesures urgentes s’imposent :

-         diversification de l’enseignement de la psychiatrie notamment en donnant toute sa place à la psychopathologie même et surtout parce qu’elle ne possède pas « d’impact factor » reconnu par l’industrie du médicament,

-         redistribution des moyens favorisant les praticiens de terrain et l’accueil des patients et non des groupes de pression tel « FondaMental » dénaturant la psychiatrie,

-          rétablissement d’une conception des maladies et des soins psychiques indépendante de lobbies industriels ou religieux,

-          réforme du plan de psychiatrie et santé mentale,

-          retrait des lois sécuritaires et coercitives,

-          émancipation des conditions imposées de formation permanente.

Il s’agit en clair de permettre aux psychiatres d’exercer un art déjà assez naturellement compliqué.

Au cœur de nos préoccupations, et il convient de le marteler : l’assurance maladie doit retrouver son rôle premier de garantir une solidarité nationale et de permettre l’accès aux soins pour tous.

Ce sont là des enjeux de justice, et de rétablissement républicain.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération. Permettez-nous d’ajouter que tous nos vœux de réussite vous accompagnent.

Michel Marchand

Président de l'AFPEP-SNPP