Rapport Soubie

Alain Richard
Retour au sommaire - BIPP n° 4 - 1995

A propos du rapport au premier ministre : «Le livre blanc sur le système de santé et d’assurance maladie» appelé Rapport Soubie.

Thatcher au pays des soviets ?

Après une analyse de la demande du Politique, ici le premier ministre dans sa lettre de mission, nous tentons de dégager dans la réponse que constitue le rapport, ce qui conforte cette demande de ce qui s’en distingue.

Le Politique dresse d’abord un constat : un déficit qui va croissant sans que nos indicateurs de santé soient meilleurs qu’à l’étranger. Il en donne ensuite son interprétation : la crise ne résulte pas de la conjoncture, elle est structurelle. Elle menace l’assurance maladie et impose à l’Etat d’intervenir. Après avoir demandé une expertise de l’existant, le pouvoir fixe les choix de la réforme. Agir pour le long terme sur la structure et sur les dépenses, par une réorganisation de la gestion et une maîtrise contrôlée par l’Etat de ces dépenses. Les experts sont invités à s’inspirer des modèles étrangers qui auraient fait leurs preuves dans ces domaines.

Le rapport reprend le constat et son interprétation dans leur intégralité. L’expertise, conduite après une large concertation, entérine pour l’essentiel ces choix politiques et fournit des indications sur les moyens de la réforme. Il est proposé, entre autres, pour la réorganisation de l’assurance maladie l’unification des régimes, voire l’assurance universelle; la gestion par les caisses d’une enveloppe financière fixée par l’Etat; la création d’une direction ministérielle chargée de l’ensemble des aspects de l’assurance maladie (politique de santé publique, formation et évaluation des acteurs de soins et surtout détermination des objectifs financiers); la centralisation de la gestion de l’hospitalisation privée et publique, etc...

En tant que médecins libéraux nous sommes aussi et plus particulièrement concernés par le deuxième volet : la maîtrise des dépenses. Les rapporteurs proposent, pour respecter l’enveloppe, une limitation du volume des dépenses engendrées par les «producteurs de soins» : des lettres cles flottantes ou un écrêtement progressif des revenus libéraux, ou encore des déconventionnements progressifs en cas de dépassement du volume, la création de filières de soins basées sur des généralistes rémunérés à la capitation et intéressés à la gestion par une politique d’ «enveloppes d’achats de soins» auprès des spécialistes et des hôpitaux. Ces dernies devraient , dans le cadre d’un budget global maintenu, introduire le coût par pathologie et proposer des offres de soins aux généralistes.

Ces réponses vont bien dans le sens de la demande du Politique. Néanmoins, d’autres propositions nous paraissent plus réalistes. Ainsi en va-t-il du souci de préserver le principe fondamental de solidarité à travers la fiscalisation des ressources de l’assurance maladie et la garantie dela protection des exclus. En outre, les experts rappellent au pouvoir que, de même que la réforme de la structure suppose la participation active des représentants, la maîtrise des dépenses ne se fera pas sans l’adhésion des médecins. Enfin, par un paradoxe inattendu, est écrit (page 185) : «La remise en cause du caractère libéral de la médecine (...) compromettrait l’un des atouts le plus précieux de notre système de santé : la confiance que les malades lui prodiguent».

Si le constat ne peut être remis en cause, l’interprétation est erronée. Sans parler du caractère trop réducteur des indicateurs de santé retenus, l’impact de la conjoncture (tarissement des ressources) est dénié. Par ailleurs, à quelle place nous, psychiatres, sommes-nous conviés dans les filières de soins en tant que «producteurs ? Et quelle demande le patient nous adressera-t-il à travers «son gestionnaire d’achats de soins» ?

N ’est-ce-pas un rêve de technocrate, nourri de consensus, d’associer l’écrêtement des revenus médicaux ou la menace d’un déconven-tionnement à la recherche de l’adhésion des médecins ? Etre responsable de son acte signifie-t-il gérer la santé publique ? Nous ne pouvons y répondre sans un débat en profondeur. Ce qui n’interdit pas de poser cette simple question : devrons-nous en prendre le temps sur le temps de soin ou celui de la formation ?

Mais le plus novateur est sans doute que ce rapport affirme que seul l’Etat peut être garant, en se l’ appropriant, de la pérennité du système de protection sociale sans que les intéressés (citoyens - assurés sociaux) aient jamais été consultés sur ce point. Sommes-nous à l’aube d’un coup d’Etat ? De même en va-t-il du choix à priori de la maîtrise des dépenses érigée en seule «Vertu» !

Dr Alain RICHARD


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