Le temps du Livre Blanc
Après les élections municipales et cantonales nos décideurs politiques vont s'attaquer aux lois de "modernisation sociale" (loi de 75 révisée, déjà votée par l'Assemblée Nationale le 2 février 2001) puis la loi "de modernisation de la médecine". Or, les technocrates et les politiques de notre pays n'ont toujours pas compris la psychiatrie. Chaque gouvernement commande un rapport puis impose ensuite un diktat à notre profession sans comprendre. En cela, ils ne respectent ni les exigences éthiques, ni techniques de pratiques reconnues unanimement par tous les psychiatres privés publiques et universitaires. Ils sont sûrs de leur croyance "au nom de l'intérêt des citoyens et usagers du système de soin". Le fait que notre discipline soit médicale, — une des branches antiques de la médecine depuis Galien... — semble faire problème dans la mesure où notre discipline, multiprofessionnelle, associe de nombreuses spécialités paramédicales et des sciences humaines dans ses équipes de soin.
Toute cette organisation psychiatrique des soins apportés au sujet souffrant s'est affirmée après des luttes pour séparer la psychiatrie de la neurologie. Cet ensemble s’est structuré au fil des années par les expériences du secteur, des institutions associatives ambulatoires et hospitalières, suivi du développement de la psychiatrie privée libérale et hospitalière. Ensuite il nous a fallu conquérir de véritables moyens financiers pour réaliser des équipements de grande qualité reconnus partout dans le monde, parfois comme des exemples et des modèles.
Enfin, plusieurs générations de cliniciens, de chercheurs, de théoriciens, d'universitaires avaient su allier à la clinique les enseignements de la psychanalyse puis des courants venus compléter les manques du côté d’autres paradigmes (systémiques et autres…) dans une coexistence au début tumultueuse mais fructueuse pour les patients.
Aujourd'hui, il n’y a plus d'interne dans les services à part les C.H.U., plus de praticiens hospitaliers dans de nombreux services périphériques paralysant la psychiatrie publique.
Dans le secteur associatif du médico-social, la situation est semblable. En libéral c’est la saturation. La courbe démographique s'est inversée : dans dix ans nous serons 8 000 en tout — publics et privés — si rien ne vient inverser la tendance.
Le nouveau Ministre de la Santé, B. Kouchner dans son discours inaugural aux 4es Rencontres de la Psychiatrie, le 28 février 2001, confirmait, hélas une fois de plus, cette méconnaissance de la psychiatrie.
Certes, nous souhaitons, comme lui, mettre l'usager au centre du dispositif de soin, mais pas en annulant la hiérarchisation des compétences et des besoins thérapeutiques des patients ainsi que les spécificités et les différences entre professionnels.
Nous avons l’habitude de déléguer aux autres professionnels qui travaillent au sein des équipes de soin de même que les échanges fructueux entre praticiens et autres professionnels en exercice libéral ne datent pas d’hier.
En déléguant ses pouvoirs thérapeutiques — et non sa responsabilité qui reste au mieux partagée avec les autres professionnels du soin — le psychiatre assure une coordination voire une animation dans un échange partenarial avec les autres ou ses pairs. Pourquoi vouloir nous déposséder de ce qui relève actuellement de notre décision dans la complexité des situations cliniques ?
En voulant administrativement trop réglementer, contrôler, évaluer quantitativement, l'État n'est-il pas en train de casser un outil fragile, précieux, fruit d'un demi-siècle de réflexions et d'élaborations fondées et approfondies.
L'exemple du PMSI, que nous combattons avec l'ensemble des syndicats de psychiatres privés et salariés du pays, est un point de buttée où nous devons résister de toutes nos forces.
Nous refusons cet enfermement de l'évaluation des pratiques dans des fragmentations nosographiques étroitement liées à des opérations comptables. Les effets cliniques et les conséquences sur l'évolution de la santé psychique (ou mentale) des malades ne sauraient être ignorés. Tout cela méconnaît la dimension du contenu "intérieur" invisible du processus thérapeutique impliquant les soignants et le sujet souffrant. Réduire les temps de séjour à des durées de crises aiguës pénalise souvent les malades chroniques souffrant de maladie grave.
En nous privant du temps de penser cette clinique en profondeur, celle-ci s'abâtardira, réduisant l'observation à des zones superficielles de la personne souffrante qui annulerait toute évolution solide.
Enfin, le temps si précieux du moyen terme — où mûrissent les prolégomènes des processus thérapeutiques (psychothérapie individuelle ou de groupe) — permet aux malades des traitements ultérieurs et rend plus fructueuses les hospitalisations.
Enfin, la loi de 75 révisée risque de limiter la présence des psychiatres uniquement dans les structures de soin dévolues aux phases aigües. Cela enlèverait aux malades, en dehors de ces moments cliniquement bruyants, tout accès au soin institutionnel.
Notre interlocuteur nous parle comme s'il s'adressait à une "corporation" conservatrice ou "has been" ?
Certes, nos mises à distance thérapeutiques déroutent les familles. Nos écoutes et traitements non directifs (mais pas toujours) nos débats théoriques et nos paradigmes conceptuels, parfois très dialectiques, cohabitent de manière fructueuse, mais semblent trop compliqués à faire entendre à nos décideurs.
Il faudra du courage, de l'ardeur pour apprendre à communiquer nos savoir-faire et la pertinence de nos pratiques.
Le tintamarre des tambours scalaires, moléculaires et des oracles annonçant la toute puissance du biologique sur notre discipline a fait de gros dégâts ! Depuis que les neurosciences ont trouvé leur place en psychiatrie avec plus de modestie, nos collègues de toutes les générations retrouvent enfin la parole.
Ce qui est "bruyant" en clinique n'est pas toujours le plus grave. Nos patients souvent les plus atteints et ayant le plus besoin de soin sont dans une souffrance psychique intérieure difficile à exprimer et à parler. Nous devons actuellement venir tout près de patient sans demande visible mais en grande souffrance.
Que dire en cette entrée de 3ème millénaire à des politiques ignorant tout de la réalité psychiatrique telle que nous la connaissons ?
Aujourd'hui nous sommes prêts à améliorer encore les liens et la coordination de nos pratiques, mais seulement lorsque cela s’avère utile et pertinent.
Antoine BESSE