Vie syndicale. Document de synthèse sur l'exercice libéral en psychiatrie

Etienne Roueff
Retour au sommaire - BIPP n° 6 - Octobre 1995

A propos de la protection sociale en France, nous sommes dans un contexte politique actif, puisqu’en cet automne 1995 un débat public est ouvert dans les régions puis “rassemblé” au parlement national en novembre, sur les deux versants de l’organisation de la protection sociale dans notre pays : le côté recettes et les discussions sur les modes de financement de la Sécurité sociale (entre autres...); le côté dépenses, ce qui concerne directement les praticiens, c’est-à-dire le renforcement de la “maîtrise médicalisée des dépenses de santé” et les éventuelles modi-fications conventionnelles à accélérer ou à promouvoir.

Sur ce dernier volet, à courte et moyenne échéance, des réserves s’imposent pour le moins, sur trois points essentiels :

1) préservation du secret, à propos de l’informatisation des données et de la mise en place du dossier médical (exactement : dossier médical et carnet médical), que Mme le ministre Élisabeth Hubert veut rapidement étendre à toute la population.

2) l’indépendance professionnelle du praticien face à l’accroissement des contrôles administratifs, et particulièrement à travers le système des Références Médicales Opposables (RMO), critiquables en plus d’un point, et qui restreignent la liberté de prescription.

3) la difficulté extrême, sinon la quasi-impossibilité du codage des pathologies en psychiatrie : variabilité selon les sujets, et dans le temps, des symptômes; difficulté du consensus sur la nosologie; approches théoriques multiples et souvent antinomiques... Néanmoins une nosologie de base a pu et pourra être utilisée, mais elle est réductrice, peu précise et surtout “objectivante”, ce qui va à l’encontre de la dynamique psychique du sujet. Par contre, pour le codage des actes, la nomenclature (NGAP), la psychiatrie est le champ spécialisé le plus simple: une seule lettre clé, le CNPSY pour toute consultation.

Ainsi s’il n’est pas question de refuser l’informatisation, fait de notre époque, cet outil doit être adapté à notre pratique particulière qui englobe toute la personne, n’exclut ni l’organique, ni le relationnel, ni l’environnement familial et social, en un mot une pratique fondée sur le “lien”.

Dans le domaine de la Psychiatrie, il y a lieu de faire plusieurs réserves sur les modalités des RMO qui s’appliqueront bientôt à toutes les prescriptions de psychotropes (la RMO sur les antidépresseurs est sur le point d’être rendue publique). De plus, si les RMO ont un but pédagogique et informatif, destinées avant tout aux médecins généralistes, principaux prescripteurs de psychotropes, elles ne mentionnent jamais la nécessité d’une écoute et d’une acuité clinique particulière nécessaires dans ce genre de pathologies : comme si les méthodes psychothérapiques n’existaient pas, comme si les prescriptions médicamenteuses n’étaient pas plus efficaces et mieux tolérées accompagnées d’une écoute et d’une parole, comme si dans ces pathologies il n’y avait que des médicaments à prescrire... alors que le but avoué des RMO est de prescrire moins !!

Au delà, et sur le fond, la psychiatrie libérale a créé par son essor et son implantation dans les villes, depuis 25 ans, une nouvelle offre de soins pour recevoir une population de plus en plus large, qui peut désormais accéder aux thérapeutiques psychiatriques. Ce cadre nécessite une souplesse, une confidentialité et une formation spécifique des praticiens, gages de l’efficacité et de la qualité des soins.

Il est certain que ces caractéristiques sont peu compatibles avec des systèmes de contraintes standardisées telles que les RMO, qui seront aggravés bientôt, dans leur aspect anonyme et froid, par le codage informatisé des pathologies.

Se pose ensuite un autre problème spécifique à la psychiatrie libérale, la nécessité d’un suivi régulier et prolongé, en particulier dans les traitements psychothérapiques. Il faut souligner que chaque consultation, chaque séance de psychothérapie a son importance (quantitative : temps, et qualitative : maillon d’un processus dynamique en cours) et sa densité clinique; ainsi la qualité de chaque acte et l’enchaînement nécessaire dans la durée ont autant d’importance pour le soin du patient dans un processus psychodynamique de psychothérapie, dans une séquence de thérapie comportementale, ou dans la prescription et le suivi d’un traitement médicamenteux, ou même dans la mixité de ces conduites thérapeutiques (pédo-psychiatrie, co-thérapie, etc...). Cet état de fait complexe impose une nomenclature simple et unique : le CNPSY actuel, s’il était toutefois revalorisé, peut ainsi rémunérer tout acte en psychiatrie. Il serait donc néfaste de vouloir différencier dans la spécialité de psychiatrie des actes lourds et légers, dans le but par exemple de pallier l’absence d’actes technologiques qui existent dans la plupart des autres spécialités.

Enfin le dossier médical mérite aussi une réflexion particulière : son informatisation devrait accroître la confidentialité par rapport aux écrits lisibles par tous; toutefois les recommandations de la CNIL devront être suivies scrupuleusement (possibilité pour un patient de refuser l’inscription codée de sa pathologie et l’accès à l’information par le patient en corollaire de l’impossibilité d’accès pour tout autre que le(s) médecin(s) traitant et le(s) médecin(s) conseil).

Néanmoins le danger persiste dans le fait que le dossier informatisé peut potentiellement être source de contrôle accru sur l’activité du praticien et d’intrusion dans l’intimité du patient. En psychiatrie, nous sommes à la pointe de ce combat pour maintenir la notion de secret du sujet, fondement de l’identité de chacun. Quand bien même le secret pourrait être respecté par rapport aux non-médecins, le patient doit pouvoir être assuré d’un secret absolu (sauf auprès du médecin conseil). On sait combien, par exemple, le médecin de famille n’est pas neutre dans l’histoire des patients; si l’on veut que la parole soit libre pendant la consultation -c’est le levier de l’efficacité thérapeutique- le secret doit être respecté. Garants de ce secret, nous serons toujours opposés à tout ce qui pourrait l’atteindre. En conséquence le dossier médical doit être propriété du patient quitte à ce qu’il le dépose volontairement chez un médecin de son choix.

La psychiatrie libérale au delà d’un exercice de consultant et/ou d’expert, est avant tout une pratique ouverte et de large impact clinique; elle est fréquemment une médecine de première intention (ce qui exclut tout passage “obligé” par un médecin généraliste pour y accéder) dans une visée anticipatrice afin d’évincer, de “grignoter” au mieux les aliénations du patient et de travailler à son affranchissement et à son épanouissement.

Étienne ROUEFF
vice-président de l’Afpep-Snpp

Ce document est un des textes de base pour la conférence de presse du 8 novembre.


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