AG Paris 6 septembre 1998 : propositions pour l'amélioration de la qualité des soins psychiatriques ambulatoires en France

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EXPOSE DES MOTIFS

1 - Selon le rapport Zarifian, dont les conclusions ont été notamment reprises en juillet 1998 par le gouvernement, la prescription psychopha-rmacologique en France serait quantitativement beaucoup trop importante. Cette assertion repose essentiellement sur des évaluations comparatives internationales. On remarquera d’emblée que si ce sont les antidépresseurs, anxiolytiques et hypnotiques qui ont été mis en cause dans le discours politique récent, les neuroleptiques, d’utilisation a priori plus ciblée (psychoses) et plus délicate, non ou moins soumise à la pression de la demande, partagent pourtant le même sort : ce qui, au delà de la validité des bases de données elles-mêmes, met en question l’intervention d’autres facteurs dans le recueil de ces données qui concernent ici pour l’essentiel la prescription ambulatoire à l’exclusion de l’utilisation hospitalière. Cela met nécessairement en cause l’organisation de la distribution des soins dans chaque pays considéré : à ce compte, il est vrai que la France est le pays qui compte en psychiatrie le secteur libéral le plus développé – alors que par ailleurs, la politique de désinstitutionnalisation y bat son plein, au-delà sans doute de l’intérêt de certaines catégories de patients. Cependant, la portée de cette observation demeure limitée dans la mesure où, en France, les psychiatres ne seraient responsables que de plus ou moins 20 % des prescriptions de psychotropes (30 % pour les antidépresseurs – non précisé pour les neuroleptiques) – le secteur non spécialisé demeurant donc le plus largement responsable des prescriptions : les différences structurelles nationales devraient moins jouer à ce niveau (ce qui reste malgré tout à démontrer, organisations sanitaires et médico-sociales n’étant pas strictement superposables).

2 - On écarte un peu trop facilement, semble-t-il, en n’en mentionnant même pas l’hypothèse, la possibilité de variations dans l’incidence des manifestations psychopathologiques (ou de leur repérage comme telles) en fonction des contextes nationaux, sociaux, économiques, culturels. Mais il est vrai que leur objectivation demeure techniquement aléatoire et idéologiquement entravée – et surtout que cette hypothétique implication s’inscrirait dans le cadre d’un ensemble de variables multiples et interdépendantes, difficilement maîtrisables dans des études épidémiologiques même affinées (ce qui est rarement le cas…).

3 - Ce qui demeure apparemment démontré est l’insuffisance de pertinence de la prescription. Cette insuffisance se situerait à deux niveaux : d’une part dans l’utilisation des molécules elles-mêmes (même si, par exemple, un certain balancement quantitatif entre l’utilisation des anxiolytiques et celle des antidépresseurs peut représenter en soi plutôt un progrès, notamment dans le secteur non spécialisé), leur posologie (en plus ou en moins) et la durée de prescription. Et d’autre part dans ce que nous appellerons l’opportunité à prescrire et plus largement la place de la prescription dans la stratégie globale des soins, celle-ci pêchant trop fréquemment par son absence ou sa médiocrité.

4 - On ajoutera à cet égard qu’il existe un facteur inversement proportionnel entre temps d’écoute et existence ou importance de la prescription. Il s’agit là d’un paramètre relatif, aucune des deux attitudes n’excluant l’autre en tant que de besoin ; de surcroît, si l’expérience quotidienne autorise à affirmer la réalité de ce balancement, celle-ci, une fois de plus, est malaisée à objectiver – ou seulement de façon très indirecte (comparaison des temps moyens de consultation entre généralistes et psychiatres par exemple, chiffrés certes mais à partir de quel recueil de données ?).

5 - Cette “non-pertinence” repose sans doute et en premier lieu sur des carences de formation. Pratiquement nulle ou en tous cas inadéquate dans le cursus médical général, cette formation est peut-être même en train de se détériorer à l’intention des futurs spécialistes en psychiatrie dans la mesure où elle se conforme de plus en plus à des critères de type nord-américain - eux-mêmes avant tout ordonnés, derrière le masque de l’objectivation scientifique, à la recherche psychopharmacologique, dans un champ clinique restreint au recrutement particulier des CHU. Quant à la formation à la relation, qu’il s’agisse de la démarche clinique ou des méthodes psychothé-rapiques, si elle est formellement invoquée, elle ne peut en réalité résulter que d’une implication personnelle que rien ne favorise à ce stade initial.

6 - On évoquera en outre la question des motivations : si l’intérêt des futurs spécialistes pour la problématique psychique et psychopathologique est a priori peu discutable, on ne peut en dire autant pour les médecins en général dont une bonne partie a toujours affiché des attitudes de refus en ce domaine – ce qu’une formation de base médicale de plus en plus technique ne peut que contribuer à accentuer.

7 - Il convient enfin d’insister sur les conditions d’exercice et plus précisément sur la nature de l’acte de soins psychiatrique lui-même, dont le paramètre de durée n’est qu’un aspect symptomatique même si le temps qui lui est affecté constitue une des dimensions de son possible. Cet acte s’articule autour d’une clinique spécifique, prise en considération de la souffrance psychique d’une personne dans sa singularité qui ne trouve à se dévoiler que dans la relation qui s’établit entre le thérapeute et son patient très au-delà du simple inventaire symptomatique (qui peut parfois s’avérer tout à fait trompeur). C’est en cela que l’on peut affirmer que tout acte de soins psychiatrique comporte consubstantiellement une dimension psychothérapique, dès la rencontre initiale et quelle que soit l’importance que prendra ultérieurement cette dimension dans la stratégie thérapeutique. Pour réaliser cet acte, il importe donc de bénéficier non seulement d’une expérience clinique approfondie mais également de la formation à une relation qui ne peut se limiter à une simple bienveillance, aussi exigible que soit cette dernière, formation personnelle qui précède et ne peut se réduire à l’acquisition de techniques psycho-thérapiques proprement dites. Il faut encore une fois souligner que c’est cette formation qui permet seule d’accéder à la plénitude de la clinique de la souffrance psychique.

8 - On ajoutera qu’une bonne stratégie thérapeutique trouvera d’autant mieux à se déployer que le patient sera en situation d’assumer, initialement ou secondairement, sa demande de soins, qu’il deviendra en quelque sorte co-opérateur du soin, et qu’il sera assuré, corollairement, de la totale confidentialité de sa démarche, en particulier pour ce qui concerne son contenu. Ces deux conditions justifient que, dans tous les cas, soit préservée la liberté de choix et d’accès au thérapeute.

PROPOSITIONS

1 - Le Syndicat National des Psychiatres Privés propose aux Tutelles concernées la mise en place d’un groupe de travail aux fins d’élaborer avec elles les conditions nécessaires à l’amélioration des soins psychiatriques ambulatoires, qu’il s’agisse de la qualité et de la pertinence des prescriptions ou, au-delà, de la recherche des meilleures stratégies thérapeutiques possibles dans la prise en charge de la souffrance psychique. Dans cette perspective et dès à présent, il est en mesure de formuler un certain nombre de suggestions au regard desquelles les psychiatres libéraux sont directement concernés dans leur exercice et/ou peuvent s’impliquer dans leur réalisation (étant entendu qu’ils ne peuvent intervenir dans un certain nombre de domaines du ressort directement réglementaire).

2 - Pour ce qui concerne les prescriptions psychopharmacologiques proprement dites, on rappellera que les psychiatres libéraux sont responsables de moins de 20 % de celles-ci alors qu’ils ont à gérer globalement des problématiques plus lourdes impliquant des soins à plus longue échéance – ce qui peut entraîner parfois des écarts justifiables par rapport aux RMO actuellement mises en place mais dont ils sont prêts à rendre compte devant des instances de contrôle compétentes. Il est largement admis qu’ils représentent des prescripteurs “critiques”, moins perméables que le public médical général aux pressions du marketing. Ils ne font aucune objection à l’emploi des génériques quand ils existent. Ils sont de surcroît prêts à pratiquer la prescription en DCI ou DCF et la délivrance en quantités unitaires formellement précisées (dans la mesure où ces dernières modalités seront compatibles avec les exigences de contrôle des Caisses d’Assurance-maladie). Conscients du caractère apparemment redondant de beaucoup des molécules mises en circulation commerciale, ils attirent cependant l’attention sur l’intérêt qu’il y a à disposer d’une certaine diversité dans ce domaine, soit que les caractéristiques pharmacocinétiques de produits à effet voisin répondent à des indications différenciées, soit que la susceptibilité des répondeurs varie pour des raisons encore mal définies (mais qui peuvent tenir pour partie à des effets placebo, eux-mêmes de détermination complexe).

3 - Cela étant, les psychiatres libéraux s’accordent à reconnaître que la prescription psycho-pharmacologique ne constitue qu’un aspect de l’acte de soins psychiatrique, aspect souvent nécessaire mais nullement caractéristique de l’acte en lui-même. Celui-ci, à partir d’une clinique spécifique, met en œuvre une stratégie thérapeutique complexe et évolutive dont la composante relationnelle est fondamentale à tous les temps, qu’il mette en œuvre une psychothérapie réglée ou non. L’efficacité de l’action thérapeutique dans ce cadre libéral repose notamment sur l’autonomie de la demande du patient (liberté de choix et possibilité d’accès direct), la stricte confidentialité de l’échange, la souplesse de la conduite du traitement. Il importe que ces caractéristiques soient expressément reconnues par les tutelles, que ce soit sous la forme d’une annexe au texte conventionnel ou de tout autre texte à valeur réglementaire.

4 - En contrepartie de quoi les psychiatres ne récusent pas toutes formes de “transparence” sur leur activité mais seulement celles qui porteraient atteinte précisément à la confidentialité et plus globalement à la qualité de la relation. Pour ce qui concerne leur activité, celle-ci est déjà codée depuis longtemps pour l’essentiel à travers l’utilisation d’une lettre-clé spécifique, le Cnpsy (qui devrait rapidement laisser place à un Cpsy afin d’opérer la nécessaire distinction entre actes psychiatriques et actes neurologiques dès que la qualification mixte de neuro-psychiatrie aura complètement disparu, vraisemblablement dans les 5 ans). Par contre, le codage des pathologies comme la transmission automatique des informations cliniques, sur le mode informatique ou non, leur paraissent incompatibles avec le principe de stricte confidentialité – ce qui n’exclut nullement l’échange de renseignements au cas par cas, dans un contexte défini et maîtrisé, pour permettre notamment à un contrôle médical compétent d’exercer sa mission. Dans ce dernier cadre par contre, ils récusent certains types d’enquête opérés à l’insu du thérapeute sur sa file active sur un mode plus ou moins policier et incompétent propre à compromettre parfois gravement la qualité indispensable et donc l’efficacité de la relation thérapeutique. D’autres modes de contrôle demeurent à imaginer, faisant notamment intervenir des praticiens de même compétence (tel le modèle des “médecins médiateurs” proposé par l’AME).

5 - Les psychiatres libéraux sont par ailleurs tout à fait disposés, sur la base du volontariat, à participer à un travail épidémiologique, que celui-ci opère sur les files actives (et il apporterait alors des renseignements autrement précieux, même si collectifs et anonymes, sur leur profil d’activité et le contrôle de sa qualité) – ou qu’il s’oriente vers l’identification des besoins de soins. Il conviendrait cependant qu’ils disposent pour cela de moyens structurels et financiers qui leur font défaut actuellement du fait même de leur mode d’exercice (paiement à l’acte). On pourrait envisager par exemple l’établissement de contrats collectifs type INSERM, sous l’égide d’une société savante comme l’AFPEP.

6 - L’hypothèse d’un démembrement de l’acte psychiatrique (à la faveur par exemple de la révision de la nomenclature) à la recherche d’une analyse et d’une évaluation plus fines des activités nous apparaît en réalité particulièrement dangereuse pour la nature de l’acte lui-même en ce qu’il accréditerait l’idée (qui conviendrait sans doute à certaines parties prenantes) qu’il puisse exister un acte purement prescriptif en dehors de toute relation psychothérapique – ce qui irait à l’encontre même de la conception de la démarche psychiatrique telle que nous la prônons (et que la défend également le rapport Zarifian à travers la notion de stratégie globale de soins) et entraînerait inexorablement l’aggravation des tendances actuellement déplorées.

7 - On pourrait imaginer évidemment à partir d’une évolution telle que ce démembrement une augmentation des cadences productives propre à pallier d’une part les saturations d’activité déjà observées dans certaines régions sous-équipées en psychiatres libéraux et d’autre par la réduction démographique de la spécialité déjà programmée et effective dès 2004. Les contraintes de temps comme éventuellement la pression économique pourraient de leur coté contribuer dans ce contexte à réduire l’acte psychiatrique au simplisme prescriptif. Peut-on considérer que ce soit là le but recherché ?

8 - La durée de l’acte constitue effectivement le corollaire de sa complexité et de ses exigences qualitatives. Considérant que pour l’essentiel la demande de soins dans le domaine de la souffrance psychique n’est pas compressible, le recul démographique prévu va donc inexorablement entraîner une dégradation de la nature des soins tout en excluant la moindre possibilité de régulation quantitative et qualitative des activités. Quant à la solution qui consisterait à renvoyer une partie des actes de soin psychiatriques vers des praticiens insuffisamment formés et disponibles, elle ne ferait qu’aggraver les carences actuellement dénoncées.

9 - Le SNPP souligne une fois de plus l’irrationalité d’une politique de réduction démographique de la spécialité alors que les besoins de soins de qualité ne sont pas tous satisfaits, notamment dans certaines régions sous-équipées Cela étant, compte tenu des délais d’inertie inévitables d’une inflexion différente de l’orientation démographique, le SNPP pourrait se montrer favorable à un système d’incitations (à déterminer) pour favoriser les installations dans ces régions sous-équipées – incitations plutôt que limitations autoritaires à l’installation, généralement mal acceptées et propres à susciter une surenchère dans la reprise des cabinets déjà implantés (avec derechef la tentation d’amortir les investissements par une suractivité…).

10 - Préoccupé par la qualité exigible de la formation des futurs psychiatres, le SNPP regrette l’abandon de la filière spécifique de formation alors que la discipline s’avère tout à fait originale dans ses exigences propres, clairement différenciées par rapport au modèle médical général. Cette filière spécifique fait d’ailleurs partie des propositions européennes (UEMS) et existe déjà pratiquement dans tous les autres pays d’Europe. Ces propositions retiennent également l’obligation d’être formé à au moins deux techniques psychothérapiques. On peut regretter enfin pour les raisons que nous avons énoncées plus haut que les conditions actuelles de formation cantonnent les internes aux seuls CHU alors que les CHS et l’activité de secteur proposent une expérience clinique différente, complémentaire et indispensable. Enfin, les psychiatres libéraux se déclarent prêts à participer à cette formation dans la mesure où les futurs psychiatres seront amenés s’ils s’orientent vers la pratique privée à se confronter avec un champ clinique et des méthodes de travail en bonne partie originaux.

11 - Reste enfin l’indispensable formation des médecins non psychiatres. S’ils n’ont pas vocation à intervenir au stade de la formation initiale, les psychiatres libéraux se proposent d’intervenir dans le cadre de la formation continue, considérant que le champ clinique original dont ils sont spécialistes est souvent celui-là même dans lequel risquent de se multiplier les interventions thérapeutiques non pertinentes aussi coûteuses économiquement que qualitativement à l’encontre de l’intérêt des patients.


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