Chronique : des chiffres et des hommes

Gérard Bles
Retour au sommaire - BIPP n° 19 - Décembre 1998
DU 21 AU 31 DÉCEMBRE

LES PSYCHIATRES LIBÉRAUX

FERMENT LEUR CABINET


ILS ENTENDENT AINSI DÉNONCER PAR L’EXEMPLE

UNE POLITIQUE " DE SANTÉ " PUREMENT COMPTABLE, ÉLABORÉE DANS LA MÉCONNAISSANCE DES BESOINS DE NOS PATIENTS,

FORMALISÉE DANS UNE LOI QUI INSTAURE UNE CLAUSE DE SAUVEGARDE ÉCONOMIQUE AGGRAVANT LE SYSTÈME DES REVERSEMENTS, SOUS LE COUVERT D’UNE RESPONSABILITÉ DITE COLLECTIVE DES PRATICIENS,

ASSORTIE D’UN RÈGLEMENT CONVENTIONNEL MINIMAL, VÉRITABLE NÉGATION DU PRINCIPE CONTRACTUEL DE L’ENGAGEMENT CONVENTIONNEL.


Chronique

C’est confirmé !

La Loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 a été adoptée le 3 décembre 1998 avec sa clause de sauvegarde économique qui justifie définitivement des reversements infligés aveuglément au nom d’une soi-disant responsabilité collective.

Le Règlement conventionnel minimal est promulgué (arrêté du 13 novembre 1998), court-circuitant toute négociation, toute représentativité syndicale, et transformant le contrat conventionnel en contrainte unilatéralement imposée, assortie elle aussi de pénalisations financières.

Tout cet appareil répressif n’a qu’une seule finalité : assurer inexorablement la maîtrise comptable des dépenses de santé sans aucune prise en compte des besoins réels de soins de la population et de l’évolution de ceux-ci en fonction des progrès scientifiques et techniques, des modifications démographiques, des déterminants culturels et sociaux.

Le perfectionnement Aubry du plan Juppé laisse pantois en ce qu’il tend à démontrer qu’au delà de supposés clivages et antagonismes dans la classe politique, les médecins et leurs patients se retrouvent toujours affrontés avec la même démarche technocratique, ses à priori consuméristes et ses obsessions comptables. A ceci près cependant qu’au regard du grand public, la manière a changé. Hier, les pouvoirs tonitruaient, nul ne pouvait en ignorer et l’inquiétude collective sourdait de toutes parts. Aujourd’hui, au milieu des parades humanitaires et des grands chantiers sociaux, la mélodie santé, tout au moins entendue sous l’angle des dépenses et de leur régulation, est d’une discrétion exemplaire, en particulier du point de vue médiatique. Les grandes orgues en ce domaine réservent leurs tutti aux opérations spectaculaires comme les États généraux de la santé, avant tout démarche de relations publiques qui ne peut prétendre se maintenir à l’écart de toute démagogie.

Les résultats sont d’ailleurs là : si Martine Aubry et Bernard Kouchner subissent la totale défaveur des médecins (respectivement 13 et 11% d’opinions favorables, Baromètre Sofres novembre 98), ils triomphent dans l’appréciation du grand public (52% d’opinions favorables pour M. Aubry, 59% pour B. Kouchner, " premier " des ministres – Tableau de bord B.V.A/Paris-Match nov. 98). Comme quoi le faire-savoir est aussi important que le savoir-faire…

Et cela nous ramène à notre propre devoir d’information, auprès de nos patients, auprès de la population, sur la réalité de la politique qui est conduite en matière de soins. Notre opération fermeture des cabinets (" fermeture pour cause de bilan… " - et non pas une grève, traditonnellement revendicative de quelque avantage…) peut être une remarquable occasion de sensibiliser l’opinion à l’opération dramatique qui vient d’aboutir mais qu’on voudrait bien draper de la discrétion qui convient aux naissances illégitimes : la mise en place d’un système enfin réellement coercitif de rationnement des dépenses de santé, dont, de surcroît, les médecins seront pleinement les opérateurs désignés et obligés.

La médecine libérale, c’est fini, nous annonçaient quelques augures depuis des mois et des mois. En fait, c’est avant tout l’indépendance professionnelle que l’on a voulu juguler, alors que la responsabilité du médecin vis-à-vis du malade se trouve transférée au bénéfice du caissier...

Comme le clamait l’un d’entre nous, " un honneur perdu ne se retrouve jamais " ! C’est aujourd’hui qu’il faut nous mobiliser complètement, plutôt que de repasser nos mouchoirs pour pleurer demain. Cette mobilisation a commencé le 25 novembre, elle doit être totale le 21 décembre – mais, sous d’autres formes, elle ne doit pas s’arrêter le 31 décembre, tant s’en faut. Nous en sommes capables, contrairement à ce qu’on l’air de croire les princes qui nous gouvernent. Nous ne devons pas rester isolés dans nos cabinets : nous appartenons à une communauté, non seulement disciplinaire, non seulement professionnelle, mais avant tout citoyenne. C’est sur le terrain, avec nos patients, avec la population, que nous pouvons gagner, que nous gagnerons.

C’est cela que je nous souhaite pour 1999 !

Gérard BLES

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