Nul n'est censé...
Ce préambule ne renvoie pas à une quelconque proclamation de l’impérialisme psychiatrique, mais s’inscrit dans le catéchisme de tout bon citoyen : " nul n’est censé ignorer la loi ". C’est d’ailleurs bien plus qu’un adage moral, car il s’agit d’une règle qui nous est opposable pour le cas où nous exciperions de notre ignorance pour réclamer l’impunité. Pourtant, même le bon citoyen a du mal à s’y reconnaître – c’est le moins qu’on puisse dire !
La particularité des budgets sociaux en France était jusqu’à il y a peu qu’ils échappaient au contrôle parlementaire, alors que leur montant excède le budget de l’État lui-même. Cela ne signifiait pas que leur mise en place échappait à toute règle légale, ni au pouvoir gouvernemental : simplement, les représentants du peuple n’avaient rien à dire sur leur montant annuel et son évolution. Aujourd’hui, ils ont à en connaître, ce qui ne signifie pas qu’ils les maîtrisent : simplement, ils sont amenés à approuver les objectifs de l’État en la matière et à donner une portée légale à un certain nombre des dispositifs mis en œuvre pour la réalisation de ces objectifs – mais ils n’ont pas encore pour l’instant la faculté d’en surveiller la réalisation.
Pour le profane, l’architecture du financement de la protection sociale et de sa régulation demeure le plus souvent plutôt obscure. Ainsi, pour ce qui concerne les dépenses de L’Assurance-maladie, les médecins ont pu longtemps être fondés à croire que la maîtrise d’œuvre appartenait aux " partenaires sociaux ", c’est à dire aux Caisses d’Assurance maladie et aux dispositifs contractuels régissant les rapports de celles-ci avec les professionnels de santé : les conventions. Pendant longtemps, officiellement, le Gouvernement n’intervenait pas directement dans la négociation de celles-ci, se limitant à en approuver – ou pas – les résultats. Il s’agissait en fait et pour une bonne part d’une fiction, ces négociations évoluant toujours dans des limites préfixées par l’État, le rôle des négociateurs se réduisant à opérer un certain nombre d’arbitrages dans le cadre de ces limites et à organiser la mise en œuvre sur le terrain des dispositifs qui en résultaient. Mais chacun des partenaires ne manquait pas de faire régulièrement pèlerinage dans les ministères pour obtenir que le gouvernement influe sur l’évolution des tractations, ce qu’il ne manquait pas de faire même s’il se réfugiait derrière une quelconque dénégation dont personne n’était dupe !
En ce sens, la situation nouvelle a au moins le mérite de la clarté : le gouvernement a officiellement la pleine maîtrise du système, ce qui ne va pas évidemment sans contrarier les Caisses nationales. Mais le syndicalisme médical réclamait depuis longtemps cette clarification-là, le non-dit ayant les effets délétères que l’on sait... Est-ce que le contrôle parlementaire désormais institué ajoute une dimension nouvelle à l’édifice ? Sans doute pas au plan pragmatique, certainement en conférant sa pleine signification politique à la conduite des affaires – cela même si l’on considère que dans notre Constitution actuelle, la majorité parlementaire s’aligne avec discipline sur les objectifs de l’exécutif.
Donc, le parlement vient de fixer l’ONDAM , l’objectif national d’évolution des dépenses d’assurance maladie (à 629,8 milliards pour 1999, soit une majoration de 2,6% par rapport à 1998), mais c’est l’État qui en fixe la répartition, en particulier entre l’hôpital et la médecine de ville et, à l’intérieur de celle-ci, entre généralistes et spécialistes – gardant ainsi la pleine maîtrise de ses applications. Encore faut-il préciser que le taux d’augmentation porte sur l’objectif théorique fixé l’année précédente : les dépenses réelles ayant excédé celui-ci, l’augmentation effective de celles-ci pour 1999 sera très inférieure à ce taux affiché.
Pour assurer la réalisation de cet objectif, la loi met en place une clause de sauvegarde économique qui autorise le pouvoir à récupérer les dépassements dudit objectif auprès des ordonnateurs de dépenses ; ce sont les fameux reversements, " affinés "( ?) dans leurs mécanismes. En fait, cette clause est mise en œuvre dès lors que le taux d’augmentation prévu est dépassé, après un " tunnel de neutralisation ", soit une marge de variation de 10% par rapport à ce taux d’augmentation (dont la ventilation entre généralistes et spécialistes est fixée, rappelons-le, par le gouvernement et non par la loi). Si par exemple, le taux de croissance " autorisé " est de 2%, la clause de sauvegarde sera mise en œuvre dès que le taux réel aura atteint 2,2% (c’est dire que pour les résultats de 1998, et pour les spécialistes, sa mise en œuvre est à peu près inévitable). Cette clause permettra alors la récupération de 100% des honoraires excédentaires et de 5% du montant des prescriptions également excédentaires . Ce qui revient à dire que les praticiens auront non seulement à restituer les honoraires " trop perçus " mais également à payer de leurs deniers une part des dépenses en prescriptions qui, par définition, ne sont pas rentrées dans leur trésorerie : si cela n’est pas dissuasif ? !
Par ailleurs, au nom d’une supposée responsabilité collective, ces reversements seront à effectuer par tous les praticiens concernés, même si individuellement ils n’ont pas dépassé ou sont restés en deçà de l’objectif : simplement, le niveau de ces reversements sera modulé en fonction des revenus (BNC) de chacun. Cela s’appellera la contribution conventionnelle, qui sera, maigre consolation, déductible. Les praticiens installés depuis moins de 7 ans en seront dispensés. Le taux de cette contribution sera fixé au plus tard le 31 juillet de l’année suivant le constat du dépassement. Si le praticien refuse de payer, il pourra, dans un délai de deux mois, être déconventionné (pour 6 ou 12 mois…).
Mais comme si ce mécanisme ne suffisait pas, il est également prévu un bilan quadrimestriel de l’évolution des dépenses au terme duquel le gouvernement pourra décider d’une modulation de la valeur des actes (lettres-clé), modulation qui pourrait, elle, être différenciée selon les spécialités – toujours à l’estimation du gouvernement.
A suivre
Gérard Bles
(A suivre, parce que nous sommes loin d’avoir épuisé l’énumération des dispositions nouvelles, et surtout parce qu’il reste à en développer une large discussion critique propre à alimenter l’argumentaire et l’action syndicale et politique. On pensera en particulier au concept de responsabilité collective, qui dès à présent, d’ailleurs, doit faire l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel).