Réglementation des psychothérapies

Robert M. Palem
Retour au sommaire - BIPP n° 28 - Janvier 2001

Je réagis, comme on nous y invite, au texte de mon ami Yves Leclercq sur la «Réglementation des psychothérapies» (PT) paru dans le dernier BIPP (n°27) : débat purement technique et non querelle de personnes, est-il besoin de le préciser, que facilite un certain recul. Je commenterai brièvement 4 points de son texte :

1 - «La Psychanalyse constituant toujours le modèle de référence...»
Disons plus exactement un des plus anciens, des plus séduisants, le plus élaboré. En pratique oui, hier, peut-être plus aujourd’hui et pas forcément en droit : la Psychanalyse est une Psychothérapie, une espèce du genre. Il y avait des Psychothérapies avant Freud. Le mot, donc la chose, apparaît au moins en 1803 (Reil). Et Freud lui-même déclare, en 1904, que «la Psychothérapie n’est nullement une méthode curative nouvelle. Bien au contraire, c’est la forme la plus ancienne de la thérapeutique médicale».
CJ. Blanc (au Colloque de Perpignan, le 30 sept. dernier) déclare: «La classique cure freudienne n’apparaît plus aujourd’hui comme l’horizon indépassable de toutes les psychothérapies, même si elle a favorisé leur essor en ouvrant largement la voie, ce dont il faut la remercier...»
Il y a des nouveaux venus, pas sans arguments, résultats, ni théorisations : systémistes, hypnotistes, cognitivo-comportementalistes (CC), etc. Il y a concurrence et, paraît-il, un «syndrome du divan vide» (la Presse), au point que la chère El. Roudinesco vole au secours des analystes (cf. son dernier livre : «Pourquoi la psychanalyse?») et s’insurge contre ces odieux ersatz venus les concurrencer.

2 - «La proportion des psychiatres psychanalystes... en baisse drastique» :
Oui sans doute et plus encore qu’on ne peut l’imaginer, car il y a un biais statistique à l’AFPEP/SNPP : ses membres [on a même dit il y a quelques années que le SNPP était le «Syndicat des Psychanalystes Parisiens»] ont toujours eu une orientation analytique prépondérante (analystes patents ou franc-tireurs, sympathisants, pratiquants des PIP et des POP, clandestins...). On vient à l’AFPEP en le sachant, et le discours freudo-lacanien y sert d'espéranto. Si on n’aime pas ça, on va ailleurs : dans les sociétés savantes et les autres groupes de réflexion (SMP et sociétés catégorielles : les CC, les sexologues, les systémistes, etc.).
L'AFPEP a peut-être permis aussi pendant longtemps, et c’est tout à son honneur et au mérite de Gérard Bles (comme s’y employait jadis Ey en son fief bonnevalien, avec les plus grands), à des analystes d’obédiences diverses (SPP, APF, EFP, 4ème groupe, la Cause...) de rencontrer les autres sans perdre la face et en sachant (désirant ?) qu’il faudrait un jour composer et dialoguer, entre eux et avec les autres psychothérapeutes.

3 - «Si l’acte Psychothérapeutique peut être un acte de médecin, il a une structure radicalement opposée à celle d’un acte médical...»
Je suis frappé de voir Axel Kahn, le brillant médecin généticien (Le Monde du 16 nov.2000) dire que «le but de la médecine, la santé, est un élargissement du champ des possibles», ce qui pourrait être, me semble-t-il, une définition tout à fait satisfaisante... de la psychothérapie.
La déclaration de Y. Leclercq me paraît donc, sinon contradictoire in se, du moins excessive. Je dirai simplement différente (au lieu d’opposée) et peut-être moins qu’on ne pourrait le penser : ça dépend des personnes. Mais ça dépend aussi des principes (statut, éthique) et il faut les rappeler inlassablement : La psychiatrie est une branche de la médecine (Ey) dont elle reprend la visée : soigner, soulager, diminuer la souffrance, guérir si elle peut.
Si la Psychanalyse sert aussi à ça (et elle le peut, même si la guérison ne vient que «par surcroît» comme le disait Lacan, qui l’a emprunté à P. Janet), tant mieux : il n’y aura pas de déchirement ni de malentendu...
Mais si l’on n’a pas cette vocation soignante au départ (fut-elle à interroger par une épreuve de mise en question (Ch. Brisset) - et de ce point de vue, l’analyse didactique ne me paraît pas appropriée à sonder la vocation médicale : d’abord ça n’est pas son but, et ensuite s’il advenait que la vocation soignante soit une névrose, ce qui est probable dans un grand nombre de cas, il faudrait assurément n’y point trop toucher-)
... ou si on ne l’a plus, il ne faut pas encombrer la profession, s’épuiser à ferrailler avec la Sécu et ses contrôles, et tromper son monde avec sa belle plaque de médecin patenté.
Nous sommes : 1° médecins 2° psychiatres 3° psychanalystes... ou cognitivo-comportementaliste, systémiste, reichien, transactionniste, hypnothérapeute, etc. selon un vecteur (gradient) qui va du choix éthique (la Médecine : soigner, soulager) à un choix technique: de telle Psychothérapie (Psychanalyse comprise) ou de telle autre. D’accord ou pas, il faut savoir que c’est le seul discours cohérent que peuvent comprendre et admettre les pouvoirs publics et leurs technocrates.
Mais recentrons le débat : où est le problème ? pas à mon avis dans la «structure» de l’acte comme le dit Leclercq, mais dans ses motivations profondes (plus proches ici de Marx que de Freud). Le problème n’existe, en fait, que parce que les médecins psychiatres analystes voudraient avoir la sécurité économique (le minimum garanti) du conventionnement des médecins (= solvabilité assurée de la clientèle) et, en plus, la liberté d’honoraire du psychanalyste. D’où à mon avis, depuis 20 ans, et malgré les efforts considérables de G. Bles, l’image indécise (flottante, à l’image de ses honoraires ?) du psychiatre privé qui...
a)... n’a pas le profil habituel du médecin et qui met plus en avant ses qualités d’analyste parce qu’il est constamment en quête (en chasse) de ce type de clientèle pour laquelle il s’est programmé (le syndrome YARVIS).
J. Sutter, il y a quelques années, du haut de sa chaire d’enseignant de la psychiatrie (et il fut un enseignant de qualité et un excellent patron) déplorait cette dévalorisation du personnage du médecin psychiatre par les psychiatres eux-mêmes et pas seulement parce qu’ils jetaient leur blouse blanche aux orties, pendant la période aiguë de l’antipsychiatrie des années 70. Mais il est bien intéressant et stimulant pour l’esprit aussi, en reprenant les dates et la chronologie de l’histoire, de réaliser que la Psychiatrie privée est née sinon en même temps que l’antipsychiatrie, du moins au plus fort de celle-ci, au début des années 70. Cela a certainement créé une confusion, au moins au niveau des inconscients et les lacaniens se sont trouvés par nature très à l’aise dans cet entre-deux (équivoque)
b)... et qui ne revêt et revendique les habits du médecin que lorsqu’il est menacé dans ses intérêts économiques (le CPSY, les actes en K) ou dans sa liberté (de prescription pour lui, de libre choix pour ses patients).

4 - Dernier problème soulevé par la chronique de Y. L ... c’est dire que quand on est dans le «registre privé»... la distinction entre Psychothérapie et épanouissement personnel n’a plus de portée pratique (= n’a pas à être fiée par la loi) ne nous lavera pas de tous soupçons pour ceux (Qui donc, au fait ?) qui veulent nous dépouiller.

En effet :

1° Comment, nous objectent-ils, peut-on être à la fois médecin conventionné (pour assurer et revendiquer, de fait, un service quasi public : des soins de valeur égale pour tous ceux qui se présentent) et dans le registre privé ? Porte-à faux car, pour eux, «il n’y a de mission de service public que lorsqu'il y a commande explicite et confirmée de la part de l'État» (Joëlle Dubois-Lefrere et Elias Coca*).

Et bien sûr, l’État ne nous demande explicitement rien sur les PT... dont il espère bien se débarrasser, sans frais et même en faisant de substantielles économies, sur les Psychologues.

2° Et si ça n’est pas une question de gros sous et d’«économies de la santé», il faut s’attendre à ce que, dans un second temps, on nous demande de faire la preuve que nous faisons bien de l’«épanouissement personnel» et non de la «manipulation mentale» ! Et même pour ça, vous le savez, il y a des politiques (devenus «législateurs prévoyants» pour la circonstance) qui voudraient en faire un fromage (une loi) de plus : peut-être le combat syndical de la prochaine génération de psychiatres... Voir le débat sur les Sectes qui s’amorce.

Mais peut-être que ce débat, lorsqu’il sera instauré ne concernera plus les psychiatres, mais bien les psychologues. On leur souhaite bien du plaisir : comme il y a quelques années lorsqu’ils ont pris notre relais au Tribunal pour les Expertises.

Robert M. PALEM

* «Maîtriser l’évolution des dépenses hospitalières : le PMSI». 1vol. Berger-Levrault,1992, 351p.


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