De quelle réforme s'agit-il !

Marc Maximin
Retour au sommaire - BIPP n° 34 - Décembre 2002

Il suffit de se rappeler les propos plus que maladroits de Jacques Barrot sur les "petits et les gros risques" qui, outre l’unanimité qu’il a faite contre lui, impliquent de par cette présentation binaire et simpliste une notion de panier de soins dangereuse et qui au vu du contexte et de la représentativité de ce monsieur nous impose à reposer sans cesse le débat de façon globale et politique en évitant de fonctionner sur le mode de l’immédiateté et de la réponse ponctuelle.

Isolés de leur contexte et compte tenu de ce qu’ils peuvent sous-entendre les propos de M. Barrot ont pour effet de clore tout échange sur ce qu’il en est de la responsabilisation. La notion de panier de soins nécessite un débat qui me paraît indispensable pour clarifier les points de vue et éviter des dérives que générerait une absence de position ferme à ce sujet.

Les différents systèmes de soins à l’épreuve actuellement dans le monde nous autorisent à affirmer que notre système de solidarité est le meilleur pour garantir la qualité et l’accessibilité des soins pour tous dans le respect de notre liberté d’action.

Ce constat tout positif qu’il est, nous impose une vigilance de tous les instants et un combat syndical intense et permanent pour préserver l’essence de ce système car il est en danger. Nous devons certes le moduler et l’adapter en fonction de l’évolution contextuelle et des besoins et surtout le restaurer pour retrouver l’essentiel de ces grands principes qui en font toute sa richesse : accessibilité générale à des soins de qualité, rémunérés à leur juste niveau dans le cadre d’une convention unique.

Qu’en est-il dans ce contexte d’une demande de généralisation du secteur 2, qui pour beaucoup semble une réponse rapide, simple et logique à la dégradation de nos revenus.

Le secteur 2 peut apparaître un avantage, non par le fait qu’il soit beaucoup plus rémunérateur (ce qui n’est absolument pas la réalité dans de nombreux cas), mais parce qu’il donne l’illusion de ne pas être pris dans le carcan de la sous-évaluation de nos actes, et surtout du fait que c’est un petit nombre qui l’a acquis et que c’est le fait même de ce petit nombre qui le rend viable.

La généralisation de ce secteur le positionnerait sur le mode du secteur 1, avec en plus, si l’on peut dire, les effets irréversibles et aliénants qu’il aura entraînés.

En effet, la généralisation et l’augmentation automatique des tarifs qui en découleraient (effet attrayant au premier abord) mettraient obligatoirement en place un nouveau système. La réponse paritaire à cette nouvelle donne médicale, devra être assumée par les initiateurs et les acteurs de ce changement. Ils n’auront pas d’autres recours pour fonctionner que de mettre en place un partenariat avec les assurances complémentaires (privées et mutualistes).

Les assurances occuperont peu à peu l’espace tarifaire pour arriver progressivement à le régenter (comme on peut le constater dans tous les pays qui ont ce mode de fonctionnement), avec à la clef, la mise en place d’une compétitivité et d’une concurrence entre confrères, la perte de liberté et un fonctionnement comme médecins référents d’assurances privées.

On voit bien que cette pseudo liberté est en fait une aliénation aux assurances privées avec un risque bien plus grand par rapport à notre liberté d’action mais aussi à la confidentialité et à l’accès sans entrave aux soins.

L’éthique de solidarité que l’on peut reconnaître à la Sécurité sociale n’est pas la caractéristique des assurances privées.

Par ailleurs, le problème de la pénurie de médecins ne peut se résoudre simplement par des mesures incitatives, il nécessite une refonte globale de la démographie médicale avec augmentation du numerus clausus, une réflexion approfondie sur les causes de la pénurie de certaines spécialités voire leur disparition programmée et aussi la nécessité d’aborder le problème de la pénurie géographique et donc de la répartition.

Au-delà de l’exigence d’une convention unique pour tout le corps médical, avec des volets spécifiques pour certains modes d’exercice, de la revalorisation nécessaire des actes, on doit rappeler l’insupportable des taxes et autres prélèvements et aussi des charges administratives grandissantes que doivent assumer les médecins. Il est nécessaire de revoir leur statut fiscal et administratif pour leur permettre de continuer à travailler sans être pris dans un étau qui pénalise leur travail et donc la qualité des soins.

Enfin la nouvelle nomenclature des actes médicaux (la CCAM), doit éviter d’opposer l’acte intellectuel à l’acte technique car en faisant ainsi elle fait le jeu d’une confusion et d’une réduction qui ne repose sur rien si ce n’est une recherche de quantification tarifaire. Dans l’acte de soins d’un médecin il n’y a pas ce clivage, cette dichotomie entre un savoir et une pratique. Tout savoir est rapport et ce rapport n’existe pas sans notre apport, tout savoir est un faire. Notre réponse adaptée à une demande, une souffrance tient compte de notre formation, de notre pratique et de l’expérience de chaque médecin à la place où il se situe.

Ceci pour dire que la prescription de psychotropes par un psychiatre ne s’inscrit absolument pas dans la même démarche que cette même prescription faite par un généraliste et que ceux qui veulent maintenir un lien réducteur et donc une confusion sur ce point viennent gommer la clinique et l’accompagnement psychothérapique complexe dans sa prise en charge du malade mental en psychiatrie.

On retrouve cette même approche réductrice avec l’accord cadre interprofessionnel (ACIP), impulsé par les Caisses en la personne de M. Spaeth, qui s’impose à tous si un seul syndicat représentatif de cette profession le signe. Ces mesures se négocient sous la menace et n’ont d’autre but que d’empêcher les négociations et la mise en place des revendications professionnelles nécessaires.

La santé est l’affaire de tous et nous concerne tous, aussi, plutôt que de vouloir une auto reconnaissance dans le cadre du secteur 2 avec toutes les conséquences que nous avons décrites, ainsi que la mise en place d’un ACIP non représentatif des réels enjeux de la profession, il me paraît essentiel de se battre pour une juste reconnaissance de notre pratique par la communauté. L’État doit tenir sa place et prendre des positions qui ne soient pas seulement des réponses ponctuelles ou des attitudes méprisantes et injustifiées mais permettre une mise à plat et une réelle élaboration entre tous les différents partenaires de la Médecine qui vit actuellement une situation d’urgence.

On voit bien l’ampleur du chantier, qui ne peut se résumer à des positions individuelles ou à des tractations politiciennes fondées sur la division et la coercition. Le combat syndical trouve là toute sa place et sa légitimité dans une lutte qui n’est pas seulement ponctuelle et contextuelle mais qui s’inscrit dans le temps et la prise en compte de toutes les données.

Le discours habituel sur le fait "qu’il n’y a pas d’argent", sur la culpabilité et la responsabilité d’une profession pour ce qui concerne la Santé n’est pas mature et ne repose sur rien si ce n’est sur des tentatives de déstabilisation et de division.

On ne doit pas s’inscrire dans une réponse a minima et confondre les moyens et le but. L’espace de liberté tarifaire qui vient en remplacement de l’actuel DE n’est qu’un outil de protestation et ne doit pas faire oublier notre priorité que représente la revalorisation des honoraires avec une consultation psychiatrique cotée C3 et une rémunération qui ne peut être inférieure à 50 euros.

On n’est pas dans un clivage manichéen entre privatisation et étatisation mais plutôt dans la recherche d’un nouveau modèle complexe qui prenne en compte le fondamental que représentent les soins gratuits pour le plus grand nombre grâce à la solidarité nationale.

C’est bien de politique qu’il s’agit et il suffit de voir pour les retraites la désinformation et la fascination pour les fonds de pensions avec les conséquences désastreuses qui s’en sont suivies dans de nombreux pays pour mesurer l’importance de la solidarité et du rôle de l’État comme tiers face à la logique très souvent attrayante mais trompeuse de l’argent et des systèmes par capitalisation.

Marc MAXIMIN


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