Résistance

Yves Froger
Retour au sommaire - BIPP n° 37 - Octobre 2003

18 mois de conflit, d’action syndicale, de protestations véhémentes n’ont pas été suffisants pour infléchir les positions du Ministre de la Santé M. Matteï qui vient de s’engager à ne rien proposer de consistant aux spécialistes libéraux.

La modification du R.C.M. était l’occasion de signifier aux spécialistes cliniques du secteur I dont font partie les psychiatres, par le geste politique fort que nous réclamions, la volonté gouvernementale de rétablir un peu d’équité dans un système profondément inégalitaire qui pénalise directement les praticiens de secteur I et leurs patients.

Nous avons rencontré un conseiller technique au ministère M. Lucbereihl, le chargé de mission pour la psychiatrie, le Dr Philippe Clery-Melin, et enfin le Ministre lui-même quand il a reçu une délégation des États Généraux. Tous ces entretiens nous ont permis de réaffirmer nos exigences de revalorisation du Cpsy à 50 euros, du maintien d’une cotation unique pour notre acte, de la nécessité d’un espace de liberté tarifaire, du respect des spécificités de notre pratique notamment la psychothérapie et du temps nécessaire à son déroulement. Autant de raisons de nous être engagés massivement dans le mouvement de protestation aux côtés de nos autres collègues.

N’oublions pas que de nombreux psychiatres revendiquant un peu de liberté et une plus juste et légitime rémunération de leur travail, par l’utilisation élargie mais avec tact du D.E., sont maintenant sanctionnés par leurs C.P.A.M. qui suspendent les participations des Caisses aux charges sociales des praticiens.

Jamais le front du refus d’une situation devenue intolérable n’avait entraîné de telles attitudes.

N’oublions pas non plus les mouvements de déconventionnement pour imposer la reprise de négociation conventionnelle propre à rétablir pour les médecins des conditions de travail et de rémunération dignes pour la profession.

Tout ceci pour rien. M. Matteï nous oppose une fin de non-recevoir qui n’est pas sans rappeler celle de M. Spaëth en janvier dernier. La convergence de leurs attitudes ne manque pas de nous interroger quant au projet des tutelles pour la médecine spécialisée libérale en général et la psychiatrie en particulier.

Tout comme les exigences de J.-M. Spaëth en janvier dernier, lors de la pseudo-négociation conventionnelle, la rédaction de l’avenant du R.C.M. par M. Matteï renforce la tutelle de l’État. Plutôt que d’augmenter le Cpsy (ou le Cs) M. Matteï a fait appel à un artifice très compliqué appelé majoration forfaitaire transitoire, non cumulable avec le D.E. et ayant précisément pour but principal d’en limiter l’utilisation. C’est-à-dire que M. Matteï verrouille encore un peu plus le dispositif conventionnel sur lequel repose notre mouvement de protestation. Il se fait ainsi l’allié des Caisses pour forcer les protestataires à la capitulation.

Nous touchons là le point capital auquel nous sommes arrivés sous l’impulsion de M. Spaëth dans un premier temps et du Ministre ensuite avec la complicité du président de la CSMF, M. Chassang, ce qui nous a amenés à rompre avec la CSMF.

Nous percevons bien à quel point l’enjeu majeur du mouvement devient le refus de toute tentative d’inféodation. Nous avons rejeté le relevé de conclusion du 10 janvier pour cette raison, de la même façon nous choisissons d’ignorer cet avenant du R.C.M., comme bon nombre d’entre nous l’ont fait en août 1999 refusant la télétransmission. Notons enfin que ce refus de revaloriser le CPsy n’est pas de bon augure avant le début des négociations pour la mise en place de la future CCAM des actes cliniques que nous aborderons avec un Cpsy à 34,30. Le qualificatif de transitoire pour cette majoration trouve sans doute ici toute sa justification.

Nous n’avons donc aucune raison d’abandonner la contestation, et le risque le plus important actuellement est peut-être que la parution de cet avenant du R.C.M. nous divise. Ne nous méprenons pas, bien plus qu’aux impératifs économiques et financiers qui nous sont opposés de façon incontournable, c’est à une reprise en main idéologique qu’obéit cette stratégie conjointe de la CNAM-TS et du Ministère de la Santé qui poursuivent l’objectif d’encadrer, de rationaliser, de rendre totalement transparente, de protocolariser notre pratique médicale. Aucun acte, pas même la plus infime partie de nos actes (cf. PMSI) ne doit échapper à ce contrôle qui réduit à néant toute initiative personnelle et remet en question l’idée même de l’engagement thérapeutique du médecin. Quel espace reste-t-il pour une psychothérapie, quelle qu’elle soit, quand tout est codifié, le début, le nombre de séances et le but à atteindre ?

" Homme libre toujours tu chériras… ".

C’est bien d’un combat pour notre liberté de penser et d’agir dans toutes les dimensions de notre pratique qu’il s’agit.

Nous devons donc rester mobilisés et poursuivre notre mouvement de protestation sous toutes les formes possibles.

1) Le plus cohérent serait de ne jamais coter M.P.C., y compris dans les cas où nous ne prenons pas de D.E. Cela permet à nos collègues du secteur II de participer au mouvement. Enfin et surtout, nous signifions sans ambiguïté à M. Matteï que nous rejetons son texte. Les premiers échos que nous avons montrent que cette attitude ne fait pas l’unanimité chez les plus actifs. C’est donc au cours des réunions locales que devra être déterminé le mode de rejet du R.C.M., rejet qui reste un impératif absolu…

2) Poursuite de l’utilisation la plus large possible du D.E. malgré les décisions de sanction des Caisses. Nous savons maintenant que la revendication de notre liberté, dans toutes ses dimensions, passe par cet espace de liberté tarifaire symbolisé actuellement par l’utilisation élargie du D.E. que les tutelles nous refusent. C’est pourquoi nous avons demandé à nos conseillers juridiques de développer pour nous les arguments nous permettant de contester ces sanctions devant le Tribunal Administratif. Nous tiendrons ces dossiers à votre disposition dès qu’ils seront prêts. Enfin, nous réfléchissons aussi à des dispositifs valides tant sur le plan légal que sur le plan fiscal pour collecter des fonds et manifester très concrètement la solidarité de tous les psychiatres libéraux à l’égard des quelques psychiatres arbitrairement sanctionnés. Le soutien et la défense de nos collègues sanctionnés doivent constituer la priorité de notre action syndicale. C’est en leur permettant de continuer à utiliser très largement le D.E. que nous remporterons le combat syndical.

3) La demande de passage en secteur II (cf. lettre aux adhérents).

4) La grève de la télétransmission.

5) La multiplication des actions juridiques et notamment la contestation du R.C.M. qui ne respecte pas l’égalité des praticiens et donc l’égalité de soins pour les patients, et qui ne prend pas en compte l’évolution vertigineuse des charges professionnelles des praticiens ne leur permettant plus de soigner les patients dans les meilleures conditions et de faire face aux obligations déontologiques.

Toutes ces actions nécessitent une large adhésion au niveau local afin que les médecins sanctionnés soient assurés de la défense solidaire de leurs collègues.

Au moment où se profilent la réforme de l’Assurance Maladie et la mise en place de la future CCAM des actes cliniques, nous devons nous imposer au rang des interlocuteurs incontournables.

Ne perdons donc pas de vue notre objectif d’une convention unique pour tout le corps médical. Convention unique signifie aussi secteur unique, et le projet de secteur unique à honoraires modulables élaboré par la FMF nous paraît actuellement le plus cohérent et le plus adapté. Cela suppose la reprise de négociations conventionnelles sous l’égide de syndicats réellement représentatifs.

La signature d’une convention dignement négociée reste le seul moyen d’échapper à toutes les tentatives d’aliénation des tutelles.

Yves FROGER


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