Cohérence

Jean-Jacques Laboutière
Retour au sommaire - BIPP n° 37 - Octobre 2003

Après la mise en place du Règlement Conventionnel Minimum en 1998, l’avenant du R.C.M. de septembre 2003 signe donc pour la deuxième fois l’échec des négociations conventionnelles pour les spécialistes.

Ce n’est pas aux psychiatres qu’il faut apprendre que, quand l’histoire se met à balbutier ainsi, les explications strictement conjoncturelles ne peuvent suffire à comprendre ; il devient impératif de s’intéresser à la structure afin de tenter de repérer quelles forces souterraines sont à l’origine de la répétition.

La structure à laquelle nous avons affaire est la Convention elle-même. Cela signifie-t-il qu’elle soit condamnée ? Faut-il envisager de passer à un autre système ou bien, y sommes nous déjà passés à notre insu ? Que faudrait-il alors proposer pour maintenir la viabilité de la médecine libérale ? Autant de questions auxquelles il est désormais urgent de confronter la réflexion syndicale parallèlement aux actions concrètes destinées à regagner un niveau d’honoraires décents.


Convention Nationale et spécialités libérales
 

Mise en place par la loi du 3 juillet 1971, au terme d’un travail parlementaire dont l’initiative préalable revient conjointement à la CSMF et à la CNAM-TS, alors pilotée par le syndicat Force Ouvrière, la Convention Nationale régit depuis cette époque les rapports entre les médecins libéraux et les trois Caisses Nationales d’Assurance Maladie (CNAM-TS, M.S.A. et CANAM), issues de la réforme de la Sécurité Sociale de 1967.

Il n’est pas sans importance, puisque l’on parle actuellement beaucoup de décentralisation, de noter d’emblée que cette convention s’inscrivait dans un mouvement - alors très affirmé - de centralisation ; elle visait à réorganiser à l’échelon national un système jusque-là essentiellement départemental, préalablement consacré par la convention de 1961.

Le texte de loi prévoyait que cette Convention Nationale soit régulièrement renégociée tous les quatre ans. Commencé en 2002, c’est donc le huitième cycle de négociations qui vient de se clore, et le second qui échoue à donner une convention aux spécialistes, tout comme celui de 1997-1998.

Un rapide retour sur l’histoire conventionnelle permet d’emblée de mettre en évidence deux tendances lourdes du fonctionnement conventionnel :

  • Reprenant l’esprit de la convention départementale de 1961, le pacte fondamental de la Convention Nationale était basé sur l’échange suivant : les praticiens libéraux renonçaient à leur liberté d’honoraire, en contrepartie de quoi les Caisses d’Assurance Maladie s’obligeaient à maintenir leur rémunération (que ce soit à travers le niveau d’honoraires ou la prise en charge de leurs cotisations sociales) à un niveau suffisant pour assurer la meilleure qualité des soins. Or ce pacte n’a jamais été vraiment respecté par les Caisses.

  • En dépit de toutes les dénégations, les pouvoirs publics ont toujours cherché à promouvoir un système de soins de première ligne au détriment de la médecine libérale de spécialité.

Le premier point est devenu crucial dès les négociations de la 3ème Convention Nationale et s’est soldé par la mise en place du secteur II en 1981, supposé régler la question du montant des honoraires pour les spécialistes, du moins jusqu’à sa fermeture en 1989.

L’évolution des honoraires depuis cette époque est assez évidente pour n’appeler aucun commentaire supplémentaire : le constat de la défaillance des Caisses au regard de leurs engagements envers les médecins libéraux s’impose de lui-même.

Le second point est tout aussi visible. Il s’affirme clairement à partir des négociations de la 5ème Convention quand Claude Évin, Ministre de la Santé, admet de manière totalement illégale en 1989 un syndicat de généralistes, MG-France, à la table des négociations. Légalisant ce coup de force six mois plus tard par un 49.3 à l’Assemblée Nationale, il fait voter du même coup la possibilité de conventions séparées pour les généralistes et les spécialistes. L’annulation de cette 5ème Convention par le Conseil d’État en 1992 ne pourra rien changer à ce qui a été ainsi inscrit par force dans la loi.

Après la relative accalmie apportée par la 6ème Convention de 1993 – à laquelle les spécialistes doivent leurs dernières augmentations conventionnelles d’honoraires, mais qui a été assassinée par les ordonnances Juppé-Barrot du 24 avril 1996 – le principe de la division conventionnelle entre la médecine générale et la médecine de spécialités sera donc systématiquement imposé à partir des négociations de la 7ème Convention Nationale en 1997. Depuis lors, observons que les spécialistes n’ont plus de convention, mais uniquement un R.C.M.…

Parallèlement, le nombre de spécialistes en formation a été diminué de telle manière que l’on ne s’y serait pas pris autrement si l’on avait délibérément voulu instaurer la pénurie de ces derniers, ou bien les réserver au seul service public.

Il ne fait donc aucun doute que cette différence de traitement entre généralistes et spécialistes n’est pas un accident de l’histoire mais traduit bien une volonté délibérée et ancienne de la puissance publique de réserver ses faveurs à la seule médecine libérale dite "de première ligne". En tant que spécialistes cliniciens, nous ne devons pas nous laisser aveugler par le fait que nos confrères dont l’exercice repose sur des diagnostics ou des traitements impliquant des techniques coûteuses demeurent financièrement plus favorisés que nous : ce sont bien tous les spécialistes libéraux qui sont menacés par ce mouvement.

L’histoire de la Convention Nationale nous pose donc une première question : nos tutelles accepteront-elles encore qu’il existe des spécialistes conventionnés ?

Vers une réforme de l’Assurance Maladie

Par ailleurs, cette histoire conventionnelle est elle-même prise dans l’évolution d’un contexte social et politique dont les tendances structurales ne doivent pas non plus être ignorées pour éclairer notre réflexion.

Au-delà des politiques nationales et des alternances gouvernementales, la société européenne est globalement emportée dans un mouvement de libéralisation économique qui, pour ce qui concerne l’Assurance Maladie, se traduit par au moins deux impératifs :

• d’une part diminuer autant que possible le financement lié au travail afin d’augmenter la productivité des entreprises, ce qui suppose une diminution des cotisations d’assurances maladies au bénéfice de la fiscalité (CSG) ;

• d’autre part, réinjecter le maximum de capitaux dans les circuits économiques non administrés, c’est-à-dire capitalistes : fonds de pension pour les retraites, assurances privées pour l’assurance maladie.

Le fait que le traité de Maastricht conserve une totale souveraineté à chaque état européen pour organiser son système de soins comme il l’entend ne constitue pas un rempart face à ce mouvement de fond ; il s’avère au contraire une arme redoutable pour permettre la réforme de la protection sociale si le pouvoir Politique national est convaincu de la nécessité de cette libéralisation, ce qui semble bien être le cas actuellement en France. En effet, personne ne peut plus douter que nous ne soyons à la veille d’une profonde réforme de notre système d’Assurance Maladie.

L’échec des négociations conventionnelles, la mise en place de l’avenant du RCM en septembre dernier, l’aval que la CSMF a tenu à donner à cet avenant alors qu’elle n’en avait pourtant aucune obligation, doivent se relire dans cette perspective. Dès lors, il devient évident que les intérêts des médecins spécialistes ont été sacrifiés à la réalisation du plus important des préalables de cette réforme : la constitution d’une triple alliance entre le Ministère de la Santé, la CFDT et le MEDEF qui pilotent la CNAM-TS et la CSMF, afin d’assurer autant que possible la mise en place de cette réforme.

Nul n’est besoin d’être prophète pour savoir quels seront les principes de cette réforme puisqu’ils découlent mécaniquement des principes mêmes de l’économie libérale et qu’ils sont déjà à l’œuvre dans les pays qui ont déjà fait ce choix. Ils tiennent en peu de points : maintenir autant que possible la dépense socialisée de l’Assurance Maladie, c’est-à-dire la part de la Sécurité Sociale, autour de 6 ou 7 % du PIB (au lieu de plus de 10 % actuellement) ; réserver cette part au gros risque sanitaire par l’introduction du panier de soins ; transférer la prise en charge du petit risque aux assurances privées pour les populations solvables qui devront payer ainsi cette part des soins ; administrer rigoureusement la prise en charge socialisée des populations insolvables, au risque de les exclure parfois des soins dont ils auraient besoin.

Or l’on voit que ces quelques principes font immédiatement peser plusieurs contraintes très fortes sur la médecine libérale spécialisée :

Dès lors que le système de soins est organisé autour de la distinction radicale entre le gros risque et le petit risque, le périmètre d’intervention de la médecine spécialisé ne peut que tendre à se réduire à la prise en charge du gros risque.

La distinction entre gros et petit risque ne peut que reposer sur le système de soins de première ligne, a priori non spécialisé, non seulement parce qu’il est supposé recevoir toutes les demandes, mais surtout parce qu’il est seul juge du point à partir duquel son niveau de compétence est dépassé. Le seul moyen de l’éviter est de mettre en place des protocoles ou des référentiels arbitrant ce partage des compétences.

Une médecine spécialisée libérale ne peut plus se justifier que dans la mesure où son fonctionnement apporte des avantages décisifs par rapport au système hospitalier public, que ce soit en termes d’économie de santé, de complémentarités de compétence ou de réactivité dans la réponse à la demande de soins.

Sans aller plus loin pour l’instant, il est donc d’ores et déjà évident que cette très probable réforme de l’Assurance Maladie va nous confronter à une autre question : sous quelles conditions une médecine spécialisée libérale pourra-t-elle se maintenir ?

Questions pour la psychiatrie libérale

En tant que spécialistes libéraux nous en sommes donc là : d’une part, une Convention Nationale dont le bénéfice, du fait de dénaturations successives sous la pression conjointe des Caisses et des Politiques de Santé, nous est refusé depuis maintenant cinq ans et pour au moins trois ans encore en l’absence de réforme de l’Assurance Maladie ; d’autre part l’annonce d’une réforme de l’Assurance Maladie dont les principes et les acteurs sont désormais connus et dont tout laisse craindre qu’elle ne subordonne la survie de l’exercice libéral de spécialité à de très fortes contraintes économiques et organisationnelles.

Mais en tant que psychiatres, que pouvons nous anticiper de tout cela pour notre exercice ?

À cet instant de la réflexion, le pire des dangers serait de nous obliger à anticiper des modifications de notre propre exercice à seule fin de nous adapter inconditionnellement aux évolutions du système. C’est précisément ce à quoi la CSMF a voulu nous obliger en janvier dernier, et c’est avant tout pour cela que nous l’avons quittée. La suite des négociations conventionnelles nous a montré que nous avons eu raison.

Au contraire, si nous devons faire évoluer nos modalités d’exercice, ces évolutions doivent se fonder uniquement sur les impératifs techniques et éthiques de notre pratique, et sur les élaborations théoriques qui les sous-tendent. Il importe donc plus que jamais de revenir aux fondamentaux de notre exercice. Ce sont d’eux seuls que découleront les différentes directions des actions à mener sur le plan syndical.

Sécurité sociale et psychiatrie libérale

Sécurité sociale et assurances privées

Le désavantage social lié à la psychose, mais aussi à d’autres pathologies, ne peut laisser le psychiatre indifférent quant à la place que les assurances privées pourraient prendre dans le système de soins. En effet, non seulement l’impact négatif de la maladie sur la socialisation du patient fait redouter que ce dernier ne puisse financer ses cotisations, mais encore il est notoire que les assurances privées ont tendance à exclure tous les risques dont les incidences financières sont peu prévisibles, ce qui est exemplairement le cas des décompensations psychiques.

Le partage entre petit et grand risque permettra sans doute de maintenir les patients les plus sévèrement atteints dans le périmètre de la prise en charge de la Sécurité Sociale. Cependant la plus grande vigilance doit s’imposer ici car, du fait du polymorphisme clinique des pathologies tout autant que du caractère souvent imprévisible des évolutions, une répartition de la prise en charge entre Sécurité Sociale et Assurances Privées uniquement fondée sur les diagnostics n’aurait pas grand sens et pourrait être synonyme d’exclusion du soin.

Ces précautions ne s’appliquent pas uniquement aux pathologies les plus sévères. En effet, qui parmi nous, hormis ceux qui ont fait le choix de pratiquer exclusivement comme psychanalystes, oserait prétendre que la psychiatrie libérale aurait pu connaître le formidable essor qui a été le sien sans la Sécurité Sociale et sans la possibilité de remboursement des soins instaurée par la circulaire Sournia de 1974 ?

En assimilant la consultation et la séance de psychothérapie, cette circulaire a fait davantage que donner aux psychiatres privés la souplesse de fonctionnement indispensable à leur pratique. Elle a reconnu ce qui est l’essence même de l’acte du psychiatre : une consultation tout à fait spécifique, impliquant une dimension psychothérapique quand bien même cette consultation resterait isolée, et dont le cadre peut pourtant être celui d’une psychothérapie réglée.

Nous devons être lucides sur le fait que, quels que soient les griefs que nous pouvons légitimement faire aux Caisses d’Assurance Maladie à propos de la revalorisation de nos honoraires, c’est d’abord la culture de la Sécurité Sociale qui nous a permis de bénéficier de ce cadre, culture directement dérivée de celle du syndicalisme ouvrier et avant tout fondée sur la solidarité avant de songer au profit. En dépit des postures que peuvent prendre certaines mutuelles à visage social, il est évident que nous n’avons rien de tel à attendre des assurances privées.

Le maintien de la Sécurité Sociale comme pivot du financement de l’Assurance Maladie doit donc demeurer l’une de nos premières revendications.

Le SNPP a soutenu cette revendication par son implication dans le travail collectif des États Généraux de la Psychiatrie dont la première priorité a été l’instauration d’un budget spécifique pour la psychiatrie. Il continue de la soutenir en appelant à participer aux Comités Locaux des États Généraux qui sont en train de se constituer partout.

Sécurité sociale et dépassements d’honoraires

En revanche, nous sommes aussi régulièrement confrontés à des prises en charge dans le cadre desquelles la réussite du traitement est subordonnée à la capacité d’engagement du patient. Cet engagement se traduit notamment par la prise en charge financière des soins.

Le système actuel ne permet sur ce point que de fonctionner en tout ou rien, remboursement intégral, au ticket modérateur prêt, ou bien aucun remboursement – et encore cela n’est-il parfaitement légal que depuis que le SNPP a contribué à faire établir en 1981 par le Conseil National de l’Ordre des Médecins une jurisprudence autorisant à ne pas faire de feuille de soins dans certains cas.

La possibilité pour le psychiatre de prendre dans ce cas un dépassement adapté aux capacités contributives du patient constitueraient sans doute un progrès technique au regard de la réglementation actuelle, allant objectivement dans le sens de l’amélioration de l’efficacité des soins.

Toutefois, ce progrès n’aurait de sens que dans la mesure où le tarif opposable de la consultation psychiatrique serait lui-même suffisant pour que le praticien ne soit pas économiquement acculé à prendre systématiquement des dépassements, comme cela est actuellement le cas.

En effet, tant que la CNAM-TS, qui donne le ton des trois Caisses d’Assurances Maladie dans les négociations conventionnelles, s’obstinera à maintenir les tarifs opposables au niveau ridiculement bas où ils sont actuellement tombés, aucun espace de liberté tarifaire ne peut prétendre satisfaire une nécessité technique et aller dans le sens d’une amélioration de la qualité des soins puisqu’il ne s’agit alors pour les praticiens que de survie, ce dont la légitimité ne se discute évidemment pas.

Parmi toutes les propositions qui circulent actuellement dans l’espace syndical, le secteur unique proposé par la F.M.F. représente sans doute ce qui se rapprocherait le plus de notre conception des choses. Il suppose par définition la suppression du secteur II, qui sert trop largement d’alibi aux Caisses pour refuser de relever les tarifs opposables des spécialistes, et permettrait aux psychiatres d’introduire l’espace de liberté tarifaire dont ils auraient besoin pour des raisons techniques.

Cette question s’articule en outre directement à la question de la psychothérapie du psychiatre, à propos de laquelle il nous faut reprendre, poursuivre et intensifier tous les travaux réalisés depuis 2001 au sein de l’AFPEP-SNPP (Séminaires sur les psychothérapies à Paris en mars 2001, à Avignon en juin 2002 ; aux Journées Nationales de Lorient en 2001 sur "le Métier de Psychiatre" et d’Avignon en 2002 sur "L’intime et l’argent").

Si, comme nous l’affirmons plus haut, le maintien de la Sécurité Sociale au cœur du dispositif de financement des soins demeure notre première revendication, la création d’un espace de liberté tarifaire est la seconde : il est indispensable à tous les praticiens dans les situations de crises telles que nous en connaissons actuellement pour survivre ; il est utile à l’efficacité des soins des psychiatres dans certains cas.

Nous soutenons actuellement cette revendication par le mot d’ordre de pratique du D.E. le plus large possible et de demande de passage en secteur II, qui nous semble à terme le meilleur moyen de faire accepter l’idée d’un secteur unique par les tutelles.

Sécurité sociale et convention

La Convention Nationale a-t-elle encore un sens pour régler les rapports entre les spécialistes et les Caisses si l’on nous en refuse systématiquement le bénéfice ? À l’évidence non.

Peut-on imaginer meilleur système que la Convention Nationale pour régir les rapports entre les médecins libéraux et les Caisses ? À l’évidence non.

Le paradoxe entre ces deux constats n’est qu’apparent. Comme le montre bien un bref retour sur l’histoire conventionnelle, c’est d’abord la division instaurée par la double convention généralistes – spécialistes qui prive les spécialistes de convention.

La convention ne peut survivre et ne garder son sens que si elle redevient une convention unique pour tous les médecins, généralistes comme spécialistes. Des volets spécifiques aux généralistes ou à certaines spécialités peuvent avoir leur intérêt, mais il doit y avoir une convention pour tous ou pour personne, sans quoi, c’est la convention elle-même qui est en danger de mort.

Le retour à une convention unique pour tous les médecins libéraux, admettant éventuellement des volets spécifiques pour certains modes d’exercices, est donc notre troisième revendication.

Le SNPP a affirmé son opposition aux dérives du système conventionnel actuel en quittant la CSMF. Il ne reviendra dans une centrale syndicale que sur la base de la revendication partagée d’une convention unique.

Accès au soin et psychiatrie libérale

De tous les principes défendus par le SNPP, l’accès aux soins pour tous est l’un des plus constants. Certains de nos adhérents s’étonneront donc sans doute de nous voir ainsi défendre l’idée d’un espace de liberté tarifaire qui peut paraître s’opposer directement à ce principe.

Il n’y a en fait aucune contradiction entre ces deux approches. En effet, s’agissant strictement de l’aspect financier de l’accès aux soins, il est clair que le mot d’ordre de dépassements ne concerne pas les patients les plus démunis, notamment ceux qui bénéficient de la CMU. En outre, les dépassements restent modérées, et en tout cas très en dessous de ce que nous estimons la juste valeur du CNPsy, soit 50 euros.

Mais le vrai problème de l’accès aux soins n’est pas financier en 2003.

À l’heure, en effet, où tous les cabinets libéraux de psychiatrie sont saturés, où le service public est submergé, le problème de l’accès aux soins est de trouver un psychiatre disponible, bien davantage que de payer ses honoraires. Il s’agit donc avant tout d’un problème de démographie.

Il s’agit aussi d’un problème d’organisation des soins. À l’heure où l’on parle de délégation des soins à d’autres intervenants que le psychiatre, à l’heure où l’on veut réserver la compétence du psychiatre à faire des diagnostics et à superviser les psychothérapies conduites par les psychologues, le problème de l’accès aux soins passe par la survie même de la psychiatrie libérale.

Le SNPP a, de longue date, pris sur ces sujets des positions claires et fermes : relèvement significatif du nombre de psychiatres en formation ; conception du métier de psychiatre réaffirmant sa compétence psychothérapique et qui ne doit donc pas se limiter à un rôle d’expert orienteur. Seuls contre tous les autres syndicats de psychiatres, nous avons même affirmé notre refus de superviser les indications et la conduite des psychothérapies réalisées par les psychologues dès lors que ces derniers satisferaient à des critères de formation suffisants.

À l’heure actuelle, c’est sur ces questions que se mènent les combats les plus déterminants pour l’accès au soin car il n’existe certainement pas aujourd’hui en France ni un seul psychiatre qui soit inoccupé parce que ses honoraires seraient trop élevés, ni un seul patient qui ne pourrait avoir accès à un psychiatre disponible que pour des questions financières.

En revanche, dans la perspective de la réforme de l’Assurance Maladie que nous évoquons, la question de l’accès aux soins risque d’être radicalement remise en cause en fonction d’un découpage arbitraire entre système de soin de première ligne et système de soins spécialisé.

Or ce découpage emprunté à la culture de la Santé Publique n’a pas grand sens pour le psychiatre libéral qui participe incontestablement aux deux systèmes. Nous devons donc, là aussi, rester vigilant et préparer nos arguments pour défendre notre place dans le système de soins de premier recours.

Psychiatrie libérale et santé mentale

Dans la perspective de l’instauration du panier de soins, l’un des pires pièges dans lequel la reforme de l’Assurance Maladie pourrait nous enfermer serait d’instrumentaliser à des fins économiques la distinction entre santé-mentale et psychiatrie pour opérer une distinction arbitraire entre gros et petit risque, rejetant ainsi tout ce qui ressortirait de la santé mentale hors du champ d’intervention des psychiatres pour le déléguer aux psychologues, aux généralistes, voire aux travailleurs sociaux.

C’est à juste titre que nous nous sommes battus pour dénoncer les confusions entre Santé Mentale et Psychiatrie (cf. le séminaire organisé à Toulouse en 2002 par l’AFPEP : "Santé mentale : où est la psychiatrie ?"). Cette nécessaire distinction entre les deux champs ne doit cependant pas aboutir à un découpage arbitraire des périmètres en fonction de catégorisations diagnostiques grossières telles que, par exemple : psychose = psychiatrie, névrose = santé mentale.

Chaque psychiatre sait bien à quel point la gravité de l’état d’un patient a finalement assez peu à voir avec le diagnostic et repose bien davantage à terme sur les modalités de prise en charge dont il peut bénéficier.

Sans développer plus avant ce point, il convient donc là aussi de maintenir la plus grande vigilance et de poursuivre les travaux déjà entrepris au sein de l’AFPEP-SNPP.


Conclusions

Au moment où se dévoile sans ambiguïté que les négociations conventionnelles des spécialistes ont été délibérément sacrifiées à la mise en place d’un jeu d’alliances tactiques en vue de la réforme de l’Assurance Maladie, l’action syndicale risque parfois de perdre en lisibilité alors qu’elle ne doit pourtant pas faiblir sur le terrain.

L’AFPEP-SNPP élabore et soutient de longue date un discours sur la place du psychiatre libéral dans le système de soins et sur les nécessités techniques indispensables à son exercice dont découlent très logiquement des prises de positions cohérentes sur l’organisation des soins et leur financement.

L’AFPEP-SNPP n’est ni pour ni contre une réforme a priori : elle examine les propositions ; elle les critique ou les approuve en fonction de ses propres principes.

Au-delà d’une lecture strictement conjoncturelle se contentant de rationaliser l’échec des négociations conventionnelles par des contraintes économiques particulièrement écrasantes, force est de constater que se manifestent actuellement des dérives structurelles qui poussent à de radicales modifications de notre système de soins pouvant à leur tour entraîner l’exclusion des patients les plus démunis et menacer sévèrement nos pratiques.

Militer activement contre l’échec des négociations conventionnelles en continuant à revendiquer un relèvement de nos honoraires est parfaitement légitime : c’est la survie de notre activité qui est menacée.

Mais notre militantisme ne s'arrête pas là : au-delà de la question des honoraires, les psychiatres préviennent qu’ils ne laisseront pas leurs patients être malmenés par une réforme du système de soins qui n’assurerait plus les conditions, reconnues parmi les meilleures au monde (cf. rapport OMS) d’un accès de droit égal pour tous à la santé.

Nos positions et nos mots d’ordres sont clairs :

  • Le SNPP défend la Sécurité Sociale, seule garante de l’équité dans la prise en charge des soins. Nous parlons bien d’une sécurité sociale respectueuse de l’indépendance professionnelle des médecins.

  • Le SNPP dénonce l’attitude de la CNAM-TS, qui ne résume pas la Sécurité Sociale, qui a toujours cherché à se défausser de ses engagements conventionnels en matière d’honoraires médicaux, faisant ainsi objectivement le jeu du patronat contre l’intérêt même des salariés qu’elle est supposée représenter.

  • Le SNPP dénonce l’attitude du Politique qui a constamment cherché à écarter les spécialistes du jeu conventionnel et qui est finalement parvenu à ses fins en mettant en place un système de double convention dont la preuve est désormais faite qu’il n’est pas viable après ce nouvel échec des négociations conventionnelles. C’est pourquoi le SNPP revendique le retour à une convention unique.

  • Le SNPP revendique un espace de liberté tarifaire, non pas de manière inconséquente au risque de pénaliser l’accès aux soins des plus démunis, mais parce que cela est devenu la seule garantie de survie de la médecine libérale de spécialité.

  • Le SNPP continue donc d’appeler, partout où cela est possible, à pratiquer des D.E. et organise la défense des collègues menacés par les caisses pour cette pratique.

  • Dans la même logique, le SNPP appelle les collègues de secteur I à demander le passage en secteur II, et là encore non pas dans un but corporatiste mais pour démontrer l’inanité du double secteur, dans la cohérence de son combat pour un secteur unique.

Jean-Jacques LABOUTIÈRE

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