L'AFPEP à la WPA

Antoine Besse
Retour au sommaire - BIPP n° 43 - Janvier 2006

Ces dernières années, le courant psychiatrique majoritaire dans le monde était celui lié à l’« Evidence Based Medecine » (E.B.M. : médecine fondée sur la preuve), psychiatrie construite autour d’un modèle bio-médical très réducteur. Selon ce courant, elle serait condamnée à devenir comme le dit J.-J. Lottin une « science » rationnelle, factuelle, technique, non intellectuelle, s’appuyant non plus sur l’expérience, l’intuition et l’observation, mais sur des données prémâchées, mises au point par des experts et fournies aux impétrants sous la forme de guides de bonne conduite ou pratique ou de référentiels et de protocoles efficaces immédiatement, selon eux puisque ÉVALUÉS ». Ce courant avait tendance à dominer les autres courants psychiatriques, niant toute spécificité à la discipline par rapport à l’ensemble de la médecine. Il a donc fallu constituer un front contre plusieurs pays. L’Association Mondiale de Psychiatrie (WPA) est donc devenue le lieu de ce débat. Dans notre souci de faire avancer une psychiatrie clinique (« patient based psychiatry ») dans le monde où régnait la domination anglo-saxonne. Souvenons-nous du thème du congrès WPA de Hambourg en 1999 : « one world, one language » et de l’abandon de la langue française comme langue officielle en 1993. Pourtant malgré ces handicaps, c’est à cet endroit-là que nous avons cherché des relais.

Déjà en 1978, Gérard Bles avait su à partir du congrès WPA d’Honolulu inspirer un mouvement « contre l’usage de la psychiatrie à des fins politiques » (IAPUP), tout particulièrement en URSS et obtenir trois ans plus tard l’exclusion de l’association des psychiatres russes de la WPA. Ensuite, les six associations psychiatriques françaises adhérentes à la WPA mirent beaucoup de temps à s’unir. Auparavant, il n’y avait eu que quelques initiatives de soutien de collègues français participant à des sections à la WPA, celle « des psychiatres de pratiques privés » où J.-J. Laboutière a contribué à la rédaction d’une charte.

Certains en ont créé de nouvelles comme « Psychanalyse en Psychiatrie » (S.D. Kipmann et M. Botbol) puis « Littérature et Psychiatrie » (Yves Thoret).

Peu avant les États Généraux de la Psychiatrie, l’AFPEP a soutenu J. Mezzich, l’ancien secrétaire général de la WPA, sur un programme proche des fondamentaux rappelés aux EGP. C’était H. Bokobza qui nous représentait au Japon. C’est pourquoi Juan Mezzich a répondu présent aux EGP avec le représentant ouest-européen, le Dr Martindale du « Royal College » de Psychiatrie britannique.

Ces alliances et ce soutien à cette nouvelle équipe refusant l’EBM réductrice, voulaient retrouver la psychiatrie de la personne avec un esprit d’aide aux patients proche de notre conception clinique, évolutive et non statistique, fermement opposée à l’autre conception atomisant les pathologies et les soins sous un individualisme désubjectivant.

Il est devenu enfin possible de trouver des alliances au sein de cette nouvelle équipe dirigeante élue au Caire en septembre 2005, avec un ensemble français presque unifié. Avec la conscience de plus en plus nette et claire que la psychiatrie ne pouvait se réduire à cette logique biomédicale.

Au-delà de la question de l’efficacité de nos pratiques se pose la question de la pérennité d’un point de vue spécifique si l’on enlève de son champ tout ce qui relève de la subjectivité. Cette nouvelle équipe appuie son émergence sur un discours théorio-pratique fondé sur :

    - « Réflexion sur la classification ». Il s’agit de préparer la ICD11 afin de prendre en compte ce qui a manqué à la ICD10 c’est-à-dire la dimension subjective et idiosyncrasique des troubles mentaux plutôt que le seul aspect global et basé sur l’interaction objectivante.

    - Travailler à l’élargissement de la définition de l’EBM en y incluant des méthodologies et des considérations qui prennent en compte la subjectivité des patients (ex : méthode de cas unique et monographie).

Tout cela avait sa correspondance au niveau politique car ces deux entreprises se heurtaient à la prévalence des équipes dirigeantes antérieures de la WPA. Cela s’accompagnait dans le récent passé un fort soutien de l’industrie pharmaceutique et de tous ceux qui avaient intérêt à ce que ce réductionnisme bio-médical prévalût. Il s’agit des tenants d’une science réduite à ces aspects regroupant ceux qui souhaitent administrer ou ordonner la psychiatrie comme une industrie (vision statistique, marketing, gestionnaire).

Le combat est loin d’être terminé. Cela a radicalisé les conflits de personnes. Ce qui explique :

    - Que l’on nous demande à nous psychiatres français d’exercer à la WPA une plus grande place en tant que tenants d’une psychiatrie plus humaniste résistante à ce réductionnisme;

    - Cela rend nécessaire une vigilance active. Trois Français font leur entrée au bureau WPA : nommé au Haut Comité des nominations 2005-2206 : Yves Thoret. Un autre a été élu à l’Assemblée Générale du Caire représentant de l’Ouest européen, Michel Botbol, et moi-même au Haut Comité des publications.

Ainsi défendre notre point de vue dans cette instance internationale participe à une logique associative où la démocratie se fait aussi par les liens.

Enfin, c’est le changement du siège de la WPA qui s’installe à Genève grâce à l’initiative d’un collègue genevois, F. Ferrero.

Lors du prochain congrès WPA les 12 - 16 juillet 2006 à Istanbul dont le thème « Uniqueness and Universality », l’AFPEP organise un atelier intitulé : « patient based Psychiatry in private practice » où 4 collègues évoqueront la question suivante : « la recherche sur l’universel peut-elle se passer de la réflexion et du travail sur l’unique et le singulier ? »

Antoine BESSE
Mantes la Jolie

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