Editorial
En quelques mois, la machine à détruire les principes républicains qui nous sont chers semble s’emballer : injonctions de soins dans la confusion entre traitement et punition ; double peine de l’hospitalisation après incarcération ; jugement des malades mentaux.
Comment avoir confiance dans un pouvoir qui s’applique à désigner des boucs émissaires ? Comment adhérer à une stratégie politique fondée sur l’exploitation du réflexe compassionnel qui s’appuie sur la sourde jouissance du morbide et du catastrophisme ? Comment ne pas réagir lorsqu’on induit l’inquiétude, la crainte de l’autre, pour justifier les atteintes aux libertés individuelles ? Comment accepter la violence faite à l’intimité par le développement des moyens de surveillance et de contrôle ou l’instrumentation de la misère d’autrui ?
Monter en épingle l’horreur d’un fait-divers relève de la manipulation au service du déni d’une réalité dérangeante. Pourquoi ne parle-t-on pas des vraies causes du malaise d’une proportion toujours croissante de nos concitoyens dont l’augmentation vertigineuse des suicides est le signe patent ? Pourquoi ne parle-t-on pas de la maltraitance au travail par un management qui joue sur la pression en mettant systématiquement en concurrence, en culpabilisant, en robotisant par des tâches de plus en plus protocolisées ? Pourquoi ne parle-t-on pas de l’abrutissement de la population par l’empire de la consommation aux dépens de l’éducation, de la culture et de la convivialité ? Évidemment, cela n’aurait pas le même effet. Les fondements du néolibéralisme en seraient ébranlés.
Et l’on voudrait, en plus, la caution des psychiatres en les intégrant dans ce processus mégalomaniaque où ils pourraient juger du risque de récidive, traiter les pervers. Le jour où l’on s’apercevra de l’imposture, haro sur le baudet ! Celui qui accepte une telle dérive de sa fonction peut s’inquiéter de son avenir.
Le soin, comme l’évaluation du risque à l’échelle individuelle, ne peut se concevoir que sans obligation de résultat.
Dans ce contexte, notre indépendance professionnelle est de plus en plus suspecte au regard de la productivité et de l’efficacité à court terme au nom d’une pseudoscience infiltrée par des intérêts économiques. Si nous abandonnons petit à petit notre indépendance de moyens, nous renoncerons bientôt à notre indépendance de pensée, insidieusement. Nous sommes des témoins qui peuvent devenir gênants, mais nous serons incontournables dès lors que, forts de cette liberté de penser, nous serons nombreux à dire les dérives délétères de notre société.
Depuis le développement de la psychiatrie privée dans la suite de sa séparation avec la neurologie en 1969, l’AFPEP s’est donné pour tâche de conceptualiser cette pratique. Nos aînés d’alors sentaient bien qu’il y avait là quelque chose d’essentiel à soutenir dans le registre de la désaliénation au sens large du terme. Claude Julien, alors rédacteur en chef du Monde Diplomatique, l’avait épinglé en nous lançant, à nos Journées Nationales d’Hyères en 1991 : « Vous êtes les garde-fous de la société ! ». Cette responsabilité-là, nous voulons bien l’accepter, avec d’autres, avec d’autres disciplines, à notre échelle, à l’échelle du patient comme à l’échelle de nos engagements nationaux et internationaux.
Ne croyez pas pour autant que cette noble cause soit désintéressée. Comme nous le rappelait récemment Jean-Jacques Laboutière, la plupart des pays se passent très bien de psychiatres privés. Notre libre pratique est plus fragile que certains pourraient croire. Ce n’est pas dans un repli frileux que nous sauvegarderons l’essentiel, mais dans les contacts que nous entretenons avec nos confrères d’autres pays ou d’autres modes d’exercice. Nous trouvons dans ces rencontres la meilleure légitimation de notre propre existence.
La psychiatrie privée s’est développée en France grâce à la solvabilisation des patients obtenue par la Convention avec la Sécurité sociale, fondée sur la solidarité nationale, qui a su préserver à l’époque notre indépendance professionnelle avec le paiement à l’acte et l’unicité de celui-ci. Vouloir différencier les premières consultations des suivantes est une erreur redoutable. C’est accepter de valoriser une position d’expert aux dépens de notre fonction de soin. C’est aller dans le sens de la dérive développée plus haut. Les seules variations acceptables de nos tarifs conventionnels ne devraient dépendre que des conditions circonstancielles d’accueil (intervention d’un tiers que ce soit la famille ou n’importe quel intervenant incontournable, visite, etc.). La consubstantialité de la consultation et la nature insécable de sa nomenclature sont des gages d’indépendance. Jamais la modulation de la valeur de l’acte ne devrait être une question de diagnostic, de traitement ou de quelque parcours de soins que ce soit.
Depuis les élaborations de l’AFPEP, et leur diffusion dans un effort de transmission et de représentation, jusqu’au combat syndical du SNPP, la ligne est cohérente. Le but est toujours le même : soutenir la profession dans le respect des valeurs qui la fondent. Pour la nouvelle convention qui va bientôt se négocier et la mise en place de la CCAM clinique, la qualité de nos alliances et notre force de conviction seront décisives. Parallèlement, l’AFPEP-SNPP s’efforcera de donner à leurs mandants des moyens pour s’acquitter de leurs obligations légales de FMC et d’EPP sans avoir à adhérer à des protocoles dérisoires et réductionnistes.
Olivier Schmitt
Niort