"Allez les petits !"

Frédérique De Oña
Retour au sommaire - BIPP n° 49 - Septembre 2007

Emprunté à un célèbre journaliste sportif, ce cri de guerre est d’actualité aujourd’hui pour évoquer les institutions du « Médico-Social ».

On pourrait en dire autant dans beaucoup d’autres domaines comme celui de la lutte contre la malbouffe par exemple. Il faut savoir, et donc faire connaître, les transformations qui s’installent dans ce secteur jusque-là (presque) inconnu des ministères, mais qui reçoit et soigne plus d’enfants que l’hôpital.

L’adage qui voudrait que pour vivre heureux il vaut mieux vivre caché semble avoir été celui de nombreux lieux de soins qui s’appellent IME, ITEP (anciennement IR) et d’autres actions de soins encore plus étranges que sont les Placements Familiaux Spécialisés (PFS).

C’est au titre de psychiatre d’un de ces Placement Familiaux Spécialisés que j’ai eu à mesurer les orientations politiques en cours.

Nous sommes une petite structure qui a choisi de confier à une association la gestion de ce service d’accueil familial créé pour des enfants relevant d’hôpitaux de jour.

Nous élaborons, publions, sommes intégrés au réseau de l’Intersecteur de pédopsychiatrie où nous intervenons, et avons obtenu l’an dernier des subventions pour une recherche sur les effets d’un placement sur la parentalité pour les anciens enfants placés dans notre service.

Or, ce que la DASS remet en question lors de sa récente inspection, ce n’est ni notre travail, ni nos références. Non. Ce que la DASS met en question c’est le fait que nous soyons PETIT ! (30 enfants, 20 familles d’accueil, 9 salariés).

Un confetti pour eux, une structure à échelle humaine pour nous !

Un décret de 2005 impose aux PFS d’être « associé à une discipline d’accueil ou d’hébergement ». Donc la DASS interprète : vous devez être adossés à d’autres structures plus importantes type IME ou ITEP, ou devenez social.

La loi (écrite par on ne sait trop qui) risque de casser un outil de soin et, comble du paradoxe, parce que nous sommes trop dans le cas par cas ! La DASS reconnaît que oui, nous rendons service au public, mais…

Oui mais voilà, il en va ici comme ailleurs (hôpitaux, éditions, agriculture intensive…), nos tutelles ne veulent plus avoir à faire qu’à un petit nombre de Directeurs Généraux garants de la gestion. L’intérêt des usagers si facilement mis en avant pour les médias n’est pas, sur le terrain, l’objet des préoccupations de nos organismes financeurs !

Comment raconter le rendez-vous avec le « médecin inspecteur-pecteur » — c’est ainsi qu’il se définira lui-même —, tant ce fut un moment ubuesque ?

Après avoir demandé aux psychologues du service les diagnostics de tous les enfants (ce qu’elles refusèrent), il n’en sera jamais question avec moi, médecin du service, et il partira sans même avoir regardé un dossier d’enfant… Il faut dire qu’il faisait chaud ce jour de juin.

Que dire de ce genre de manœuvres ? Ce qui devrait être un contrôle nécessaire se transforme en accusation menaçante. Exemple : le « pecteur » de la DASS ponctuait invariablement ses entretiens d’une phrase comme « Pas trop traumatisées vos psychologues ! » qui laissait entendre que, si nous ne l’avions pas vu venir, le boulet du canon venait de souffler.

Il est regrettable que ces visites viennent déstabiliser un service déjà fort occupé à répondre au plus près à des enfants et des familles dans un très grand désarroi. Elles sont meurtrières (nous sommes effectivement menacés de mort) et contre-productives (nous prenons en charge les situations familiales dont les autres ne peuvent se charger !).

Mais à qui le dire ?

Je le rappelle, nous sommes un confetti dans le réseau de soins aux enfants… et qui plus est aux enfants en souffrance psychique, qui, pour certains, ont été gravement maltraités. Au fond, ces enfants n’intéressent pas grand monde (et que dire de leurs parents !) à part lors des coups médiatiques qui font pleurer dans les chaumières.

Ce qui est au-devant de la scène pour nos « interlocuteurs » c’est de rabattre du côté du social ce soin précis et délicat donné à des parents et des enfants en grande détresse.

Je n’ai rien contre « le social », évidemment, c’est pour ça que nous travaillons, pour que le lien social se reconstruise, mais je sais que ce dont il s’agit ici — tout comme dans le glissement du traitement de la psychose vers la prison — c’est une réduction de l’humain, un vidage du sens de la clinique. Cette clinique qui doit permettre l’émergence d’un sujet avec ce que cela suppose de liberté de choix, tant pour les parents que pour les enfants.

C’est une position très différente de celle qui promeut l’Individu tout en le sommant de s’assujettir à des images préfabriquées, orthonormées.

Que nous ne puissions plus être dans le champ du soin, cela ne changera pas le paysage de la pédopsychiatrie. Mais dans une époque qui commence à s’inquiéter pour son écologie, il serait dommage de rester insensible à la disparition de ces petites institutions qui sont menacées, alors qu’elles assurent une qualité d’intervention impossible dans de grandes structures.

Devrions-nous être absorbés par l’ASE ou mangés par de grosses structures alors que nous faisons du cas par cas ? Qui y gagnerait ? La gestion ? Et encore, c’est à voir…

Nous craignons que l’association ACLIMSS, créée après les Assises du Médico-Social, ne soit que trop tardive pour représenter toutes ces institutions qui, comme la nôtre, petites et sans tapage, assurent un vrai service à un public trop peu médiatique parce que formé d’exclus, de malades mentaux, de parents carencés et/ou maltraitants, de parents à qui on ne laisse souvent aucune chance de trouver une aide sans jugement préformé. Ce ne sont pas des parents qui peuvent s’organiser eux-mêmes en association…

Je voudrais que ce qui se passe dans ce petit, mais valeureux, Placement Familial serve de point de départ à ce à quoi doit servir l’ACLIMSS. C’est-à-dire, représenter un secteur qui a alimenté le soin psychique aux enfants et à leurs parents. Ce secteur est entrain de subir la main mise d’idéologies véhiculées parfois par des universitaires souvent fascinés par les sirènes nord-américaines dans ce qu’elles ont de plus stériles, ou certains sociologues dont les études sont parfois trop simplistes, voire par des associations de parents très respectables mais qui sont loin de représenter la diversité des problématiques à traiter.

Comme pour les prisons pleines de malades mentaux, ma complainte n’intéressera peut-être que peu de monde parce que beaucoup ne se sentiront pas concernés. Pourtant, nous vivons en société et chacun est responsable du bien-être d’autrui, au risque du pire.

Frédérique De Oña
Paris

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