Plaidoyer pour une passion

Gérard Bles
Retour au sommaire - BIPP n° 7 - Janvier 1996

26 octobre 1980 : "La très grande majorité des psychiatres privés [réunis à Nantes]... refuse l’idée même des contrôles “de qualité” que l’État pourrait exercer... dans le cadre de la réduction des dépenses de santé... à la recherche [du traitement] qui agit le plus vite et qui coûte le moins cher", manière de "ne s’occuper que des symptômes" aux dépens "des possibilités de traitement en profondeur" (Le Figaro, 28.10.1980).

A cela, le Pr J.-C. Sournia, ancien DGS, opposait que "les psychiatres... doivent être soumis aux mêmes servitudes morales et techniques que leurs confrères".

Décembre 1995 : 15 ans plus tard nous nous heurtons à un regain de pressions dans une perspective désormais clairement comptable - et certains d’entre nous paraissent s’y résigner, au nom du "réalisme" qui s’imposerait à nous, ce même réalisme qui, en face, ne s’accomodera pas indéfiniment de "l’indicible du sujet" pour privilégier enfin l’objet "scientifiquement cerné". Quelques uns même sont devenus les acteurs directs de cet aggiornamento !

D’autres, cependant, beaucoup, s’insurgent encore, refusent l’intoxication collective, s’obstinent à proclamer haut et fort le primat d’une relation soignante personnalisée sur les distributions RMOtisées de pilules validées par échelles DSMisées et programmées sur cartes à puce...

Une révolte passéiste ? Qui permettrait à de hauts responsables profes-sionnels de stigmatiser nos "états d’âme" de psychiatres ? Je suis pourtant convaincu qu’il est aujourd’hui particulièrement raisonnable de ne l’ être pas. Il n’est pas de vie sans combat, de combat sans passion. Ici, la passion de la liberté : liberté de se soigner, liberté de vivre à retrouver pour nos patients, liberté de travailler, de créer, d’innover pour les thérapeutes.

Une telle liberté n’a rien à voir avec le "n’importe quoi" : elle doit se conquérir tous les jours dans un effort constant et spécifique de recherche, d’élaboration, de formation, maîtrisé par nous-mêmes avec les instruments dont nous sommes dotés.

Notre passion exige, mérite cet effort. En 1996 plus que jamais.

Gérard BLES


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