Lettre à nos ministres (affaires sociales et santé)

Gérard Bles
Retour au sommaire - BIPP n° 8 - Mars 1996

Le 24 février 1996

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Secrétaire d’État,

A notre demande, nous avons été reçus le 16 février dernier par Madame Cazala, conseiller technique. Nous lui avons fait part de nos très vives inquiétudes, voire de notre complète opposition pour ce qui concerne la psychiatrie à un certain nombre des dispositifs de régulation et de contrôle actuellement envisagés par le Gouvernement.

Bien que Madame Cazala ait paru comprendre, sur nos explications, les caractéristiques propres à l’exercice libéral de la psychiatrie et reconnaître l’intérêt de celui-ci pour la santé individuelle et collective, les «apaisements» qu’elle s’est efforcée de nous apporter quant à ces mesures nous ont paru reposer beaucoup plus sur des perspectives de temporisation, de délais pratiques d’application, que sur une véritable remise en question de leur opportunité.

La psychiatrie libérale et son important développement ces vingt dernières années (actuellement plus de 6000 praticiens) ont contribué à modifier considérablement les conditions de prise en charge non seulement des troubles mentaux constitués mais plus largement de la souffrance psychique au sens le plus général, dans toutes ses formes d’expression.

Elle autorise ainsi une saisie particulièrement précoce des problèmes, au stade même du conflit initial, de la crise, avant que n’apparaissent les décompensations graves et invalidantes, exigeantes en moyens de soins lourds. De cette précocité, vous admettrez aisément l’intérêt non seulement sanitaire mais également économique, d’autant qu’il s’agit d’une pratique dans laquelle le travail relationnel, psychothérapique, joue un rôle fondamental alors qu’elle est modérément prescriptive, faiblement inductrice d’explorations complémentaires, sensiblement réductrice en matière d’absentéisme.

Ce travail, dans sa précocité même, est rendu possible non seulement par la disponibilité et l’accessibilité des praticiens (pour l’essentiel conventionnés), mais tout autant par les garanties de confidentialité qu’il offre aux patients dans un domaine qui touche au plus intime de la personne. Beaucoup d’entre eux accomplissent, en venant consulter, une démarche qui n’est envisageable que parce qu’elle reste totalement confidentielle, à l’écart des circuits médicaux classiques, à l’insu même parfois des familles, et qui met en jeu des données qui ne peuvent être divulguées.

Vous concevrez dès lors que la suppression de l’accès direct comme l’obligation d’inscrire des données concernant leur état dans le Carnet médical puissent venir directement contrecarrer une exigence tout à la fois légitime du coté du patient et garante d’efficacité du coté du soin.

C’est pourquoi nous ne pouvons nous satisfaire de l’inscription de la psychiatrie dans une filière de soins supprimant l ‘accès direct - même s’il ne s’agit dans un premier temps que d’applications expérimentales locales qui, ne seraient-elles qu’une exception, introduiraient une inégalité difficilement admissible entre les patients.

Tout autant, l’obligation de mentionner systématiquement l’intervention du psychiatre et son contenu comme la nature des troubles traités peut s’avérer non seulement d’une réalisation difficile dans les prises en charges de longue durée, mais surtout en complète contradiction avec le besoin de secret. La nature du support (papier ou informatique) pas plus que le codage (qui, indépendamment des problèmes scientifiques délicats que peut poser celui des pathologies, est, par définition, décryptable) ne résoudront la difficulté.

Au demeurant, un codage se pratique déjà depuis longtemps (et pour nous seuls) à travers l’existence d’une lettre-clé spécifique pour notre acte de base, la consultation (CNPsy et VNPsy). Il conviendrait à tout le moins que toute divulgation supplémentaire demeure facultative, soumise 1) à l’autorisation du patient, 2) à l’appréciation du thérapeute en termes d’opportunité technique (concernant un traitement pharmacologique par exemple) et éthique.

Il va sans dire, ajouterons-nous sur ce point, que nous avons toujours accepté le dialogue direct, encore que limité aux besoins d’ordre strictement médico-social, avec les médecins conseils. Il ne s’agit donc pas d’une prérogative que nous réclamons mais d’un impératif que nous cherchons à faire valoir au regard de la validité et de l’efficacité du soin.

C’est pourquoi, Monsieur le Ministre, Monsieur le Secrétaire d’État, nous souhaiterions pourvoir développer de vive voix, à votre intention, nos arguments fondés sur une expérience clinique désormais solidement assise, afin d’obtenir sur ces points des assurances formelles et non plus seulement circonstancielles.

Dr Gérard BLES


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