Sur l'éthique

Jean-Jacques Laboutière
Retour au sommaire - BIPP n° 8 - Mars 1996

LA SIGNIFICATION DE L’ÉTHIQUE
par Robert MISRAHI.

Collection Les empêcheurs de penser en rond.

Robert Misrahi nous livre dans ce livre une réflexion qui ne peut laisser le médecin, et particulièrement le psychiatre, indifférent. Face aux inquiétudes suscitées par les développements les plus récents des sciences biomédicales, l’auteur tente dans cet ouvrage de fonder une éthique médicale capable de répondre aux interrogations les plus déconcertantes.

Précisant d’abord en quoi l’éthique se distingue d’une part de la morale et d’autre part de la déontologie, il nous rappelle qu’il ne saurait valablement exister d’éthique du particulier. L’éthique médicale ne peut se concevoir que comme l’application à ce domaine précis d’une éthique nécessairement universelle. Sa réflexion s’organise donc en deux temps successifs. La première partie de l’ouvrage est consacrée à la recherche de principes suffisants pour juger la valeur de l’action en dehors de toutes références a priori, que ce soit d’ordre moral ou religieux. Dans la seconde partie, il expose les conclusions pratiques auxquelles le mène l ‘application de ces mêmes principes confrontés aux problèmes les plus cruciaux de la médecine, qu’il s’agisse de questions liées aux techniques récentes telles que le génie génétique, les techniques de procréation médicalement assistée ou les neurosciences, ou bien de problèmes éternels tels que la responsabilité médicale ou l’euthanasie.

Nous ne pouvons que saluer la démarche de l’auteur sur plusieurs points. Cette tentative de fondation rationnelle de l’éthique, dont le premier effet consiste à articuler l’éthique médicale sur une réflexion éthique générale, est extrêmement stimulante et nous fait passer, de par ce mouvement même, du souci déontologique à une réflexion vivante sur la valeur de nos actes. Par ailleurs, nous ne pouvons qu’adhérer à la ferme affirmation, tout au long du livre, de l’importance primordiale du patient considéré comme sujet, de la valeur inaliénable de sa liberté et de son droit à un épanouissement personnel qui doivent toujours être défendus par le médecin.

Néanmoins, cet ouvrage laissera sans doute le psychiatre-psychothérapeute extrêmement perplexe. Bien qu’il puisse reconnaître dans cet ouvrage la défense, fort bien argumentée, de principes éthiques auxquels il est viscéralement attaché, en dépit de la rigueur et de la clarté des raisonnements exposés, ou peut-être du fait même de cette clarté presque trop limpide, il se dégage à la lecture une impression de simplification excessive qui met mal à l’aise. L’existence de l’inconscient est évoquée, mais ses conséquences en terme de limites quant à une pleine connaissance de soi et quant à sa liberté ne sont pas prises en compte. L’importance du désir dans l’économie psychique est reconnue, mais l’auteur nous parle d’un désir qui ne connaîtrait aucun obstacle à rencontrer sa jouissance. Les deux pages de l’ouvrage consacrées à la psycho-thérapie et à la psychanalyse (pp. 141-142) font tressaillir quand l’auteur argumente sur un contresens de sa lecture de Lacan. Enfin, le projet existentiel proposé en conclusion, maîtrise par chacun de sa propre existence, laisse bien dubitatif... Le psychiatre ferme donc ce livre avec l’impression que l’auteur n’a fait que rejoindre le point illuminé d’idéal d’où il est lui-même parti il y a fort longtemps pour commencer son étude et son travail. Impression d’un malentendu, et, en même temps, sentiment que nous sommes sans doute d’accord sur les principes bien qu’il nous soit impossible d’adhérer aux conclusions.

Cet ouvrage reste donc précieux au moins à deux titres. D’une part il rappelle aux médecins qui l’oublieraient que la valeur d’un acte médical ne se soutient pas simplement de sa perfection technique mais avant tout d’un jugement éthique qui ne vaut lui-même que de son universalité : l’éthique médicale n’existe pas car il n’existe qu’une éthique qui s’applique, entre autres, à la médecine. Elle n’est donc pas l’affaire des seuls médecins. D’autre part, au-delà des réserves que nous venons de formuler, ce livre invite à renouer un dialogue entre la médecine et la philosophie qui, sans doute, devant le constat des malen-tendus qui peuvent persister, a été trop longtemps interrompu.

Jean-Jacques LABOUTIERE


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