Chronique : et maintenant... que vont-ils faire ?

Gérard Bles
Retour au sommaire - BIPP n° 13 - Juin 1997

La santé a été remarquablement absente de la campagne électorale. Et pour cause sans doute. Alain Juppé n’a pas été attaqué sur son plan dont les pères spirituels furent René Teulade et, plus lointain, Claude Évin. La machinerie bureaucratique qui est censée assurer la maîtrise comptable des dépenses de santé est tout à fait compatible avec une conception dirigiste de la conduite des affaires humaines. Bref, la loi est la loi, n’est-ce-pas, et personne n’a évoqué sa remise en question, au contraire de la loi Debré.

Certes, Lionel Jospin est réputé honnête homme : il pourrait être sensible à l’aberration juridique que constituent les reversements en tant que sanction collective et donc aveugle, non discriminative entre "innocents" et "coupables". Mais Jean-Marie Spaeth et Nicole Notat donnent de la voix, et aussi Jean-Paul Davant, président de la Fédération Nationale de la Mutualité Française (réputée d’obédience socialiste), qui depuis des semaines tonne pour que soit mise en oeuvre la réforme, toute la réforme. Le Dr. Kouchner, "agréablement surpris par l’audace et la force de certaines propositions" de la dite réforme ("La dictature médicale", Laffont éd.) risque par ailleurs de n’être pas très sensible aux problèmes de l’exercice libéral de la médecine... Et si Martine Aubry a un faible pour la gratuité des soins primaires, tout le monde se trouve d’accord pour prôner le développement des filières , pour des raisons aussi dogmatiques qu’économiques.

Ce qui n’était hier qu’une perspective expérimentale sur laquelle il semblait que l’on traîne les pieds (M.G. France protestait) devient aujourd’hui un projet plausible, à court terme même (M.G. France applaudit...). Autour de quoi rôdent les rumeurs de tiers payant, de forfaitisation, que sais-je...

Filières et tiers payant ne bouleversent guère les spécialistes à plateau technique "lourd", dont c’était depuis fort longtemps devenu le mode de travail prévalent. Parmi les spécialistes dits "médicaux", gynécologues, ophtalmologistes et pédiatres avaient obtenu une dispense de filière (mais cela n’a pas, à ma connaissance, été formalisé dans un texte réglementaire - et toutes les remises en question sont envisageables). Quant aux psychiatres ? Nous dirons que cela n’a été ni oui, ni non, mais une fois de plus un silence confinant à la méconnaissance de notre rôle et de notre activité.

Méconnaissance ? L’afflux soudain de contrôles dans de nombreuses CPAM peut éventuellement indiquer un souci louable, et tardif, d’information, mais des esprits chagrins pourraient insinuer qu’ils sont justement, ces contrôles, l’occasion de confirmer la dite méconnaissance quand ils ne se marquent pas d’une hostilité pure et simple (reflétée dans les enquêtes rétroactives auprès des patients, beaucoup plus fréquentes que les demandes d’éclaircissement directes auprès du praticien).

Nous allons reprendre notre bâton de pèlerin. Expliquer et expliquer encore, démontrer que c’est avant tout l’intérêt de nos patients que nous défendons en recherchant la préservation de leur liberté d’accès au psychiatre comme de l’opératoire de notre intervention. Expliquer que l’enjeu se situe précisément au niveau de la santé publique. Mais bien évidemment, nous aurons du mal à éviter l’accusation de corporatisme, manière commode d’ignorer le problème. Tant pis : rien n’est pire que la passivité, sauf peut-être les concessions pièges quand elles portent sur un dispositif essentiel.

Le souci de la justice sociale ne s’assortit pas nécessairement de la pénétration des problèmes humains, surtout quand il est sous-tendu de conceptions dogmatiques... et budgétaires...

Il convient dans tous les cas de demeurer fortement mobilisés, avec passion mais sans agressivité. Et de ne manquer aucune occasion de développer en tous lieux notre argumentaire.

Plus que jamais, courage.

Gérard BLES

 


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