Lettre du SNPP au Dr B. Kouchner
Le 12 juin 1997
Monsieur le Secrétaire d’État et Cher Confrère,
Je ne doute pas que les organisations représentatives du corps médical, plutôt maltraitées ces deux dernières années, souhaitent toutes vous rencontrer pour vous faire part de leurs préoccupations les plus lancinantes.
J’aurais donc évité d’intervenir trop précocement, pour ne pas accroître le brouhaha, si le problème dont je souhaite vous entretenir n’avait un caractère d’urgence compte-tenu de ce que nous pouvons savoir des options déjà retenues par votre gouvernement, en l’occurrence celle des filières.
Vous n’êtes pas sans savoir que les psychiatres libéraux représentent un chaînon essentiel du dispositif de santé mentale : plus de 6000 aujourd’hui, ils sont majoritaires parmi les spécialistes de la psychiatrie et assurent dans ce champ une fonction originale à bien des égards :
- en ce qu’ils assurent une très grande partie des soins ambulatoires, réalisant ainsi un des objectifs majeurs de la politique de santé mentale de ces 40 dernières années;
- en ce qu’ils sont en situation d’intervenir très précocement au stade même des crises ou des conflits qui précèdent la constitution de pathologies déclarées, beaucoup plus coûteuses humainement et économiquement;
- en ce que, nonobstant leur nombre, ils pèsent remarquablement peu dans le budget des soins (moins de 1 % des dépenses de soins ambulatoires).
Leur capacité d’intervention et leur efficacité reposent cependant et notamment sur deux conditions majeures :
- la libre détermination de leurs patients dans l’accès aux soins constitue un facteur d’efficacité fondamental dans la
dynamique de cure, et ce d’autant plus que leur demande est précoce. Elle permet à ceux-ci de se constituer d’emblée comme acteurs de leurs soins et non plus comme simples “objets” médicaux, passifs et soumis;
- la confidentialité de l’échange autorise seule que le sujet s’expose au plus intime de lui même. Tout ce qui peut venir compromettre le secret de la rencontre, même fantasmatiquement, opère à l’encontre de l’implication recherchée.
Dans la pratique, il est remarquable de constater la fréquence avec laquelle les patients s’adressent au psychiatre hors des circuits médicaux classiques, à l’insu notamment de leur médecin de famille, voire de leurs proches familiaux. Et on peut comprendre, au regard de cette réalité, l’effet pervers que peut induire l’inscription “en filière”, sans même tenir compte de l’incompréhension relative qui subsiste dans le monde médical, et pas seulement pour des questions de formation, à l’égard des problèmes psychiques et psychopathologiques.
En conséquence, nous estimons indispensable que la psychiatrie soit maintenue “hors filière” - pas plus qu’on ne saurait admettre que le patient soit pénalisé financièrement dès lors qu’il gère lui même sa propre demande.
De cette question comme d’autres aspects de la réforme (en particulier les futurs codages) nous aimerions nous entretenir avec vous. C’est pourquoi j’ai l’honneur de vous demander audience avant que toute décision malencontreuse, sinon irrémédiable, soit prise dans ce domaine particulièrement sensible.
Dr. G.BLES, Président du S.N.P.P.