Lettre au président d'un Conseil Départemental de l'Ordre

Marie-Lise Lacas
Retour au sommaire - BIPP n° 13 - Juin 1997

Je viens de signer, à titre individuel comme cela me l’est demandé, mon adhésion à la Convention.Un refus n’était pas envisageable en raison de ses conséquences pénalisantes tant pour mes patients que pour moi-même.

Mais je m’étonne du silence, pour ne pas dire de l’approbation, du Conseil de l’Ordre d’une convention qui traite la profession médicale avec autant de mépris et de suspicion et pose un contrôle comptable dans des conditions périlleuses pour le secret médical comme pour la qualité des soins. Jeter le discrédit sur l’ensemble des médecins par des pénalités globales, entre autres dispositions, ne peut que contribuer à une dégradation de la relation thérapeutique, donc à une dégradation morale et du côté des patients et du côté des praticiens. C’est un danger réel. Limiter quantitativement les prescriptions est sans doute salutaire dans certains cas, mais attenter à la liberté de prescrire par des interdits tatillons, et parfois absurdes, manifeste une ignorance désinvolte de l’approche clinique et l’acte thérapeutique.

Une boutade avait cours, qui disait que pour l’Assurance maladie le meilleur assuré était l’assuré mort, qui ne coûtait plus rien... après avoir cotisé ! Transformer le praticien en informaticien-comptable des dépenses de santé, l’assujettir à des vérifications de conformité, prévoir un contrôle (avec des «points» comme des notes à l’école ?) d’une FMC obligatoire et encadrée d’agréments officialisés, multiplier les contraintes administratives, vise à quoi ? La mort de la médecine ? On n’ira plus à un Congrès parce qu’il intéresse, mais en fonction des «points» que son agrément vaudra ?

Déjà une amie me faisait la remarque que son généraliste, lors des consultations, passait finalement plus de temps à mettre à jour son ordinateur qu’à l’examiner, et y multipliait les vérifications avant de rédiger son ordonnance... Encore n’en est-il pas à la prescription normalisée standard garantie sans risque de transgression, qui mettra en équations mathématiques diagnostics et traitements, dûment codifiés l’un et l’autre, et programmés sur ordinateur. Aux USA existe déjà la consultation sur ordinateur, donnant un diagnostic sur l’inventaire des symptômes : ce n’est pas une fiction, un fantasme. Ce qui l’est, c’est de s’acharner à défendre le maintien du lien humain au coeur d’une politique de Santé publique qui actuellement confond dangereusement «publique» et «statistique» en oubliant qu’il s’agit d’êtres humains, dont la vie, en effet, coûte plus cher que la mort.

J’ai signé, monsieur le Président, cette convention, effectivement la mort dans l’âme, avec un sentiment de contrainte d’autant plus dure que ma formation médicale et ma spécialité m’avaient, sous l’égide du serment d’Hippocrate, inculqué au plus haut niveau le respect de l’être humain. Qu’en restera-t-il demain pour les jeunes générations forcées de se conformer à des principes de rentabilité économique et de normalisation statistique ?

L’Ordre des Médecins a-t-il été fondé pour aligner le corps médical sur l’Ordre Public, au service d’une société, quel que soit son régime, démocratique ou non, ou pour défendre une éthique au risque, inévitable, de contrarier les diktats de cet «ordre public» ? Autrement dit, le «politiquement correct» va-t-il faire reléguer le Serment d’Hippocrate parmi les vieilles utopies ?

Depuis quelques temps la Presse se fait volontiers l’écho de propos diffamatoires sur les médecins, et soutient les réformes proposées comme si ces dernières devaient être assimilées à de justes sanctions. Apparemment, il ne semble pas que l’Ordre se soit beaucoup ému de ce dénigrement et de la détérioration conséquente de l’image de notre profession. Ce ne sont pas quelques rares et molles protestations de principe qui peuvent redonner confiance aux praticiens quant aux possibilités futures d’exercer leur profession non seulement scientifiquement mais aussi comme un Art

Marie-Lise LACAS

Note de la rédaction : Les seules révoltes significatives sont venues d’un certain nombre de Conseils départementaux - que le National s’est efforcé de faire rentrer dans le rang. Peut-être parce que les élus départementaux sont plus proches de la réalité des pratiques ?


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