La télétransmission, toujours...

Gérard Bles
Retour au sommaire - BIPP n° 16 - Mars 1998

Le débat ouvert à l’intérieur de la profession et entre la profession et les tutelles à l’occasion de la proposition par les Caisses d’un contrat de télétransmission considéré comme “léonin”, même et y compris avec les “assurances” tardives données par celles-ci quant à la souplesse ( ?) de son application - ce débat, donc, reste ouvert et fort vif. L’initiative du FORMMEL (Fond de réorientation et de modernisation de la médecine libérale, présidé par J.M. Spaeth et alimenté par les prélèvements/sanctions de 1996/97) proposant une subvention à l’informatisation mais liant celle-ci à la mise en œuvre d’un taux quasi-irréalisable de télétransmission (90 %) des feuilles de soins électroniques (FSE), a eu pour résultat paradoxal de déclencher chez beaucoup de médecins, et les psychiatres en particulier, une polémique sur l’informatique elle-même et sa place à venir dans la démarche médicale - alors que, stricto sensu, il n’était question que d’acquérir le matériel de télétransmission qui peut être relativement simple...

Les “objecteurs” se sont ainsi recrutés dans des modes variés, sinon hétérogènes :

- ceux qui, sans être hostiles à la télétransmission, considèrent que la subvention (7.000 F) et surtout la prime de fonctionnement (2.000 F une fois pour toutes) sont très largement inférieures aux coûts réellement induits par la mise en œuvre de la procédure et qui estiment qu’ils n’ont pas à financer la modernisation non des cabinets mais des Caisses;

- ceux qui sont rebutés par des clauses contractuelles considérées comme irréalistes et donc susceptibles d’entraîner à terme une rupture du contrat et la restitution des subventions dans des conditions pénalisantes au point de vue comptable;

- ceux qui, à partir de diverses informations, avis et rapports, estiment que tout ou partie du système en voie de mise en place (Sésam-Vitale et RSS) risque de s’avérer un fiasco au moins à court terme et qu’ils n’ont dès lors pas de raisons valables de procéder à des investissements lourds, inévitablement supérieurs aux subventions et peut-être, pour partie, inutiles (logiciels);

- ceux qui dénoncent l’absence de véritables garanties en ce qui concerne le secret qui devrait s’attacher aux données transmises (la loi française interdisant notamment les cryptages inviolables) et l’exploitation de ces données (dont ils refusent que les Caisses aient seules la maîtrise);

- ceux qui considèrent que l’introduction systématique de l’informatique dans la relation soignant-soigné va inexorablement infléchir la nature même de cette relation et de l’acte médical;

- ceux qui, dans tous les cas, sont allergiques à l’informatique;

- ceux qui ont simplement suivi les consignes syndicales sans trop approfondir la discussion, leur abstention s’inscrivant dans une démarche plus globale de contestation persistante du plan Juppé;

- etc., et quelquefois de tout un peu.

Cela fait quand même 54 % des médecins libéraux (certainement plus chez les psychiatres) qui ont refusé de signer le fameux contrat ! A ce point que le Gouvernement vient de faire paraître au J.O. du 13 mars un décret modificatif (N° 98.159, daté du 11 mars) autorisant le FORMMEL et les Caisses à proroger les délais de souscription du contrat (au delà du 31 mars) voire à modifier les modalités de versement des “aides” ... Il est vrai que ce geste gouvernemental est moins “généreux” qu’il n’y parait puisqu’il permet aux Caisses de traiter individuellement avec les prestataires de soins (en particulier non médecins) en passant par dessus les syndicats - d’où une vive réaction du C.N.P.S....

Quoiqu’il en soit, on ne peut que regretter la confusion des genres - et des débats. La question de l’informatique méritait une réflexion d’une toute autre ampleur (et des incitations plus intelligentes...) que celle qui s’est focalisée sur un contrat qui sert essentiellement les Caisses en résolvant (en principe) leurs problèmes de traitement administratif et comptable des remboursements de soins (2 milliards d’économies par an... et 8000 licenciements, annoncés par le directeur de la CNAMTS) en reportant une part notable de la charge, en temps et en coût, sur les praticiens. Est-ce pour démontrer l’urgence de cette bascule que les délais de remboursement, actuellement, excèdent facilement un mois - ou tout simplement pour faire de petites économies supplémentaires au dépens des assurés ?

Encore faudrait-il, pour ceux des médecins qui sont convaincus qu’en contribuant à l’évolution de la gestion des Caisses ils aident à maintenir en place un système que l’étatisation menace, comme pour ceux qui en escomptent en retour un juste partage des informations (au niveau des Unions Professionnelles par exemple), que cet effort supplémentaire ne sombre pas dans les vastes cafouillages ou les détournements qu’on peut encore redouter à la lumière de l’histoire...

L’informatique, donc, mérite mieux - en tout cas plus sérieux. Et l’informatisation du système de soins, qui n’en est qu’une application, de plus profondément réfléchir quant à ce qui peut l’être, informatisé, et ce qui ne peut, on ne doit pas s’y soumettre.

L’A.F.P.E.P. se doit d’ouvrir une large place à cette réflexion, sans gober l’appât de la modernité à tout prix, mais sans méconnaître non plus l’évolution des moyens, des techniques et des cultures.

Gérard Bles


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