Courrier

Retour au sommaire - BIPP n° 16 - Mars 1998

Nous avons reçu un très abondant et instructif courrier sur télétransmission et/ou informatisation, des questions inquiètes aux prises de position sans équivoque. Nous n’avons pu tout publier ni répondre à chacun personnellement, mais espérons qu’on écho fidèle leur aura été apporté dans notre bulletin. les problèmes généraux concernant l’informatisation feront l’objet d’un développement particulier dans notre prochain numéro. Nous publions cependant ci-après trois textes (ou extraits) qui complètent les précédentes interpellations ou ouvrent à d’autres débats.

 


Lettre au directeur de la CPAM

J’ai bien reçu votre proposition de contrat de subvention en vue de l’informatisation des cabines médicaux. J’ai pris note par ailleurs que cette subvention participera au renflouement des caisses de l’État via la fiscalité, à celui des caisses sociales via l’URSSAF. Pour la part qui reste, elle servira à payer, la première année, le contrat de maintenance que vous imposez et que je devrais continuer à payer les années suivantes. Certes l’usage du reliquat subsistant n’a rien d’imposé et pourra servir à acheter le matériel informatique nécessaire à hauteur de ma bonne volonté...

Je suis tout à fait favorable à l’informatisation de mon cabinet, et n’ai rien contre le paiement par télétransmission. Mais je n’ai aucune garantie quant à l’usage que les assurés sociaux feront de la carte Sésam-Vital, surtout si elle est familiale (et oubliée dans la poche du conjoint par exemple...). Je n’ai donc pas l’assurance de pouvoir parvenir à 90 % de télétransmission au bout d’un an. Par contre si je signe votre contrat, vous auriez l’assurance de récupérer l’intégralité de votre remarquable subvention, si votre dispositif ne réussit pas.

Je ne peux donc pas accepter le contrat que vous me proposez. Je vous prie cependant de noter que je souhaite tout à fait m’informatiser et télétransmettre. Je n’équiperai par mes propres moyens sans être soumis à vos obligations, en dehors des normes de télétransmission. Je souhaite donc être tenu au courant des conditions d’informatisation et télétransmission dans le département, et en particulier je souhaite être informé sur la mise en place du Réseau Santé Sociale.

Daniel VITTET (Thonon les Bains)



Psychothérapies et informatisation

L’acte psychothérapique que vous défendez à juste titre devient encore plus aléatoire avec l’introduction de l’informatique...

La grande majorité des psychiatres de ma génération qui pratique la psychothérapie d’inspiration analytique ne peut que s’étonner de la facilité avec laquelle vous validez l’informatisation des cabinets...

Il est du rôle des syndicats d’élaborer une réflexion sur ce thème et de mettre en place des moyens de défense, pour ceux qui, comme moi, refusent en l’état ce diktat... C’est cela aussi, à mon sens, défendre notre spécificité.

Daniel SEVEON (Compiègne)



Partager les informations, contrôler leur exploitation

Évidemment l’enjeu de l’informatisation des médecins est celui de leur indépendance, de la confidentialité et de la transparence du médecin et de sa relation avec ses patients.

Il faut comprendre qu’elle est aussi un enjeu économique et médical beaucoup plus important encore.

Il s’agit de savoir à qui seront destinées les informations sur les activités des médecins et de leurs patients; ce sont les «données» qui par nature sont transmises aux Caisses de S.S., pour, au moins, des questions comptables et de gestion économique. Mais, selon la loi, ces données doivent être transmises aussi aux Unions Professionnelles régionales; c’est même la principale raison de l’existence de ces Unions, revendiquées par les syndicats médicaux (et créées, il faut le dire, à l’initiative de la CSMF).

Donc, quoi qu’il en soit, les Caisses auront leurs informations, par l’informatique au lieu du papier et du stylo, c’est pratiquement le seul changement : d’outil, d’écriture, accroissant la rentabilité gestionnaire des Caisses… Car pour aller au delà des contrôles déjà existants, les spécialistes de l’informatique disent qu’il est impossible d’utiliser toutes les données sur les activités médicales pour connaître l’activité précise de chaque médecin : les données sont beaucoup trop quantitativement énormes et diverses pour en tirer quelque chose; ce que feront les Caisses, ce seront des «coups de sonde», des enquêtes ponctuelles ou statistiques générales, à la façon du fisc par exemple. Ainsi le problème est d’avoir en tant qu’organisations professionnelles les mêmes moyens que les Caisses pour effectuer contre-enquêtes et études pour contrer leur pouvoir.

Pour résumer, l’enjeu de l’informatisation des médecins est que la profession, par les Unions légalement désignées pour cela, puisse avoir les mêmes données que les Caisses pour combattre, lutter contre les enquêtes des Caisses, qui, sans contre-pouvoir, continueraient à gérer seules ce qu’elles appellent le «risque» maladie.

Le décret d’application pour la transmission des données avec les Unions n’est pas écrit parce que le Ministère ne veut (ne sait ?) pas le rédiger, connaissant mal les particularités médicales dans le champ informatique, et que les syndicats sont en désaccord entre eux et avec les Unions (cf. MG France) sur la manière d’inciter les médecins à transmettre toutes leurs données volontairement aux Unions. C’est là que ça bloque.

Ainsi il faut que les médecins s’informatisent pour transmettre aux Caisses et aux Unions dans la transparence afin d’organiser un contre-pouvoir aux Caisses.

Si nous n’acceptons pas, seules les Caisses auront les moyens de gérer le risque maladie et il ne restera aux médecins comme contre-pouvoir que la gestion privée de réseaux, forfaits par malade etc., ce qui ne nous plaît guère !

Derrière l’enjeu éthique, il y a un enjeu politique formidable; les deux défis peuvent être relevés si on agit sur les deux registres, ensemble.

Étienne ROUEFF (Annecy)


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