L'autre lettre que nous aurions pu écrire à Martine Aubry

Pierre Cristofari
Retour au sommaire - BIPP n° 20 - Janvier 1999

Pierre CRISTOFARI, auquel la Lettre ouverte à Martine Aubry avait été soumise comme à d’autres membres du bureau du S.N.P.P., a réagi aux objections potentielles du monde politique (" CSG et RDS sont des sanctions collectives pour tous les citoyens ", " Ce sont les spécialistes libéraux qui ne veulent pas d’un mécanisme de régulation individualisé, ce qui est la preuve de leur souci d’opacité, pour préserver leurs pharaoniques revenus… ") en proposant un autre type d’adresse à la Ministre, dans les termes ci-après :

Madame la Ministre,

Les médecins libéraux ne sont pas les privilégiés que l'on dit. Notre exemple, celui des psychiatres : des journées qui se terminent rarement avant 21 heures, pour un revenu de 20.000 F par mois après de longues études… Mais là n'est ni notre propos, ni notre préoccupation. Ce métier, nous l'avons choisi pour tout autre chose, en croyant dur comme fer que les idées de solidarité et d'égalité étaient autre chose qu'un discours creux. L'adolescent qui s'engage dans les études médicales est sûrement bourré d'ambitions : celles de servir aux autres, d'apprendre, de restituer son maigre savoir à ceux qui souffrent. Ce n'est pas du romantisme niais, Mme la Ministre, c'est une réalité clinique. Vous, dont la carrière dans la haute fonction publique était guidée par le souci de servir la collectivité, pouvez-vous sérieusement penser que tous les jeunes gens qui ont fait ou font un choix tel que celui de la médecine n'ont pas eu au premier plan le désir de soulager la souffrance ?

Avez-vous une idée de la part - parfois considérable - des consultations gratuites d'un médecin de ville ? Pensez-vous que seuls les ministres travaillent tard ? Vous nous prêtez, Madame la Ministre, des revenus considérables et, à partir de cette affirmation, vous nous accusez d'une vénalité dont vous savez bien qu'elle n'est qu'une commodité tribunicienne… Un médecin digne de ce nom et de son serment - car nous prêtons serment, Mme la Ministre - n'a jamais pris un patient en otage, et n'a jamais refusé de le soigner, y compris au cours de ce mouvement de cessation d'activité. Nombre de nos Collègues ont d'ailleurs choisi de continuer à suivre leurs patients gratuitement. Ils ne le font pas pour que cela soit dit, et ont raison, car ils ne l'auraient guère entendu dire…

Mais, parlons sincèrement, sans ce poujadisme dont on nous accuse scandaleusement : nous ne vous demandons pas vos revenus, Mme la Ministre, ni ceux des administratifs de haut rang des Caisses de Sécurité sociale qui s'indignent des nôtres, d'après des chiffres qu'ils assènent et dont nous aimerions bien qu'ils soient vrais… La quantité de soins augmentant, on nous demande très simplement – Dieu, comme c'est simple - d'y faire face. Donc, de travailler plus, de prendre plus de responsabilités, de passer plus de temps à nous former : le débat sur les 35 heures ne concerne ni les ministres, ni les médecins libéraux, c'est vrai. Mais vous prétendez que cette charge de travail accrue se fasse à rémunération constante… Sérieusement, Mme la Ministre, peut-on, sans mépris, demander cela ?

Les propos de M. Spaeth ne valent pas même qu'on leur réponde quand il affirme avec hauteur qu'il n'y aura aucun rationnement des soins : si les spécialistes libéraux sont aujourd'hui les boucs émissaires, personne n'est dupe de ce que les professionnels de santé, qu'il aient un statut public ou conventionné, sont tous concernés et seront tour à tour visés.

Ou alors, Mme la ministre, dites-le ainsi. Osez nous dire qu'il nous est simplement demandé de travailler plus sans être payés : nous n'avons pas attendu pour le faire avec les plus pauvres, pour tous ceux dont vous feignez d'ignorer qu'ils n'ont aucune couverture sociale…"

Pierre CRISTOFARI


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