Le terrain

Gérard Bles
Retour au sommaire - BIPP n° 20 - Janvier 1999

La place nous manque pour relater ici toutes les informations qui nous sont parvenues sur l’ampleur et les modalités de mobilisation au niveau de chaque région, qu’il s’agisse de regroupements propres aux psychiatres libéraux ou d’initiatives élargies dans lesquelles les psychiatres ont souvent joué un rôle moteur. Les documents élaborés au niveau national ont été largement repris et diffusés, mais s’y sont ajoutés fréquemment des textes élaborés collectivement sur le plan local, enrichissant encore l’analyse de la crise et l’argumentaire des discussions et des propositions. Ce foisonnement marque bien toute l’importance de la dynamique loco-régionale comme il démontre exemplairement que le mouvement qui s’est développé en décembre 98 n’est pas un artefact d’appareil mais bien l’expression de la prise de conscience et de la révolte des praticiens confrontés à des procédures technocratiques déshumanisées, ignorantes des besoins et des souffrances, asservies aux seuls objectifs comptables.

Il est frappant de constater à cet égard que la contestation a très largement débordé le seul problème des pénalisations financières (les reversements pour dépassement des quotas) mais s’est tout autant alimentée de questions aussi fondamentales que la confidentialité, l’accès direct, la démographie,etc…

Une certaine morosité, voire un véritable découragement pouvaient s’exprimer à l’automne, comme ce fut le cas lors de la réunion de la DRAFPEP-LR à Montpellier le 6 octobre dernier, devant ce qui pouvait être ressenti comme un manque de clarté et de détermination dans les stratégies des grandes structures syndicales nationales. On aurait pu craindre à cet égard que le désolidarisation de ces mêmes structures dans leurs consignes d’action pour ce mois de décembre, au moment du vote de la loi sur le financement de la Sécurité sociale, n’exerce un effet démobilisateur, stérilisant sur les praticiens “de base”. Tel ne fut pas le cas si l’en en juge au moins par la réaction des psychiatres (90% de nos adhérents ont affiché leur détermination à observer la fermeture des cabinets, 35 % étaient prêts à le faire dès le 14 décembre…), et la capacité qu’ils ont eu à se coordonner entre eux, syndiqués et non syndiqués (90 % des collègues dans le Vaucluse (1) par exemple, les 10 % restants s’engageant au demeurant à d’autres formes de participation comme fermetures partielles, réalisation d’actes gratuits, etc…).

Autre exemple démonstratif en Normandie, où les psychiatres de Seine-Maritime (2) (Rouen, Dieppe, le Havre) ont diffusé la liste des cabinets fermés pour “avertir le public des dérives du rationnement gestionnaire”, “s’opposer aux reversements-sanctions” et “maintenir l’accès direct au psychiatre”. Par ailleurs, les psychiatres du Havre ont, sous la plume de la Présidente de leur association (3), le Dr M-N. Gaveau-Glantin, formulé leurs préoccupations dans le texte ci-après qui mérite d’être cité intégralement :

«Nous voulons attirer votre attention sur les dramatiques problèmes de la psychiatrie en région havraise. Nous constatons en effet une inflation de la demande, tout à fait justifiée, de consultations et de soins. Ce phénomène est lié, en partie, aux difficultés socio-économiques conjoncturelles. L’augmentation de la demande en psychiatrie est identique dans le secteur public et dans le secteur privé, comme en attestent, dans les deux cas, des délais d’attente supérieurs à deux mois pour une première consultation.

Nous soulignons à nouveau la sous-médicalisation de notre région : à l’hôpital psychiatrique, un tiers des postes de psychiatres reste vacant; la densité des psychiatres libéraux est la moitié de la moyenne française. La démographie médicale va décroître après l’an 2000 du fait de la formation en nombre trop réduit de médecins. Je vous rappelle qu’il faut une douzaine d’années pour former un médecin spécialiste. Nous ne sommes déjà plus en mesure de travailler dans de bonnes conditions pour nos patients. Nous refusons chaque jour de nouvelles demandes.

Que deviennent ces patients ? Ne pouvant recevoir un soutien suffisamment précoce, ils vont basculer dans une pathologie plus lourde nécessitant arrêts de travail prolongés et hospitalisations. La précocité de la prise en charge est souvent gage d’efficacité. Le coût financier va s’élever, sans chiffrer le coût humain, ce qui va à l’encontre des économies recherchées.

Dans ce contexte critique, nous dénonçons la maîtrise comptable des dépenses de santé, ne prenant pas en compte les besoins sanitaires de la population, mais basée arbitrairement sur les ressources des caisses de Sécurité sociale en baisse par défaut de cotisations lié au taux élevé de chômage. Pour comble d’absurdité, nous sommes menacés de sanctions financières collectives si nous continuons à soigner nos patients, or c’est notre vocation.

Étant confrontés chaque jour à ces problèmes douloureux et subissant par ailleurs la mise en place d’un système financier aveugle, préjudiciable aux patients, mes confrères et moi-même tenions à vous tenir informé de la situation”.

Citons encore des passages de la lettre adressée à Madame Aubry par le Dr J-F. Katz au nom des psychiatres de Bretagne :

“Vous avez soutenu une vision comptable des dépenses de santé sans prise en compte des besoins précis de la population. Cette politique s’appuie, d’autre part, sur les notions de responsabilité et de sanctions collectives : notions qui s’opposent aux principes fondamentaux de notre république (ce que vient de confirmer le Conseil Constitutionnel) et aux articles de la Déclaration des Droits de l’Homme.

Dans un état de droit, une sanction (dois-je vous le rappeler) ne peut être qu’individuelle et ne doit être infligée que si une faute a été prouvée. Pour un médecin, donner ses soins à des personnes souffrantes dans le respect des règles de son art, constitue-t-il, à vos yeux, une faute et justifie-t-il une sanction ? (…)

Le plan de réforme envisage l’institution d’une maîtrise comptable reposant sur un taux directeur, et non sur une politique de santé. Un tel système ne garantit plus la qualité des soins (les soins de santé ne varient pas avec les résultats économiques d’un pays), crée une médecine à deux vitesses (apparition d’une offre parallèle excluant les plus défavorisés), crée un conflit d’intérêt entre le médecin et son patient (…)”

Nous pourrions ainsi multiplier les exemples. Mais l’important est peut-être, plutôt que de dresser des bilans, de tirer des enseignements de tout cet élan et de son enracinement dans les réalités de terrain.

Car il faut bien savoir que les problèmes ne sont pas réglés, que le pouvoir politique n’a pas désarmé en s’obstinant dans les mêmes analyses et l’utilisation des mêmes moyens de “régulation” des dépenses, sur le principe inique de la “responsabilité collective”. La mobilisation doit donc se poursuivre, s’élargir – et les psychiatres peuvent jouer un rôle majeur dans l’analyse des problèmes et la réflexion éthique au sein de la profession médicale.

Mais cette réflexion doit également engager nos patients et, au delà, la population au sens large, en nous efforçant de les éclairer et non de les manipuler (comme cela peut s’observer à l’occasion de certains sessions des États Généraux, par exemple à Niort en novembre dernier…).

Comme nous l’écrit le Dr Christiane Kohlstedt (Avignon), " Nous avons monté un " groupe information-mobilisation " qui est composé des représentants de chaque spécialité plus deux généralistes en liaison. Nous diffusons toutes les informations nécessaires car nous pensons que c’est la seule façon de mobiliser nos collègues (dans le présent et à l’avenir !) (...)

… Il nous faudrait une lettre aux patients n° 2 (c’est une demande pressante de tous les spécialistes !). Cela nous semble indispensable de poursuivre l’information et des médecins et des assurés sociaux qui pensent que nous avons " gagné " alors qu’il n’en est rien – une lettre aussi claire, juste et compréhensible que la première”.


Cette lettre n° 2 est effectivement déjà en cours de réalisation et vous sera diffusée prochainement. L’équipe nationale du S.N.P.P. est bien décidée à maintenir son engagement et à mettre à votre disposition un maximum de moyens. Mais cela ne peut vraiment “vivre” qu’alimenté en permanence par vos informations, vos réactions, vos réflexions. Nous comptons sur vous.

 

G.B.

 

1) Président de l’Association des Psychiatres du Vaucluse et des départements limitrophes : Dr Gilles FORMET, 14 rue Amphoux, 84000 Avignon, tel : 04.90.86.07.36.- fax : 04.90.85.05.74.

(2) Responsable de la coordination Seine-Maritime : Dr Martine FLEURY, 1 rue du Petit Saint, 76000 Rouen, tel : 02.35.63.28.44.

(3) Association de psychiatrie de la région havraise, Présidente: Dr Marie-Noëlle GAVEAU-GLANTIN, 67 rue Jules Lecesne, 76600 Le Havre, tel : 02.35.43.46.77.- fax : 02.35.42.35.37.

 
IMPORTANT !

Le 7 décembre dernier, nous avons rencontré longuement plusieurs médecins-conseils de l’échelon national du contrôle médical (CNAMTS) sur la base de nos Propositions.

Nous reviendrons sur cet échange, qui s’est déroulé globalement dans une atmosphère compréhensive. Mais un point important doit dès à présent être signalé, à propos des procédures de contrôle : le S.N.P.P. a insisté sur le caractère inadmissible et pathogène des contrôles de la "file active " des praticiens en particulier à l’insu de ceux-ci. Or, non seulement le Dr. Rousseau, médecin-conseil national adjoint, est tombé d’accord pour privilégier a priori le dialogue entre praticiens, mais il a rappelé que depuis 1996 les médecins-conseils doivent obligatoirement avertir préalablement les thérapeutes de la mise en route des procédures de contrôle. Il nous demande de lui signaler toute infraction à cette règle.

Dont acte.


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