Réglementation des psychothérapies

Yves Leclercq, François Couton
Retour au sommaire - BIPP n° 27 - Novembre 2000

Nous poursuivons le débat sur la réglementation des psychothérapies ouvert dans notre précédent numéro. Voici deux courriers qui nous ont été adressés sur ce sujet. N’hésitez pas à envoyer vos contributions afin que nous les publions.

Aux dernières nouvelles, le projet de loi du Parti Socialiste sur cette question ne devrait pas être déposé avant le printemps prochain.


Puisque vous nous y invitez, je risque ma contribution au débat sur l'encadrement de la pratique des psychothérapies.

C'est un projet ou une intention qui revient périodiquement, qui est majoritairement mal accueillie et qui repart sur la pointe des pieds au bout d'assez peu de temps. Il doit bien y avoir de solides raisons à ces échecs répétés.

Pour ma part, je suis résolument contre, depuis toujours. Mes arguments sont variés :

- Historiques : la psychanalyse constituant toujours le modèle de référence, pour ou contre lequel se définissent les diverses psychothérapies, on peut constater que dès ses débuts et malgré les souhaits de Freud et d'autres fondateurs, la pratique de la psychanalyse a échappé au monopole de la médecine. Les psychanalystes et les psychothérapeutes non-médecins sont déjà majoritaires. Parmi eux, un certain nombre ont une formation autre que la psychologie : philosophie, littérature, sciences, droit ou mathématiques. Que faire de tout ce monde ?

- Prévisionnels : le nombre de psychiatres en formation a diminué, drastiquement. La proportion de psychiatres qui se forment à la psychanalyse aussi (25 à 26 % ai-je lu). Si N tend vers zéro, N / 4 tend vers zéro. L'actuel stock de psychiatres qui satisfait encore à peu près une demande elle même en diminution irrationnelle, s'effondrera par vieillissement. Le relais sera pris par les non-médecins formés par les Universités et les Sociétés ou Groupes Psychanalytiques.

- Pratiques : si l'acte psychothérapique peut être un acte de médecin, il a une structure radicalement opposée à celle d'un acte médical. Il exige donc du médecin un apprentissage particulier, hors faculté et une bonne dose de révolution culturelle. Le non-médecin n'a pas au même degré à se déprendre de modèles encombrants. Mais il lui faut cependant apprendre, sinon le métier, du moins la clinique et la technique qu'il projette d'utiliser.

Si la pratique psychothérapique n'est pas médicale "stricto sensu", il paraît difficile de justifier la définition légale d'une aptitude ou d'une technique éprouvée (on sait qu'il y a des échecs pour toutes et pour tous, qui ne sont pas affaire de technique) et que cette définition légale soit opposable au médecin, psychiatre ou non-psychiatre et au non-médecin-non-psychologue.

Le risque de voir des sectes ou d'authentiques charlatans se prétendre psychothérapeutes a toujours existé et existera toujours, surtout si un cadre juridique officiel ne se met pas en place. La plupart des clients actuels des psychothérapeutes non-médecins ne sont pas inconditionnels du cadre médical ou le refusent complètement pour ce qu'ils savent relever du psychique.

Yves LECLERCQ
Paris

xXx

 


J'ai lu avec grand plaisir ces premiers courriers de confrères dans le BIPP n° 26 et je cède à la tentation de vous envoyer ma contribution à cette réflexion sur la question des psychothérapies.

Tout d'abord, il est troublant de constater qu'en cette période de grand libéralisme, on veut en même temps tout réguler, tout encadrer, en particulier dans les registres médicaux où les médecins n'ont plus de libéral, ou privé, que le nom et la traditionnelle méfiance des pouvoirs publics.

Quand les psychothérapies ne sont pas remboursées et qu'elles ressortissent donc pleinement du registre privé, la distinction entre psychothérapie et épanouissement personnel ne demande peut-être pas à être fixée par la loi.

Pourquoi dès lors ne pas se contenter de chercher à interdire les pratiques sectaires, comme on tente déjà de le faire dans le domaine des Églises ? C'est peut être plus délicat, mais plus intelligent. Allons plus loin : faut-il interdire voyantes, astrologues… ? L'argument moral de chasse aux brebis galeuses ne tient pas et à l'intérieur même de notre profession, à chacun de se demander comment ne jamais être un peu charlatan.

J'ai commencé ma carrière dans une optique et une "règle du jeu" où la prescription était un paramètre parfois secondaire du soin, l'ambition essentielle étant d'aider les gens à se remettre à penser. J'ai évolué vers une plus grande humilité, je prescris plus et peut-être mieux. Malgré tout, les tendances dans les pratiques, je n'ose dire les modes, ont évolué plus vite.

On voit, par exemple en Angleterre (Londres ECNP, 1999) que priorité est donnée à la psychiatrie biologique, avec homologation très précoce de nouvelles molécules. On entend de grands patrons anglais dire : "dans les états anxieux pour la première consultation, prenez du temps : au moins vingt minutes !".

J'aurais aimé pouvoir terminer ma carrière sur les mêmes bases qu'à mon début. Mais les temps changent. Les autorités françaises me semblent avoir adopté une technique de chien de berger pour guider notre troupeau dans leur bonne direction : un coup de dent dans le mollet des retardataires, puis on caracole à l'avant pour montrer la voie, on court un peu sur les flancs,…

Citons par exemple :

- le CPSY n'a pas bougé depuis des années.

- l'administration, par ailleurs souvent tatillonne, ne s'intéresse pas à la durée des consultations.

- le nombre de psychiatres stagne ou diminue et diminuera.

- la demande de soins augmente.

Point n'est besoin d'être grand mathématicien pour voir tout cela tendre vers une plus grande brièveté des actes, facilement couronnés par une prescription. Il faut une force d'âme hors du commun pour voir, une fois par semaine, pendant 45 minutes et contre 225 F un patient en psychothérapie. En regardant autour de moi, je vois le village gaulois rétrécir à vue d'œil.

Gardons-nous de toute paranoïa, le but de l'administration n'est peut-être pas l'extinction des psychothérapies pratiquées par les psychiatres, même si toutes les mesures semblent aller vers ce résultat. Le but est de faire des économies, toujours et partout et de le faire en encadrant, en en encartant notre activité.

Dans une optique strictement financière, le rétablissement du Secteur II serait certainement la mesure la plus appropriée, mais elle suppose de faire confiance aux médecins, ce qui n'est pas à la mode.

J'ai un confrère et ami, québécois d'adoption, qui m'a exposé la solution canadienne qui s'applique aux psychiatres privés et publics. Elle est un peu baroque, mais…

Tous les ans, le psychiatre fait une demande de prise en charge psychothérapique de son patient par vingt ou quarante séances dans l'année. Il perçoit une rémunération par tranche de vingt minutes, au maximum trois, chaque tranche devant être entamée depuis cinq minutes pour être payable. En pratique, les patients restent dix, vingt cinq ou quarante cinq minutes. Les relations avec l'administration peuvent avoir le cadre rigoureux qu'elle réclame, aux psychiatres de trouver de l'intelligence et de la souplesse à l'intérieur de celui-ci.

Malgré tout, dans ce système, les psychiatres peuvent rester prescripteurs du genre de travail qu'ils aiment faire et en même temps donner acte à l'administration de son droit de contrôler quelque chose, la qualité du contenu d'une séance restant, de toute façon, essentiellement incontrôlable.

Dans les années qui viennent et malgré une demande syndicale vigoureuse vers un retour à une démographie psychiatrique convenable, l'évolution va certainement se faire vers la généralisation des remboursements des psychologues, faute de quoi les pires charlatans trouveront preneur.

D'ailleurs, soyons cohérents.

Avoir fait médecine permet un abord clinique et une prescription corrects, des diagnostics d'élimination, permet aussi de poser des indications, mais ne sert pas à grand chose pour être un bon psychothérapeute.

Pourquoi si ce mouvement est inéluctable, ne pas l'accompagner en préservant ce qui compte vraiment. Nous connaissons tous des psychologues que nous aimons recommander, d'autres que nous apprécions moins…

Aux psychologues ensuite de s'accommoder de ce statut de "kinés du psychisme" qui leur sera fait, mais après tout, un psychothérapeute doit avoir un bon narcissisme.

François COUTON
Saint-Victor


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