Plaidoyer pour une démarche qualité en médecine libérale

Olivier Schmitt
Retour au sommaire - BIPP n° 27 - Novembre 2000

Par nature, l'évaluation ne peut porter que sur ce que nous sommes capables de mesurer, de sorte qu'elle produit des résultats inévitablement partiels. Faute d'outils adaptés, l'impossibilité d'évaluer les aspects trop complexes risque de faire croire à leur inexistence ou à leur peu d’intérêt. À l’inverse, la démarche qualité, qui questionne les procédures soignantes en référence aux attentes d'un client donné, n'évacue pas la complexité des choses. Nous allons présenter successivement ces deux approches, en commençant par l'évaluation.

À propos du décret sur l’accréditation en médecine libérale (Décret n° 99-1130 du 28 décembre 1999 relatif à l’évaluation des pratiques professionnelles et à l’analyse de l’évolution des dépenses médicales).

Dès l’article 1er. La confusion des concepts est remarquable :

" L’évaluation… vise à améliorer la qualité des soins… "

Il y a là une confusion regrettable entre l’outil et le projet, c’est comme dire : " le ciseau du sculpteur vise à améliorer la beauté des cathédrales "

L’évaluation ne peut être une fin en soi, c’est un outil au service d’une démonstration qui peut s’intégrer dans une démarche qualité ou au décours de celle-ci.

L’évaluation permet de comparer. Comparer l’idée que l’on se fait de quelque chose à une certaine réalité (celle qui est quantifiable), comparer une activité avec une autre selon certains critères bien définis. Or nous savons bien que tout n’est pas comparable de cette manière : soit l’unité de mesure ne peut être la même, soit nous touchons à des domaines extrêmement complexes qui ne permettent pas une quantification simple.

Sauf à déraper vers la manipulation contre-scientifique, pour toute évaluation, le contexte doit être parfaitement repéré (la démarche dans laquelle elle s’inscrit), ainsi que son but et son unité de mesure. Ce n’est qu’après avoir répondu clairement à ces trois points que l’on peut envisager d’utiliser cet outil.

Avec l’évaluation, le problème est celui de vouloir la faire coûte que coûte, vouloir lui en faire dire beaucoup sans se donner les moyens souvent très lourds pour éviter les biais.

Élever l’évaluation en elle-même au rang d’obligation éthique apparaît pour ces raisons une attitude particulièrement dangereuse. Elle peut être à l’origine d’une appréciation réductrice des choses qui piège ainsi les décisions qui en découlent. Cela relève plus du désir de maîtrise aveugle que de l’honnêteté intellectuelle.

Un peu plus loin dans ce 1er article qui ne fait que cinq lignes :

- " Dans cette perspective [on suppose qu’il s’agit de la perspective du décret] elle [l’évaluation] permet de promouvoir le respect de la plus stricte économie… "

Que l’on dise que l’optimisation des coûts, entre autres choses, fait partie de la qualité, nous sommes bien d’accord. Mais que l’amélioration de la qualité des soins soit corrélée à la plus stricte économie, c’est quand même loin d’être prouvé si toutefois cela a un sens.

Par contre, ce qui a été parfaitement prouvé c’est que toute situation de test (comme l’évaluation) entraîne une baisse des performances intellectuelles des testés qui peut aller jusqu’à l’inhibition catastrophique en situation complexe.

Nous comprenons plus loin qu’il s’agit en fait dans ce décret de la mise en place d’une véritable accréditation bien que le mot n’y soit pas une seule fois utilisé !

- Fin de l’article 6 : Lorsque le médecin a satisfait sans réserve à l’évaluation, il reçoit une attestation, transmise aussi au Conseil de l’Ordre, et il peut en faire état. À l’inverse lorsqu’il n’a pas satisfait à l’évaluation, il y a signalement immédiat et circonstancié au Conseil de l’Ordre par le médecin contrôleur pudiquement appelé "médecin habilité".

Il s’agit donc bien d’une accréditation qui ne dit pas son nom. Accréditation que le décret veut faire faire par des confrères libéraux aux frais de l’URML1 qui vit de la cotisation des médecins libéraux, bref le décret nous demande d’organiser et de payer nos propres délateurs (capo soft mais capo quand même). N’est-ce pas un peu pervers ? D’autant que cela ne relève pas de l’intérêt objectif de l’URML qui ne peut travailler qu’avec l’adhésion de ses mandants.

Un autre aspect pervers apparaît avec le pseudo volontariat annoncé à l’article 2. Le volontariat est complètement biaisé par le fait qu’à partir du moment où il y a accréditation tous les organismes la demanderont (assurances maladie, complémentaires, vacations etc.) et cela deviendra ipso facto une obligation.

Pour une vraie démarche qualité :

Se donner les moyens pour agir le mieux possible est l’attitude éthique de base. C’est bien pour cela que l’obligation de moyen a de tout temps fait partie de notre déontologie et non l’obligation de résultat qui serait présomptueuse et inapplicable. Parmi ces moyens il y a le matériel, le temps, les sources d’information, l’appel à d’autres compétences et enfin le recul que l’on doit avoir sur la pertinence et l’application de ces moyens : la démarche qualité.

L’objectif de la démarche qualité est de mettre en œuvre tout ce qui permet de se rapprocher d’une réponse adaptée aux besoins et aux désirs, explicites ou non, du “client”.

En conséquence, il faut commencer par déterminer avec respect et perspicacité les besoins et les désirs du “client”.

Encore faut-il savoir par quel média on va entendre le “client” et quel aspect apparaîtra prioritaire selon le cas.

Sans parler du pouvoir médiatique à proprement parlé, grandement dominé par les laboratoires, voyons les trois aspects suivants :

- Si c’est par celui qui paye, ce n’est plus tellement directement le patient ou son entourage, c’est pour une grande part l’Assurance Maladie qui représente avant tout les cotisants.

- Si c’est par celui qui a le pouvoir politique, là non plus ce n’est plus directement le patient, c’est l’État dont la charge est de s’occuper du collectif dont l’intérêt peut entrer en conflit avec l’intérêt individuel.

- Si c’est par celui sur lequel le soin est appliqué, alors c’est le patient dont le médecin traitant est l’avocat naturel.

Par nature, les objectifs de ces trois pôles sont différents :

- L’objectif de l’Assurance Maladie est de ne pas payer trop cher et avoir des garanties sur le bien-fondé des actions. Le tiers payant lui donne un pouvoir exorbitant en faveur du moindre coût.

- L’objectif de l’État est d’assurer la santé publique, garantir la qualité de la formation initiale et la validité des diplômes et, depuis peu, de limiter les dépenses sanitaires.

- L’objectif du patient est de guérir, ou du moins souffrir le moins possible, être le moins handicapé possible le moins longtemps possible, ne pas trop perdre de chance de longévité.

Il y a manifestement là des conflits d’intérêt :

- Entre le patient et l’Assurance Maladie, il y a un objectif de qualité maximum d’un côté et celui d’un coût minimum de l’autre.

- Entre le patient et l’État, il y a l’intérêt individuel d’un côté et l’intérêt collectif de l’autre.

- Entre l’Assurance Maladie et l’État, il y a peu de conflits d’intérêts (d’où une certaine confusion entre les deux) mais n’oublions pas l’opposition possible entre santé publique et coût minimum lors de certains dépistages par exemple.

La démarche qualité devra en quelque sorte choisir son camp. Autrement dit, la démarche qualité ne pourra pas être la même si elle est au bénéfice direct de l’État et/ou de l’Assurance Maladie ou si elle est au bénéfice direct du patient. Les commanditaires ne sont pas les mêmes, les maîtres d’œuvre ne peuvent pas être les mêmes.

On comprend bien que la maîtrise d’œuvre d’une démarche qualité au service de l’État doit être assumée par une agence d’État (l’ANAES2 par exemple). De même, la maîtrise d’œuvre d’une démarche qualité au service de l’Assurance Maladie doit être assumée par une instance de l’Assurance Maladie (l’URCAM3 par exemple). Enfin, la spécificité du médecin libéral étant d’être avant tout au service du patient, la maîtrise d’œuvre d’une démarche qualité au service direct du patient doit naturellement échoir à l’URML.

Pour l’heure, nous voyons donc bien que le décret de décembre 1999 sur l’accréditation, logiquement commanditée par l’État, ne doit pas concerner l’URML. Un projet impliquant l’URML ne peut s’inscrire que dans une dynamique qui lui est spécifique même si son objectif intéresse, au moins moralement, toutes ces instances : la qualité des soins vis-à-vis du patient.

Ce que peut être une démarche qualité de l’URML.

L’objectif :
- La qualité des soins vis-à-vis des patients c’est-à-dire l’optimisation des actes et des coûts par rapport à leurs besoins et leur attente.
Et son corollaire :
- La qualité des conditions de travail des médecins.
Le contexte :
- Le réseau d’influence autour du médecin et son patient.
- Les tensions4 dues aux conflits d’obligations contradictoires.
Les moyens :
- Permettre au médecin praticien de :

- Sortir de son isolement,
- Faire entendre son expertise du terrain,
- Rechercher et diffuser des démarches apportant des solutions.
- Faire circuler l’information.
- Mettre en place une dynamique fondée sur le désir de qualité des médecins et de tous.
- Toucher à terme tous les médecins libéraux.

 

C’est pourquoi, dans la région Poitou-Charentes, il a été envisagé la mise en place du projet ESCULAPE dont nous aurons sans doute l’occasion de reparler

Olivier SCHMITT

 

1-Union Régionale des Médecins Libéraux.

2-Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé. On peut d’ailleurs se poser quelques questions sur sa neutralité puisque son patron récemment nommé est issu entre autres de l’industrie pharmaceutique (voir le site de l’ANAES <www.anaes.fr>).

3-Union Régionale des Caisses d’Assurance Maladie.

4-Elles existent puisque le médecin est amené à ne pas pouvoir appliquer certaines recommandations cliniques alors qu’il y adhère !

 


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