Télétransmission : poursuite du débat

Pierre Cristofari, Olivier Schmitt
Retour au sommaire - BIPP n° 30 - Juin 2001

"Contre la télétransmission"

Nous avons combattu la télétransmission. Les médecins cèdent et se rallient. Ils ont tort.

L'idée de la télétransmission a germé dans l'esprit des dirigeants des Caisses d'Assurance-Maladie pour une seule raison : faire des économies d'argent.

Et pour ça, supprimer plusieurs dizaines de milliers d'emplois de saisie.

Continuons à vilipender le PDG de Danone…

La suppression de ces emplois va diminuer d'autant les charges financières de l'Assurance-Maladie ; ça ne suffit pas à en faire une boutique bien gérée.

Quelques dizaines de milliers d'emplois en moins ici, quelques dizaines de milliers de chômeurs en plus là… Il suffira de faire faire ce travail aux professionnels de santé. Et avec un peu de chance, ça les obligera à créer des emplois : on n'espérait pas un simple transfert de charges, mais bien un transfert de salaires. Mais ce n'est que rarement possible : on ne peut pas embaucher quelqu'un pour une heure par jour ! Cela se traduira donc par un travail supplémentaire non rémunéré. Je connais l'argument : "télétransmettre prend plutôt moins de temps que faire des feuilles". Oui, mais… Le temps de choisir et d'acheter du matériel ? De le prendre en main ? De recevoir les émissaires des Caisses vendant la télétransmission ? De choisir le bon logiciel ? De l'installer ? De le réinstaller de temps en temps ? De prendre quelques heures pour suivre les évolutions en ce domaine ? De recevoir les appels des patients ayant un problème de remboursement ?

Bien sûr, lorsque tout le monde télétransmettra, comme tout le monde aura les mêmes soucis, ces soucis-là apparaîtront normaux…

Si on laisse de côté ceux de nos confrères employant déjà du personnel - chez eux, ce sera leur personnel qui supportera la surcharge de travail - il n'y a pour nous qu'un peu de travail en plus, donc une diminution de nos revenus à travail constant, et, pour les salariés peu qualifiés, quelques dizaines de milliers d'emplois en moins.

Que ce soit des économies pour les Caisses d'Assurance-Maladie est possible. Que ce soit un gain pour la société ne l'est pas : des chômeurs en plus, des médecins encore moins payés à travail égal, obligés de recevoir moins de patients, ou bien… de travailler plus vite…

Aujourd'hui, ce projet cosigné par les syndicats de médecins et de salariés représente une date historique : nous devons insister encore plus sur ce lien entre les questions de santé et d'emploi.

Le mythe du modernisme tout-puissant ne peut occulter que guérir, c'est, entre autres, le pouvoir de travailler.

Toutes les suppressions d'emplois - même sans licenciement - sont mauvaises pour la santé.

Que l'on nous démontre que la télétransmission avait un autre but que la suppression d'emplois ?

J'attends.

Pierre CRISTOFARI

 

Position syndicale

Nous sommes nombreux à dénoncer les effets pervers et les dangers de la télétransmission. Le SNPP le fait depuis qu’on en parle. Il n’en reste pas moins vrai que le règlement conventionnel minimal, auquel nous sommes tous assujettis, implique pour le médecin l’obligation d’offrir le service de la télétransmission des feuilles de soin aux assurés sociaux qui le consultent.

Ne pas s’équiper, ne rien télétransmettre, est une position cohérente avec cette opposition de principe, mais cela met le médecin en défaut par rapport à l’obligation d’offre de service. Nos confrères de certaines régions (Alpes Maritimes par exemple) commencent à être harcelés par les caisses qui les menacent de sanctions conventionnelles (pénalités financières équivalentes à tout ou partie de la participation des Caisses au financement des cotisations sociales des médecins de secteur I). Ces courriers comminatoires sont assortis d’une demande de signer un nouvel engagement à télétransmettre. Attention, en tout état de cause, la signature d’un nouvel engagement, d’autant qu’il est plus contraignant, n’a aucun sens ni justification réglementaire !

Nous, syndicalistes, sommes donc dans la position de combattre une mesure légalement obligatoire. Comment organiser la résistance ?

Depuis qu’il en est question, l’opposition du SNPP à la télétransmission repose sur les deux points suivants : mise en danger de la confidentialité et basculement de la responsabilité du remboursement du patient sur le praticien, ce qui est à l’évidence incompatible avec un cadre psychothérapique.

Par ailleurs, le patient reste libre de demander une feuille de soins papier et de refuser la télétransmission.

C’est pourquoi, estimant que la responsabilité d’un syndicat n’est pas de placer ses adhérents dans l’illégalité, nous proposons l’attitude suivante :

- Faire l’acquisition d’un matériel a minima* lorsque l’on ne veut pas investir dans un processus que l’on condamne par ailleurs afin de répondre à l’obligation d’offre de service.

- Télétransmettre les feuilles des patients qui le demandent (il y en a peu).

- Lorsque l’on est en panne (cela semble fréquent), faire faire des devis de maintenance ou de réparation (la rapidité d’intervention laisse souvent à désirer).

- Enfin, et surtout, informer les patients des risques de la télétransmission au regard de l’opératoire psychothérapique.

Même si nous conseillons à nos syndiqués de ne pas se mettre en défaut de leurs obligations conventionnelles nous continuerons à dénoncer et lutter contre ce qui nous paraît contraire à notre déontologie. Autrement dit, s’exposer inconsidérément n’a jamais servi la résistance, bien au contraire.

Par ailleurs, même (et d’autant plus) si nous avons une position très critique vis-à-vis de la télétransmission des feuilles de soins nous saurons défendre de ses avatars les confrères qui adhèrent au système. La liberté de conviction doit être respectée.

Olivier SCHMITT

* Il existe sur le marché du matériel peu onéreux qui ne nécessite pas de s’informatiser.


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