Courrier (à propos de la démarche qualité)

Retour au sommaire - BIPP n° 30 - Juin 2001

Cher(e)s Collègues,

J'ai été très intéressé par le court article de M. Olivier Schmitt dans le dernier Bulletin d'Information (n° 29) au sujet de la "démarche qualité", je dois dire que je suis très critique par rapport à une telle démarche qui tire sa source du capitalisme américain. Il fallait à tout prix améliorer les produits manufacturés et les rendre perfectibles. Ce genre de démarche est à mon avis très obsessionnel, tendant donc à éliminer toute parcelle de réel (d'impossible) et en particulier la relation médecin-malade au sens transférentiel du terme qui ne peut pas, bien sûr, se coter. À rappeler que ce genre de pratique passe exclusivement par l'écrit, et qu'il faut évaluer par la suite le résultat et le projet écrit. Bien entendu, nous nous trouvons toujours en défaut par rapport à cet écrit idéalisé et nous devons en remettre une couche pour annuler, effacer ce défaut. C'est pourquoi je dis que cette démarche est obsessionnelle. De plus, l'autorité responsable tend à se "diluer" entre tous les protagonistes : tout le monde l'est ou personne ; l'autorité peut être notée par les autres et perd ainsi toute référence.

Le patient devient un client et nous percevons bien que la médecine n'est plus un art mais un bien de consommation parmi d'autres et que le "client" peut se plaindre en tant que consommateur. L'éthique dans ce cadre-là est remplacée par le projet élaboré par l'équipe et auto-évaluée. Un tel processus entraîne des lourdeurs de fonctionnement incomparable (tout passe par l'écrit) et un accroissement des pressions sur tous les membres. Ainsi, on aura un peu plus de dépression. Je m'étonne que l'Ordre des Médecins (voir bulletin n° 4 - 2001) ait tout à fait souscrit à une telle entreprise (c'est le cas de le dire) car cela va, à long terme saper un peu plus l'autorité médicale et nuire à la relation médecin-malade. L'ANAES nous adresse des recommandations thérapeutiques dans une rédaction quasiment impossible à lire tant elle est serrée et écrite en minuscule et qui se voudraient les plus adaptées. On n'oublie qu'un médicament a un nom et si le patient redemande le même, ce n'est pas sa composition chimique qui l'intéresse, c'est son nom, prescrit dans une relation singulière avec son médecin. C'est pourquoi "les génériques" sont parfois difficiles à se substituer.

Il me semble que la "démarche qualité" va dans le sens d'une inhibition plutôt que vers une dynamisation de l'institution même si au départ elle fait illusion.

Je sais que je vais à l'encontre de mon collègue Olivier Schmitt, mais c'est pour ouvrir le débat comme il le demande.

Gilbert LETUFFE

 

Réponse :

Cher Confrère,

Je vous remercie pour votre courrier qui faisait suite à mon article du BIPP N° 29 sur la Démarche Qualité et autres concepts. Je suis tout à fait d’accord avec vous et ce n’est pas une simple formule de politesse. En effet, l’économisme nous joue de vilains tours et la pression du légendaire pragmatisme anglo-saxon est source de beaucoup d’aspects déshumanisants dans la société actuelle. La médecine et la psychiatrie en particulier ne font pas exception, loin de là. Au contraire, nous devons être particulièrement vigilants pour résister à la réification de l’individu qu’impliquent les entreprises administratives de tout poil visant avant tout à la rentabilité à court terme dans un fantasme de maîtrise obsessionnel.

Je me suis intéressé au concept de Démarche Qualité dans le cadre du projet ESCULAPE à l’URML Poitou-Charentes par réaction au décret du 28 décembre 1999 sur l’évaluation des pratiques (voir à ce sujet l’analyse de Jean-Jacques Laboutière dans le BIPP N° 25 et la critique de ce décret que je fais dans le BIPP N° 27).

Ce n’est pas parce que j’utilise les lois de la gravitation découvertes par un sujet britannique que je suis pour autant royaliste ou anglophile. Le concept de Démarche Qualité n’a d’intérêt à mes yeux que parce que, justement, il réhabilite l’impondérable, le spécifique, un espace pour la complexité, et cela, non pas pour les réduire, mais pour en tenir compte.

Dans les projets d’application formelle du décret dont j’ai eu connaissance auprès de certaines URML, les recommandations cliniques sont présentées comme un idéal à atteindre, ce qui est une absurdité ! Les recommandations ne peuvent être qu'un outil d'aide à la décision. Tout le monde sait que dans certains cas, appliquer la référence serait une grave erreur, en tout cas ne serait pas idéal du tout. C'est le point conceptuel fondamental de notre opposition au décret dans notre Démarche Qualité du projet ESCULAPE (et ici, je ne parle pas des oppositions politiques et des confusions de registres que l’on pourrait développer). Quand bien même voudrait-on évaluer la qualité d’une pratique, ce qui fait un bon médecin est sans doute plus sa capacité stratégique à adapter l'ensemble de ses connaissances générales à une situation particulière que son aptitude à appliquer un prêt-à-soigner quelle qu’en soit la rigueur de son élaboration (ANAES).

Ne confondons pas "évaluation des pratiques", illusion réductrice de tutelles avides de chiffre, d’homogénéité et d’assurance sur l’orthodoxie des professionnels et "Démarche Qualité" qui est une manière de réfléchir sur sa pratique à l’occasion des difficultés rencontrées ne serait-ce que vis-à-vis des références et des réglementations.

J’ai beaucoup apprécié ce que vous dites sur l’écrit. En effet en dehors de l’augmentation tatillonne insupportable de nos charges administratives, il y a cette question essentielle de la réduction qu’il induit. Aussi, dans le projet ESCULAPE nous insistons sur la rencontre et l’interformation à laquelle nous sommes tant attachés à l’AFPEP. L’écrit n’est là que pour la médiatisation nécessaire pour la structuration du projet et faire connaître l’incontournable complexité de la relation médecin-malade.

Merci encore pour votre contribution. Elle m’a permis, entre autres, de préciser mon point de vue qui n’apparaissait bien sûr pas dans ce petit article qui ne voulait que remettre à leur place certains concepts et ouvrir le débat.

Olivier SCHMITT


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