Editorial

Olivier Schmitt
Retour au sommaire - BIPP n° 54 - Mars 2009

Le 2 décembre dernier, le Président de la République nous fait l'honneur de venir dans un  service de psychiatrie à l'hôpital Erasme d'Antony. Une première. Les malades sont parqués  dans les services, l'assemblée est triée sur le volet, la police est partout. On peut comprendre.

Mais, stupeur ! Le discours, après quelques propos lénifiants, expose une vision de la  psychiatrie qui nous sidère. Les quelques confrères présents restent figés devant tant  d'incompétence méprisante et d'assertions populistes. Prenant levier sur les peurs ancestrales  de l'étrange qui habitent chacun d'entre nous et qui nous font humains, assimilant la partie  pour le tout au gré des faits divers, ce discours lance l'anathème sur les plus fragiles et incite à  la relégation technologique. Sait-il seulement qu'en son temps Erasme avait fait l'éloge de la  folie ?

À l'initiative personnelle de quelques-uns d'entre nous, 39 professionnels de la psychiatrie se  réunissent rapidement et lancent l'appel contre « La nuit sécuritaire » qui obtient rapidement  un nombre impressionnant de signatures. Le 1er février l'AFPEP-SNPP vote en CA son soutien à « l'appel des 39 ». Le meeting organisé le 7 février à Montreuil rassemble plus de 1700 personnes.

Cette mobilisation militante spontanée peut laisser certains dubitatifs voire méfiants, craignant sans doute une manipulation politique comme le montre l'article de Pierre Coërchon (p. 13).

Son ton ironique et condescendant ne doit pas occulter les deux débats importants qu'il soulève si je le comprends bien. Celui de la dialectique entre l'individuel et le collectif d'une part, et celui du danger des manichéismes qui se nourrissent mutuellement dans leur opposition à l'autre. Effets de groupe, effets de foule, jouissance d'une homogénéité et d'une pensée unique ? Mais n'est-ce pas caricatural de voir les choses ainsi ?

Le mouvement des « 39 » est tout sauf homogène. C'est sa faiblesse et sa force, c'est tout son intérêt. Professions, pratiques, références théoriques, couleurs politiques, rarement un collectif est aussi inhomogène.

Alors, qu'est-ce qui nous rassemble ?

L'opposition à un discours ? Évidemment, mais pas seulement. Il a l'avantage de nous réveiller comme une puce qui nous pique dans notre sommeil. Mais, comme disait Jean Oury à Montreuil, une puce peut véhiculer la peste. La puce n'est qu'un vecteur, écrasez-la, la peste poursuivra son œuvre, transmise par d'autres puces.

Ce qui nous rassemble, ce sont certaines valeurs que l'AFPEP-SNPP a toujours soutenues.

- Respect de l'individu-sujet-citoyen quel qu'il soit

- L'indépendance professionnelle qui ne peut être préservée que par l'équilibre des pouvoirs et plus particulièrement entre les professionnels du soin et l'administration.

- Une conception de la clinique qui ne peut faire l'impasse de la complexité

    - ni du collectif

    - ni du contexte

    - ni de la psychodynamique propre à chacun.

Cela implique de fait :

- la spécificité de la Psychiatrie au sein de la Médecine et de la Santé

- la diversité nécessaire des approches théorico-pratiques.

Bien sûr, les uns ou les autres parlent plus spécifiquement du domaine ou des aspects qui les intéressent ou les préoccupent. Même si la psychiatrie de secteur est fortement présente dans les débats, la diversité du groupe permet de ne pas s'enfermer dans un seul discours. Le respect de chacun et l'ouverture à l'autre sont des grandes qualités de ce collectif.

Nous souffrons de malentendus et d'idées reçues que le rapprochement de nos syndicats au sein du CASP et de nos associations au sein de la FFP — qui a d'ailleurs permis la tenue des États Généraux, eux-mêmes non étrangers à l'origine du mouvement des "39" — ne semble pas encore avoir été complètement gommés.

En dehors des nombreux collègues qui partagent leur travail de praticien hospitalier à temps partiel avec un cabinet en ville, il y a une asymétrie d'appréciation de la situation puisque tous les psychiatres privés ont connu le public, alors que l'inverse n'est bien souvent pas le cas. Au sein des « 39 », j'ai donc été amené à rappeler quelques faits propres à la psychiatrie libérale tout particulièrement.

Il est vrai que certains patients ne viennent pas nous voir, ce qui induit inévitablement une forme de tri des malades. Mais lorsqu'il est dit que, par définition, le psychiatre libéral est dégagé de toute obligation et choisit donc librement les patients qu'il veut soigner, je pense que la réalité n'est pas si simple. Je parle de ma propre expérience et je sais cependant qu'elle n'est pas isolée : à la fin de la première consultation, même si je me suis senti réticent à l'accueil, grâce sans doute à cette relation très personnalisée qui s'installe durant l'entretien, jesuis captivé par l'humanité du nouveau venu et je lui demande s'il veut revenir. La plupart du temps, il revient. Et cela me convient. Je n'ai donc jamais refusé de suivre un patient même si je revendique cette possibilité. C'est aussi pour cela que je refuse que l'on me cantonne dans une position d'expert vis-à-vis des généralistes.

À ce propos, s'il y a de grands absents dans nos débats, ce sont bien ces derniers. Car ils sont souvent en première ligne pour ce qui concerne les troubles mentaux de la population et prescrivent plus de 80 % des psychotropes !

Si la destruction programmée du Secteur est très grave et doit être dénoncée avec la plus grande vigueur, ce n'est pas le seul aspect de la déréliction générale de la psychiatrie. La psychiatrie privée est en grand danger dans ses plus grandes avancées du point de vue de l'accès aux soins des plus démunis du fait de l'entreprise de destruction du principe de solidarité nationale qu'est la Sécurité Sociale.

En ville, notre indépendance relative par rapport à l'administration quelle qu'elle soit nous est précieuse. Nous la payons de notre solitude. Cette solitude est relative car nous travaillons aussi en équipe en tant que de besoin et au cas par cas. Cette solitude est également productrice d'accès aux soins pour les malades dont l'état ne permet pas une approche institutionnelle. Souvent dans un premier temps, beaucoup définitivement. La gravité de leur pathologie ne détermine pas cette ligne de partage. Parfois, c'est cette gravité même qui ne permet pas la prise en charge institutionnelle, au grand étonnement de certains praticiens hospitaliers qui y ont été fortuitement confrontés. La complémentarité n'est possible que dans la différence.

J'entends dire aussi : "La psychiatrie, c'est la psychose". Nonobstant le fait que beaucoup de psychotiques sont suivis en cabinet de ville, faut-il laisser sans soins ces personnes en grande souffrance présentant des états limites ? Faut-il laisser sans soins ces personnes en grande souffrance présentant des états névrotiques destructeurs ? Pour ne parler que de cet aspect des choses, ils se suicident bien plus que les schizophrènes !

Le Secteur est un outil formidable lorsqu'il est développé, mais public et privé ont une file active équivalente, ce que certains ont tendance à oublier. Par ailleurs, il est très discutable de parler d'hémorragie de psychiatres vers le privé, nous connaissons, nous aussi, une diminution problématique de nos effectifs. Secteur, ville, cliniques et médico-social sont le reflet de la richesse de la psychiatrie dans la complémentarité de ses pratiques.

Cette supposée fuite des effectifs vers le privé est un argument spécieux lorsqu'elle est désignée comme la cause des problèmes du secteur public. Si c'était le cas, ce ne serait pas par l'appât du gain puisqu'en considérant la carrière entière ce n'est pas, pour un psychiatre, un bon choix financier de s'installer en libéral. Ce qui motive une installation est sans doute d'un autre ordre.

En pratique libérale, nous avons bénéficié de conditions de travail exceptionnelles les trente années que j'appelle nos trente glorieuses :

    - Accès des patients aux soins grâce à la Sécurité sociale et à l'accès direct aux spécialistes de leur choix.

    - Indépendance professionnelle qui nous a permis d'être totalement responsables de nos actes en utilisant tous les ressorts théorico-pratiques qui nous étaient disponibles et que nous pouvions adapter à chaque patient.

   - Soutien, relais possible d'un service public (ou privé) permettant des hospitalisations rapides lorsque nécessaire (ce qui n'est plus le cas depuis quelques années).

    - Respect de la confidentialité non partagée exigée par beaucoup de nos patients, qui craignent — à juste titre ou non — ne pas l'obtenir dans d'autres lieux. Cette exigence est non seulement respectable, mais indispensable à la liberté de parole la plus grande possible de l'intéressé.

    - Intérêt de recevoir des malades pouvant élaborer une demande avec son corollaire de tri inévitable : ne viennent pas ou ne poursuivent pas ceux qui restent dans le déni de leur pathologie ou de l'origine de leur souffrance.

    - Confort de ne pas avoir de tour de garde mais au prix d'horaires extrêmement prégnants et tardifs et d'une disponibilité longitudinale de la plus grande importance pour chaque patient suivi.

Ces conditions de travail, qui nous permettent de soigner des malades que le secteur ne verrait pas, ne sont déjà plus à l'ordre du jour pour certaines et régulièrement remises en cause pour d'autres. Ces régressions sont extrêmement dommageables, voire scandaleuses par leurs bêtises technocratiques.

Enfin, ne devons-nous pas nous garder de penser en organisation administrative univoque ?

Une vision idéale de l'organisation des soins, quelle qu'elle soit, est source de réductionnisme. La pluralité des approches est la richesse de notre discipline qui nécessite des espaces de liberté laissant la place à l'invention, à la diversité. Seul le cadre éthique est important. C'est pour cela que nous sommes amenés à soutenir un discours de refus plus que de propositions "consensuelles". Seules, des règles générales peuvent définir ces espaces de liberté ouverts à l'imagination créatrice. Des décisions politiques qui détruisent ce cadre au profit de protocoles aliénants ne peuvent être que délétères pour l'humanité des soins.

 
Olivier Schmitt
Niort


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