Médias et politique - Inquiétude et interrogations

Jean-Louis Chassaing
Retour au sommaire - BIPP n° 54 - Mars 2009

Un article dans le journal local La Montagne, un important groupe de presse, m'avait amené, en décembre dernier, à réagir vivement à l'endroit de son auteur. Comme internet permet dorénavant de connaître le plus souvent l'adresse informatique, sur le mode « inter-réactif » n'est-ce pas, je ne m'étais pas gêné. Avec toutefois la cordialité qui s'impose devant un premier contact et dans l'ignorance des circonstances. Je demandais d'une part droit de réponse, j'en informais d'autre part le délégué Auvergne du Syndicat des Psychiatres Privés, notre collègue Pierre Coërchon.

Cet article s'intitulait « Sans coupable, pas de victime ». Il disait globalement que les «non-lieux» dont bénéficiaient – c'est bien le mot qui convient ici – les malades mentaux qui avaient commis des crimes, laissaient plus qu'un malaise. Globalement, mais bien sûr avec des formes et nuances, mais je persiste sur l'aspect global qui s'en dégageait et qui est celui évoqué ci-dessus. Et devrais-je dire plutôt « malades dangereux » ou carrément « les schizophrènes dangereux » comme nous l'avons entendu à satiété ces derniers temps : « le schizophrène dangereux a été rattrapé » etc. Certes des malades mentaux qui peuvent présenter un danger, pour eux-mêmes et pour autrui, ou seulement pour eux-mêmes, ou seulement pour autrui, épisodiquement et/ou de façon permanente, nous pouvons, nous cliniciens, connaître cet état de fait. Plutôt ces états de faits, avec la diversité des situations et des structures – pardon pour ce gros mot – ce qui ne permet pas la stigmatisation catégorielle si simplifiée et si commode aujourd'hui. Cette dangerosité, existe parait-il dans les familles aussi, à l'endroit des femmes très souvent parait-il, des enfants aussi, dans les banlieues c'est sûr, chez les adolescents pas de doute, violence chez les enfants le doute doit être levé par dépistages, la boucle est bouclée. La vie est risquée, il faut non pas la soigner mais la prévenir… Cela donne lieu ainsi à des non-"non-lieux" qui se remarquent par une générosité et une compassion que l'on ne perçoit pas toujours dans la vie quotidienne ; mais rassurons- nous elles sont là et « pour de vrai », sans arrières pensées.

Comme les psys sont perfides et comme ils compliquent la vie ! C'est sans doute pour cela qu'ils sont débordés par des demandes de plus en plus sociales et dont le pathos a changé quelque peu, le plus souvent témoignant d'un désarroi profond et à prendre en compte, devant cette souffrance qui ne sait plus ce qu'elle vient demander si ce n'est « aller mieux » !

Ainsi cet article de presse, qui se voulait généreux et on le comprend – nul n'a l'apanage ou l'exclusivité de la prise en considération de la souffrance de l'autre – laissait comme me l'a dit son auteur « la parole aux victimes ». Non, je n'ai pas répondu « mais les malades mentaux aussi sont des victimes », et « ce que vous avez écrit sur la psychiatrie et les psychiatres font que nous aussi sommes victimes. On ne nous aime pas assez, les malades mentaux non plus, et les victimes non plus ! ». J'ai fait des efforts pour ne pas répondre cela.

Je ne reviens pas sur ce statut si bénéfique de victime. Des travaux se poursuivent, commencés par des hommes de loi(1) puis par quelques psychiatres encore éveillés et attentifs, théoriciens de leur pratique plus que compassionnels, des travaux donc sur cet appel à être (enfin) reconnu comme victime, ainsi dédommagée et à (toujours) dédommager.

Il est vrai que nous, psychiatres, avons parfois tenu ce « discours », que le non-lieu n'était «pas thérapeutique», non pas pour les victimes mais pour l'auteur du crime… Il faut savoir reconnaître nos hésitations, ou affirmations et revirements, lorsque nous avons pu affirmer que la sanction pouvait être, pour l'auteur du crime, « la mise en face de la réalité » etc. C'est bien ce que nous reprochait Serge Portelli au colloque de Belfort, discussion suivie quelques années après, en mai 2006, avec le même Serge Portelli(2) d'une magistrale journée à la Cour d'Appel de Colmar, sous l'égide de nos collègues de Strasbourg(3) et du Professeur Michel Patris, journée organisée par le Collège de Psychiatrie et l'Association Nationale des Psychiatres Privés.

Dans l'article évoqué ci-dessus, les propos de la sœur d'un garçon assassiné par un jeune homme, malade mental souffrant de schizophrénie, sont redondants. « La victime n'est pas reconnue du tout, du tout » ; « Dans ces affaires-là, les victimes n'ont pas leur place », et à peine plus loin le journaliste renchérit « S'il est légitime de se demander aujourd'hui, quelle place la justice doit octroyer aux victimes de tels actes, etc. ». On ne sait plus qui est la victime, le garçon assassiné, sa sœur, la famille, et, non mentionnés, le malade mental, sa famille, etc. Il est certain que cela fait beaucoup de victimes, effectivement. Et c'est vrai.

Cette femme se plaint, sans doute à juste titre, qu'on ne lui a pas expliqué, de ne pas avoir été informée. « Qu'il n'y a pas d'information, ça me ronge ». On ne peut que s'ouvrir au fait de la discussion, de l'accueil des questionnements, mais jusqu'où ? Le journaliste lui-même, s'identifiant dans son texte avec ces victimes s'insurge contre le fait que le juge d'instruction n'a pu que dire « Que voulez-vous ? Il ne savait même pas lui-même ce qu'il faisait ! ».

Explication si ténue, insuffisante, et pourtant hélas si vraie ! Ainsi un encart est réservé dans l'article à un collègue habitué des expertises au pénal, ses propos sont justes mais si faibles par rapport à l'ensemble de l'article. « Non-lieu ; c'est un terme affreux. C'est comme si le crime n'avait pas existé ». Et devant cette réclamation d'explications, dont la mise en acte est possible depuis la loi du 23 février 2008, adoptée dans l'urgence après le drame de Pau, texte qui systématise l'information des familles, ce collègue expert reste dubitatif. Texte plus établi dit-il « pour rassurer le bon peuple » que « sur un raisonnement de façon démocratique et contradictoire ».

Le ton de l'article de presse est déplaisant. « L'homme qui a égorgé son frère poursuit des études à CF ». Scandale ! Après des années d'hospitalisations dans un service de malades difficiles cet homme, qui est toujours hospitalisé mais revenu dans la région, a en effet « des sorties d'essai pour aller poursuivre des études ». Scandale ! Probablement le même journal dira sur une autre page qu'il faut faire des efforts pour réinsérer les gens qui sortent de prison; c'est selon, selon le vent du moment ! Incohérence ! Et peur de la maladie mentale. Autre terme journalistique : dans le passage en revue de tous les crimes commis par des malades mentaux dans la région – trois mais avec force détails – il est mentionné qu'untel a « échappé aux assises pour cause de démence ». A échappé… ! Rattrapé, échappé… c'est la traque !

Je ne souhaite pas ici reprendre cette question difficile de « la » responsabilité – de qui ? des responsabilités, oui, cela est complexe -, la question tout aussi réelle de la dangerosité, bien que minime statistiquement, cela mérite de solides réflexions, lesquelles ont été bien des fois entamées, par exemple dans le Journal Français de Psychiatrie4 ou dans cette bonne revue ici même, mais ce n'est pas là mon propos.

Mon propos concerne l'inquiétude : qu'arrive-t-il ces derniers temps, avec toutes ces erreurs médicales, infirmières, hospitalières, urgentistes ? Quelle hécatombe tout d'un coup ! Des centaines d'enfants meurent d'erreurs ou d'insuffisances médicales, les fous s'échappent et tuent, un urgentiste réanime une vieille dame et en profite pour des attouchements, lesquels sont infirmés par la suite mais après avoir faussement et nommément sali le collègue, le directeur d'un grand hôpital psychiatrique est illégalement limogé. Bien sûr certaines choses se jouent politiquement, mais curieuse manière ! Quel est ce climat ? À quoi, à qui sert-il ?

Quel est le rôle de la presse, des mass media ? Le rôle du politique ? Comment réagissent – ou ne réagissent pas selon ce qui est devenu une habitude de passivité insouciante – les psychiatres, les médecins ?

Et mon propos, second volet mais lié au précédent, concerne aussi le fait que mes demandes auprès des journalistes sont restées jusqu'alors sans réponse. L'auteur m'a répondu trois jours après disant qu'il s'absentait trois semaines (vrai ?), refilant le bébé à une consœur qui n'a jamais daigné me répondre. Rien ! Gêne et mépris. Quelle considération pour les médecins !

Et pour leur propre travail d'information !

Dernière nouvelle, ce matin. Après que j'ai tambouriné à leur internet et leur ai fait part que je n'en resterais pas là, que j'écrivais au syndicat, un coup de fil arrive, de l'auteur de l'article, qui vient nous interviewer. Il est vrai pour être au plus juste qu'il avait ouvert une porte dans son article, mentionnant en trois lignes « l'état préoccupant de l'hôpital public et de la psychiatrie ». Merci. Alors à suivre. Et merci au SNPP et au BIPP, le SNPP pour les documents que ses membres éminents et si courageux nous fournissent pour faire part au mieux de nos difficultés et de nos engagements ; au BIPP pour son support informatif.

Jean-Louis Chassaing
Psychiatre, psychanalyste
Clermont-Ferrand

 

1 - Maître Thierry Levy a soulevé la question dans un livre, Éloge de la barbarie judiciaire (Ed. O. Jacob, 2004).
Un autre avocat, Maître Soulez-Larivière, en collaboration avec une psychanalyste, Caroline  Elachieff, a poursuivi sur un terrain plus directement clinique (In : Le temps des victimes -  Ed. A. Michel).
Récemment Didier Fassin et Richard Rechtman dans L'empire du traumatisme. Enquête sur la  condition de victime (Flammarion, 2007).
Voir aussi l'article de Daniel Lemler N'être victime - In : Entretiens et témoignages autour de  la psychanalyse .- Le Coq Héron, 193, 2008, ainsi que le numéro 195, Victime, et après…, de  la même revue, à paraître chez Érès éditions.

2 - Magistrat et Vice – Président du Tribunal de Paris.

3 - Docteurs Françoise Coret, Jacques Hirrmann et Marc Moralli. « L'expertise en question ».

4 - JFP, n° 13, 4e trimestre 2000, Faut-il juger et punir les malades mentaux criminels ?  et Qu'appelez-vous dangerosité ? JFP n° 23, Clinique, Scientifique et Psychanalytique. Érès  éditions.

 


Retour au sommaire - BIPP n° 54 - Mars 2009