La loi du 5 juillet 2011 déclarée partiellement inconstitutionnelle

Patrice Charbit
Retour au sommaire - BIPP n° 62 - Mai 2012

Le Conseil Constitutionnel a été saisi le 8 février 2012 par le Conseil d'État, dans les conditions prévues par l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'association « Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie ». Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l'article L. 3211-2-1 du Code de la santé publique, du paragraphe II de son article L. 3211-12, du 3° du paragraphe I de son article L. 3211-12-1 et de son article L. 3213-8.

Cette QPC portait sur des dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. Cette loi, réformant la loi du 27 juin 1990, s'inscrit dans le prolongement de deux décisions de censure du Conseil Constitutionnel (n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011). La loi du 5 juillet 2011 n'avait pas été soumise au Conseil dans le cadre du contrôle a priori de l'article 61 de la Constitution. Quatre de ses dispositions étaient contestées.

- L'article L. 3211-2-1 du Code de la santé publique, relatif aux soins sans consentement, est conforme à la Constitution. La loi du 5 juillet 2011 a permis qu'une personne puisse être soumise à des soins psychiatriques sans son consentement, soit sous la forme d'une « hospitalisation complète », soit « sous une autre forme incluant des soins ambulatoires, pouvant comporter des soins à domicile, dispensés par un établissement » psychiatrique et, le cas échéant, des séjours effectués dans un tel établissement. Selon la loi, seules les mesures de soins psychiatriques ordonnées sous la forme de l'hospitalisation complète ne peuvent se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention (JLD) se soit prononcé sur leur maintien.

Les requérants dénonçaient l'absence d'une telle intervention du JLD pour les soins ambulatoires.

Le Conseil Constitutionnel a relevé que les personnes traitées en soins ambulatoires ne sauraient se voir administrer des soins de manière coercitive ni être conduites ou maintenues de force pour accomplir les séjours en établissement prévus par le programme de soins. Aucune mesure de contrainte à l'égard d'une personne prise en charge en soins ambulatoires ne peut être mise en oeuvre pour imposer des soins ou des séjours en établissement sans que la prise en charge du patient ait été préalablement transformée en hospitalisation complète. Dès lors le grief, dirigé contre l'article L. 3211-2-1, tiré de la violation de la liberté individuelle, manquait en fait.

- Le paragraphe II de l'article L. 3211-12 et l'article L. 3213-8, relatifs aux règles particulières applicables aux personnes hospitalisées après avoir commis des infractions pénales en état de trouble mental ou qui ont été admises en unité pour malades difficiles (UMD), sont contraires à la Constitution.

Le paragraphe II de l'article L. 3211-12 et l'article L. 3213-8 sont applicables aux personnes ayant commis des infractions pénales en état de trouble mental ou ayant été admises en UMD. Pour ces personnes, des conditions particulières sont prévues pour la mainlevée d'une mesure de soins psychiatriques. D'une part, le JLD ne peut statuer qu'après avoir recueilli l'avis d'un collège de soignants et ne peut décider la mainlevée de la mesure sans avoir ordonné deux expertises supplémentaires établies par deux psychiatres. D'autre part, le préfet ne peut décider de mettre fin à une mesure de soins psychiatriques qu'après avis du collège de soignants et deux avis concordants sur l'état mental du patient émis par deux psychiatres.

Le Conseil Constitutionnel a, à nouveau, reconnu qu'en raison de la spécificité de la situation des personnes ayant commis des infractions pénales en état de trouble mental ou qui présentent, au cours de leur hospitalisation, une particulière dangerosité, le législateur pouvait assortir de conditions particulières la levée de la mesure de soins sans consentement dont ces personnes font l'objet. Toutefois, il appartient alors au législateur d'adopter les garanties contre le risque d'arbitraire encadrant la mise en oeuvre de ce régime particulier.

D'une part, il n'en allait pas ainsi s'agissant des personnes ayant séjourné en UMD. Aucune disposition législative n'encadre les formes ni ne précise les conditions dans lesquelles une décision d'admission en UMD est prise par l'autorité administrative. Les dispositions contestées font ainsi découler d'une hospitalisation en UMD, laquelle est imposée sans garanties légales suffisantes, des règles plus rigoureuses que celles applicables aux autres personnes admises en hospitalisation complète, notamment en ce qui concerne la levée de ces soins. Cette absence de garanties légales a été jugée contraire à la Constitution.

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'en permettant que des personnes qui ne sont pas prises en charge en « hospitalisation complète » soient soumises à une obligation de soins psychiatriques pouvant comporter, le cas échéant, des séjours en établissement, les dispositions de l'article L. 3211-2-1 n'autorisent pas l'exécution d'une telle obligation sous la contrainte ; que ces personnes ne sauraient se voir administrer des soins de manière coercitive ni être conduites ou maintenues de force pour accomplir les séjours en établissement prévus par le programme de soins ; qu'aucune mesure de contrainte à l'égard d'une personne prise en charge dans les conditions prévues par le 2 de l'article L. 3211-2-1 ne peut être mise en oeuvre sans que la prise en charge ait été préalablement transformée en hospitalisation complète ; que, dans ces conditions, le grief tiré de la violation de la liberté individuelle manque en fait.

C'est alambiqué, mais nous pouvons déduire que s'il n'y a pas d'hospitalisation complète, la contrainte n'est pas possible. C'est obligatoire mais sans contrainte... Toujours est-il que cela en est fini des soins sans consentement en ambulatoire sous cette forme et pour le moment.

C'est une victoire pour ceux, dont le SNPP et surtout les « 39 », qui se sont élevés contre le caractère coercitif et sécuritaire de cette loi. Elle est déclarée contraire aux principes républicains par « nos sages » et devra être réécrite d'ici le 1er octobre 2013. La gêne palpable des rédacteurs de cette QPC poussera peut être à une réécriture complète de la loi. La traduction juridique du discours d'Anthony du Président de la République est de fait sensiblement repoussée. Contrairement à ce qui nous a été reproché, l'engagement contre cette loi n'était pas une « excitation en vain » mais un souci de ce qui nous fonde. Le Conseil Constitutionnel l'a de ce point de vue confirmé.

Une nouvelle loi sur la psychiatrie sera donc un des tout premiers dossiers du nouveau gouvernement et la bataille risque d'être âpre entre les différents acteurs. Une période de crise est habituellement une époque propice aux raccourcis ravageurs et aux renoncements injustifiables. Les cartes seront sur la table d'emblée et le positionnement du nouveau gouvernement en dira long sur son état d'esprit. Rester ferme sur les principes reste plus que jamais de rigueur.


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