Rapport moral et d’orientation

Michel Marchand
Retour au sommaire - BIPP n° 62 - Mai 2012

Dans un contexte général de division et d'affrontement auxquels les associations scientifiques et syndicats n'échappent pas, en psychiatrie comme ailleurs - et nous avons vécu cela de près - le Bureau actuel s'est attaché à nourrir le débat au sein du Conseil d'Administration comme avec l'ensemble de nos partenaires tout au long de cette année, qui a succédé à une période difficile, vous le savez. Nous nous sommes employés, pour notre part, à mettre en place les conditions d'un fonctionnement qui permette une libre circulation de la parole et de l'information.

Et je salue toutes celles et ceux qui se sont investis sans relâche tant dans le champ de la réflexion clinique que dans l'action syndicale qui s'y appuie. Le travail intense du Bureau, élargi à toutes les forces vives qui se sont manifestées, s'est inscrit, je le crois, dans le droit fil de l'histoire des quarante années de l'AFPEP - SNPP.

La défense inlassable des valeurs d'une psychiatrie humaniste a successivement buté sur le vote de la loi du 5 juillet 2011 puis sur les injonctions réglementaires de l'Assurance Maladie et enfin sur les recommandations de la Haute Autorité de Santé, en attendant celles des Agences Régionales de Santé pressées de satisfaire, dans chacune de nos régions, les orientations définies par le Plan Psychiatrie Santé Mentale.

Les audiences au Sénat, les prises de position déterminées au nom du SNPP mais aussi en commun avec les autres syndicats, souvent sous notre impulsion, au sein du Comité d'Action Syndical de la Psychiatrie, ont pourtant sensibilisé nos interlocuteurs à la dimension du soin. Reste, qu'une fois la loi votée, nous sommes censés répondre à des demandes de soins ambulatoires sans consentement, incompatibles avec notre conception de la relation soignante. Nous demandons l'abrogation de ce dispositif et plus généralement de cette loi.

Nos interventions auprès des différentes centrales syndicales, ainsi qu'à la table des négociations de la nouvelle convention, ont permis d'obtenir la seule revalorisation de cette convention : la consultation du psychiatre. Une modeste augmentation du CNPsy, qui attendra la tenue de notre Assemblée Générale pour être appliquée ! De même quelques améliorations accessoires en pédopsychiatrie et une cotation à 1,5 CNPsy pour les consultations sous 48 heures à la demande d'un médecin traitant ont été accordées.

Mais apparaît en même temps au coeur de cette convention cet avatar du progrès de l'administration adossé à des considérations supposées scientifi ques : je veux parler de ce mirobolant paiement à la performance, nommé P4P, comme si le fait de mimer les sigles anglosaxons était déjà un gage de modernité et d'effi cacité. Nous ne pouvons accepter cette perte d'indépendance professionnelle doublée d'un conflit d'intérêt manifeste.

Et vient s'ajouter, dans la liste des violences et ingérences faites à notre exercice, la proposition de loi interdisant la psychanalyse dans la prise en charge de l'autisme, précédant de peu les dernières recommandations honteuses de la HAS, dénoncées avec force lors du rassemblement de Montreuil il y a une semaine à l'initiative du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire. Le règne de l'arbitraire coiffe tous les domaines, sous couvert de scientisme.

Que dire après cela du Plan Psychiatrie Santé Mentale ? Après une parodie de concertation, il s'agit de faire appliquer par les Agences Régionales de Santé la mise en place de « territoires de santé » visant à démanteler le secteur, à inclure tous les modes d'exercice dans la permanence des soins, voire les urgences, à réduire le champ d'intervention des psychiatres aux « pathologies psychiatriques avérées » selon la classification DSM, la souffrance psychique relevant dès lors d'autres prises en charge.

Ici comme ailleurs nous avons insisté sur les conditions qu'exige la pratique du soin : l'indépendance professionnelle, la confidentialité, le libre choix, le temps disponible avec pour corollaires son financement et une démographie suffisante de praticiens, enfin une formation recentrée sur la psychodynamique et la relation au patient.

Et la mise en oeuvre du Développement Professionnel Continu risque bien, si nous n'y prenons garde, d'échapper à son tour aux professionnels.

Sur tous ces fronts il nous a fallu marteler nos positions, informer la presse, publier Bulletins et Newsletters, rencontrer nos adhérents en région, les renseigner dans leurs demandes individuelles, et réagir dans un temps syndical très contraint.

Nos réponses syndicales sont possibles grâce au travail d'élaboration de l'AFPEP, disposant d'un espace temps plus souple mais d'une même densité, entre la réalisation des Journées Nationales d'Amiens, fort réussies, et la préparation de celles de Bordeaux, tout aussi prometteuses, ainsi que le Séminaire d'Été qui s'insèrera dans les Francopsies de Montpellier, sans oublier l'édition des numéros de Psychiatries.

Présente et active à la Fédération Française de Psychiatrie, à Alfapsy et à la WPA pour l'international, l'AFPEP défend ardemment la psychiatrie de la personne.

Après cette description d'une situation qui peut paraître pour le moins décourageante nous pouvons réellement nous demander vers quelle psychiatrie nous allons.

Quel intérêt y aurait-t-il en effet à exercer un métier que l'on voudrait réduire à l'application de protocoles, au traitement de « désordres », définis eux-mêmes par une nomenclature purement statistique, en ignorant ce qu'il en est de la souffrance psychique ?

Notre exercice aurait-il à se réduire à un périmètre limité par une nomenclature ? Devrions-nous accepter de faire entrer à tout prix, c'est-à-dire à bas prix, soignants et soignés dans des cases où il n'y aurait plus ni pensée ni rencontre, et donc plus d'effet ni de la pensée ni de la rencontre ? Les choix thérapeutiques devraient-ils être inféodés à la satisfaction de contingences administratives, sécuritaires et comptables ? Quelles perspectives s'offrent-elles aux praticiens de demain ? Quel est notre engagement possible, en tant que praticiens, dans la formation des internes ? Quelle est notre inscription dans le champ social de nos lieux d'exercice ? Serait-ce un combat d'arrière-garde que celui de l'humain, notion qui réapparaît enfin comme prioritaire dans les discours politiques tenus au seuil d'échéances électorales présidentielles et législatives ? Que sera demain pour nos patients ?

A toutes ces questions nous avons à répondre cet après-midi au cours du débat d'orientation de notre Assemblée Générale, et lors des Assises de la Psychiatrie qui devraient être organisées cet automne.

Nous avons à définir l'avenir de notre métier

- en évitant l'écueil de nous enfermer dans une nostalgie d'une pratique qui nous apparaît, après coup, bien confortable, et en nous préservant d'une opposition binaire en réponse aux provocations actuelles,

- en affirmant la spécifi cité de notre pratique d'exercice privé, notre fonction soignante première et les conditions qui permettent de l'exercer, que ce soit en cabinet de ville, dans les structures médico-sociales ou en clinique,

- en rappelant combien la psychothérapie est consubstantielle du soin en psychiatrie, l'articulation entre différentes approches ouvrant sur toutes les dimensions de la souffrance psychique,

- en orientant la formation initiale et continue dans ce sens,

- en inscrivant la singularité de chaque situation sans méconnaître la nécessaire organisation des soins au niveau de la collectivité,

- en revalorisant sérieusement l'acte de consultation, acte unique et d'accès direct pour tous.

Nous appelons pour cela nos gouvernants et nos législateurs à défi nir une véritable politique de santé pour la psychiatrie, avec les moyens afférents, et nous exigeons de l'Assurance Maladie qu'elle joue pleinement son rôle pour rendre les soins accessibles à tous et qu'elle noue un partenariat respectueux des professionnels de santé.

Mais auparavant je tiens à adresser tous mes remerciements pour le travail accompli depuis un an par le Bureau, élargi à tous ceux qui le souhaitaient.

Et j'appelle celles et ceux qui sont désireux d'apporter leur contribution à nous rejoindre. Pour défendre le présent et préparer l'avenir de la psychiatrie, nous avons besoin de tous. Et vous vous joindrez à moi pour remercier tout particulièrement nos fidèles et dévouées collaboratrices, Chantal, Marie et Évelyne.


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