Au-delà des recommandations de la Haute Autorité de Santé concernant l’autisme

Claire Horiuchi
Retour au sommaire - BIPP n° 62 - Mai 2012

Après une lecture attentive du rapport de la Haute Autorité de Santé sur l'autisme et un premier mouvement de tristesse face à la confirmation de l'évolution actuelle de notre société, je me suis dit qu'il était fi nalement préférable que la psychanalyse ne soit pas compromise en étant citée comme pouvant être recommandée dans un tel protocole. De fait, comment aurait-elle pu y apparaître alors que la conception du sujet dans un abord psychanalytique se situe aux antipodes d'une telle recommandation ?

Dans les recommandations, le caractère polymorphe de ce regroupement clinique sous l'appellation « TED » est bien souligné et l'absence de recul sur une durée suffisamment longue des techniques rééducatives pour en tirer des conclusions sur le devenir de ces enfants une fois adulte, y est aussi clairement mentionnée.

Comment peut-on, dans le prolongement de ces constats, « patenter » offi ciellement des soins pour des enfants sans tenir compte de la perspective de leur devenir comme adulte ?

Au-delà des querelles d'écoles, la question fondamentale est sans doute le pourquoi d'une telle préconisation, justement autour de l'autisme alors que tout peut laisser penser que si il y a bien un domaine où de telles recommandations ne peuvent s'envisager c'est bien pour ces patients.

Pourquoi vouloir regrouper des pathologies si polymorphes en un seul groupe clinique juste autour de la notion des troubles de la communication ? Pourquoi tenter de trouver à tout prix une étiologie unique qu'elle soit génétique ou autre pour des enfants et futurs adultes si différents ? Comment peut-on envisager de prendre en charge de manière relativement homogène des enfants qui pour certains souffrent d'épilepsies sévères ou autres pathologies neurologiques, pour d'autres n'accèdent pas au langage avec plus ou moins des troubles du comportement graves et des enfants Asperger ? Cette évidence clinique est oubliée de manière étonnante et pose question en tant que telle. Pourquoi cette agitation et volonté d'agir sur l'autisme de cette manière homogénéisante ?

L'argument financier a été avancé et y contribue sans doute. Mais il n'y a peut être pas que cela. Ce qui fait trait commun entre ses différentes pathologies et qui est mis en avant sous la formulation « perturbations qualitatives dans les domaines des interactions sociales réciproques et de la communication » constitue justement ce qui provoque une grande souffrance pour les familles et confronte les soignants à un sentiment d'impuissance lorsqu'ils ont face à eux un enfant qui leur échappe ou qui semble nier leur existence par moment. Nous pouvons déjà nous étonner que finalement ce qui regroupe ces enfants dans une même catégorie serait peut être plus liée à ce qu'ils font vivre aux autres que les symptômes qu'ils partagent entre eux. Par ailleurs, cela survient dans une société où la communication prend une place très particulière, se développant et donnant l'illusion que nous pourrions être en lien en permanence, avec des « amis » de partout et multiples alors qu'en réalité ce lien devient de plus en plus virtuel, sans « corps ». Est-ce simplement un hasard qu'il y ait une tentative de maîtrise pour rendre conforme ces enfants qui échappent et viennent peut être interroger sur nos modalités de liens ?

Il est bien question d'interactions sociales « réciproques » et de la communication. Pour communiquer, il faut être au moins deux. Il y a l'émetteur et le récepteur. Mais là, il n'y a d'une certaine manière que remise en question de l'enfant dit « TED » dans sa manière d'être en lien avec l'autre pour lui permettre de s'adapter à nos codes sociaux, certes majoritaires mais qui ne constituent pas pour autant un modèle absolu.

Notre modalité de communication et d'échanges sociaux s'est constituée telle que nous la connaissons actuellement pour de multiples raisons aussi bien biologiques au sens large que sociétales et elle aurait pu être autrement. Elle ne constitue qu'une variation parmi d'autres. Et si c'était justement notre modalité majoritaire qui empêchait d'être en lien avec ces enfants et futurs adultes ?

Je me rappelle de ma première rencontre avec un enfant autiste dans un hôpital de jour alors que j'étais interne en psychiatrie. Parmi les enfants de cet hôpital de jour, il y avait un garçon à part, non en lien avec les autres et qui ne s'y intéressait pas. Il posait son regard dans un ailleurs insaisissable. Un garçon pour qui ma présence ne comptait manifestement pas. Ce qui n'a pas empêché qu'à quelques moments, je me suis retrouvée face à lui, dans un échange de regards prolongé. « Échange » n'est peut être pas le mot adapté car je serai bien en peine de qualifier ce qui s'y

passait. Il plongeait son regard dans le mien qui en était quelque part captif. J'étais incapable d'imaginer un tant soit peu ce que lui pouvait vivre dans ce moment. Je ne pourrai pas plus définir ce qui était regardé, aussi bien par lui que par moi. Mais si il y en avait un qui pouvait laisser penser qu'il maîtrisait la situation, qu'il détenait un savoir sur l'autre, c'était lui. J'avais l'impression qu'il accédait à quelque chose en moi, à un je ne sais quoi. Je garde encore en mémoire la perception de ce moment que j'ai pu éprouver avec d'autres enfants par la suite. Je le vis encore comme un moment d'interrogation radicale dans le sens d'un questionnement qui ne renvoie à rien, une forme de questionnement pur ?

La question de la souffrance de l'enfant autiste est une autre question. Si cette difficulté relationnelle provoque réellement une souffrance pour lui, sa modalité relationnelle peut être remise aussi bien en question que la nôtre. Mais qui finalement souffre le plus de cette difficulté relationnelle ? Est-ce vraiment l'enfant dit T.E.D ? Cela n'empêche pas que ces enfants souffrent et la description que peuvent faire certains enfants accédant au langage de leur souffrance est davantage dans un registre sensoriel, sous la forme d'agression par des bruits, des lumières etc. ; une souffrance qui paraît être d'une intensité difficile à imaginer pour nous.

La manière dont nous pourrions les aider pour cette forme de souffrance n'est guère abordée dans les recommandations. Mais il est là encore difficile de supposer que tous ces enfants vivent des souffrances semblables. Ce que vise la psychanalyse (à différencier des psychothérapies d'inspiration psychanalytiques), c'est avant tout l'écoute et une tentative pour comprendre quelque chose à la souffrance psychique d'un autre avec l'espoir d'atténuer cette souffrance. Nous n'en sommes qu'à tenter de comprendre ce que peuvent vivre ces enfants en les écoutant malgré toute leur difficulté de communication, dans leur particularité et toujours dans l'idée d'un enfant comme un être en devenir, un devenir adulte entre autre.

Comment la psychanalyse pourrait-elle avoir sa place dans des recommandations de la HAS telles qu'elles sont préconisées où il est plus question de tenter d'objectiver ces enfants dans un groupe homogène relevant d'un handicap à palier ou à corriger ?

Sans remettre en cause la bonne volonté des personnes qui ont souhaité mettre en place un tel protocole pour répondre à la souffrance réelle de ces enfants et de leurs familles, je crains qu'à vouloir répondre de manière hâtive à des interrogations que ces enfants soulèvent, qui touchent sûrement à des questions bien plus profondes et essentielles pour l'humanité et la société, nous leur en fassions payer à nouveau le prix d'une autre manière, en les stigmatisant dans une catégorie fourre tout. Il y avait sûrement des situations cliniques autres que celles de l'autisme infantile, plus concrètes et homogènes, où les protocoles auraient été moins litigieux et utiles.

Qu'est-ce qui se passe dans notre société pour en arriver là ? N'est-ce pas la réelle question urgente que nous devrions-nous poser ? Ces enfants ne viennent-ils pas nous interroger sur notre mode de communication, nos liens sociaux qui ont de plus en plus de mal à tolérer des différences qui renvoient de surcroît à de l'inconnu ? Une société où la notion de handicap prend une ampleur inquiétante, figeant les statuts, empêchant de dégager une perspective autre que palliative et surtout permettant de nous éviter de nous interroger sur notre manière d'être avec ces enfants et personnes en les renvoyant dans le champ du handicap ? Enfin, comment pensons-nous (ou pansons-nous) l'enfance actuellement ?

Si ces recommandations pouvaient relancer ces questions, alors elles auront peut-être apporté autre chose que des querelles inutiles et des pertes de perspectives d'ouverture vers un plus d'humanité.


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