A propos des contentieux : éléments de doctrine syndicale

Gérard Bles
Retour au sommaire - BIPP n° 17 - Juin 1998

- Infractions aux RMO (anxiolytiques, hypnotiques)

Récemment, un de nos collègues, mis en cause pour ses prescriptions, a été déféré devant la CMR de sa région : voici l’argumentaire que nous lui avons proposé :

    1) le non respect des durées légales de prescription
    Cela concerne par définition des ordonnances de longue durée, excédant un ou trois mois de prescriptions. Dans ce cadre, soit le psychiatre intervient comme consultant , soit assure le suivi d’un traitement au long cours. Ce sont des indications thérapeutiques qu’il donne ainsi, lui-même et le patient sachant pertinemment qu’il appartiendra au pharmacien de limiter la délivrance des produits à la durée légalement autorisée, le renouvellement intermédiaire étant assuré par le généraliste à partir des indications du spécialiste consultant. Ce spécialiste peut évidemment intervenir de façon plus rapprochée, sans que l’état clinique du patient et son évolution le justifient nécessairement : cette modalité de fonctionnement, permettant le “respect” des durées légales de prescriptions, entraînerait par contre un surcoût non ou mal justifié pour l’assurance-maladie…

    Sur la pertinence des prescriptions de longue durée : le psychiatre prend en charge des malades “lourds”, affectés de manifestations pathologiques plus ou moins chronicisées, exigeant une stricte observance d’un traitement au long cours, condition souvent primordiale pour éviter hospitalisations ou réhospitalisations.
    En définitive, il s’agit donc bien de prescriptions permettant de limiter les coûts entraînés par la maladie.

    2) la prescription de deux benzodiazépines ou de deux hypnotiques
    Disons-le encore une fois, le psychiatre assure souvent la prise en charge de malades “ lourds ”, du point de vue de la symptomatologie présentée et/ou de sa résistance au traitement – cela souvent à l’issue d’un parcours plus ou moins prolongé et inefficace en médecine générale.
    Pour faire face à ce type de symptomatologie, il doit notamment avoir recours à l’arsenal psychotrope en en exploitant toutes les potentialités, en particulier les cinétiques pharmacologiques qui sont très diversifiés au sein d’une même famille de produits.
    Par ailleurs, il s’agit souvent de patients chez lesquels il est très difficile de modifier, substituer ou réduire les prescriptions, sauf à déclencher d’importantes réactions anxieuses chez des sujets particulièrement fragiles et même si l’on admet que des facteurs autres que strictement physiologiques interviennent dans leur attitude et leur réactivité aux médicaments.

    Globalement, il importe de souligner à nouveau que le psychiatre intervient le plus souvent en deuxième intention, après un parcours soignant non-spécialisé plus ou moins prolongé et en raison même de l’inefficacité de celui-ci. Son attitude thérapeutique sera nécessairement plus complexe, dans l’intérêt même de son patient.

    On remarquera à cet égard que les prescriptions de psychotropes en milieu hospitalier et/ou universitaire sont généralement encore beaucoup plus lourdes et complexes, sans correspondance avec les RMO, et que le psychiatre de ville doit souvent attendre de longs mois avant de pouvoir simplifier les schémas thérapeutiques.

    Enfin, on ne peut, pour juger de la pertinence des prescriptions, procéder par stricte comparaison avec d’autres praticiens de la même discipline, individuellement ou à travers les moyennes statistiques : en effet, les clientèles ne sont pas homogènes, se diversifiant en fonction des orientations et des aptitudes du praticien traitant.
    Il convient, pour terminer, de rappeler combien notre discipline est mal connue des circuits de contrôle habituels, du fait de la complexité des pathologies, de la clinique et des possibilités thérapeutiques. En psychiatrie encore plus qu’ailleurs, le malade ne peut-être considéré comme un animal de laboratoire dont il n’y a nulle raison de prendre en compte la subjectivité et la souffrance, qui s’accommodent très mal de protocoles standardisés et inexorables.


- Prescriptions non spécifiquement psychiatriques

Une autre de nos collègues s’est vue mise en cause dans des conditions à la limite du saugrenu pour avoir prescrit soit divers correcteurs d’effets secondaires, soit occasion-nellement d’autres médications à visée somatique urgentes ou impératives. Le contrôle médical prétend requalifier ses actes en Cs (!) de gastro-entérologie, de cardiologie, etc... Nous avons argumenté de la façon suivante à l’intention de la Section Assurances sociales du Conseil régional de l’Ordre :

    La nature de l’acte médical ne peut en aucun cas être inférée de la nature des prescriptions qui l’accompagnent, qui en constituent la conséquence et non la substance. Ce sont la nature de la pathologie prise en charge et les modalités de cette prise en charge qui le spécifie – et cela très caractéristiquement en psychiatrie, l’acte de consultation reposant avant tout sur sa dimension relationnelle.

    Ce qu’il importe donc d’apprécier, dans toute démarche de contrôle de l’activité d’un psychiatre, c’est l’existence chez le patient d’une souffrance psychique, prise en charge comme telle (ce qui n’est pas forcément simple lorsque le contrôle intervient à posteriori, parfois plus d’un an après les faits, le contrôleur lui-même n’étant pas nécessairement compétent dans le domaine considéré).

    Quant aux prescriptions médicamenteuses, lorsqu’elles existent (ce qui en psychiatrie est loin d’être automatique), elles répondent aux besoins du patient. L’utilisation des substances psychotropes exige fréquemment le recours à des correcteurs qui eux-mêmes ne sont pas psychotropes, mais d’ordre cardio-vasculaire, digestif, etc.

    De surcroît, nous pouvons être amenés en urgence et de façon ponctuelle, plus ou moins exceptionnelle, à effectuer des “ prescriptions relai ” pour un traitement établi et surveillé au long cours par ailleurs, pour éviter des ruptures d’observance, voire des actes inutilement redondants (ce à quoi paradoxalement une application littérale des dispositions résultant des ordonnances d’avril 96 nous amènera à renoncer).

    Il ne s’agit là nullement d’une violation de l’engagement d’exercice exclusif dès lors que l’objet principal de la consultation est du ressort de la psychiatrie. Docteurs en médecine, nous sommes habilités à toute prescription pour autant que nous intervenions avec la pertinence, la prudence et la compétence exigibles.

Ajoutons que, mise en cause pour les mêmes raisons dans un autre cadre (institutionnel), une autre de nos consœurs a sollicité et obtenu du Conseil national de l’Ordre l’avis suivant :

Votre employeur... vous fait le reproche d’établir des actes relevant d’autres disciplines que la psychiatrie. Il me parait tout à fait légitime que dans le cadre de votre exercice, vous pratiquiez aussi des examens somatiques, des prescriptions d’orthophonie et de kinésithérapie.


Je trouve tout à fait normal qu’un psychiatre s’occupe à la fois de l’équilibre psychique et de la santé physique de ses patients. Actuellement, il n’existe aucun texte sur les libertés de prescription et les contenus de la pratique du psychiatre (s’y) opposant.

- Indications et nature des psychothérapies

Un de nos confrères psychothérapeute avait été inquiété il y a deux ans, mis en cause par le contrôle médical qui avait prétendu que la patiente concernée était en parfait état de santé mentale et donc que ce dont elle avait bénéficié était une psychanalyse «didactique», réclamant de ce chef au praticien la restitution de l’ensemble des honoraires perçus à cette occasion. Ce confrère avait récemment gagné contre la CPAM devant le TASS. Or, très peu de temps après, le contrôle médical l’informait qu’il entreprenait une nouvelle analyse de son activité, accompagnée d’une enquête auprès de ses patients. Il a dans ces conditions adressé la lettre suivante aux instances de l’Ordre, dont la pertinence mérite que nous la reproduisions ci-après :
(...)

1) J’ai déjà, en 1996, c’est-à-dire il y a deux ans, été l’objet d’une telle étude (le mot d’enquête avait été utilisé par la CPAM devant mes patients). Pour l’une de mes patientes, cela s’est terminé par une plainte que j’ai déposée contre la CPAM auprès du TASS, affaire dans laquelle la CPAM a été déboutée. Je suis étonné qu’en si peu de temps soient effectuées deux analyses de mon activité. Qu’en pensez-vous ?

2) Les patients utilisent très souvent le terme de psychanalyse alors qu’ils sont en psychothérapie (en face à face). J’ai pu constater, lors de cette précédente analyse de mon activité, que les médecins conseils de la CPAM de ... faisaient le même amalgame que les patients. J’avais proposé à l’époque à Madame le Docteur ..., médecin conseil , chef de service, de faire une sorte de «formation» des médecins conseils sur les différences entre psychothérapie et psychanalyse. Elle avait refusé. Or c’est le non-respect de cette différence qui a, entre autres, fait que cela s’est malheureusement poursuivi jusqu’au TASS. Que pensez-vous de cet amalgame que font les médecins conseils de la CPAM de ...?

3) Lors de cette précédente analyse de mon activité, des patients en cours de traitement, ainsi que d’autres qui ne l’étaient plus, ont été convoqués par le service médical de la CPAM. Or, dans ma spécialité, basée essentiellement sur la relation, ce qu’on nomme le transfert, de telles pratiques sèment la suspicion, le doute et la perplexité dans l’esprit des patients et peuvent s’avérer préjudiciables pour la suite des soins. Quel est votre avis sur cette question ?

Soulignons au passage combien le refus d’information qu’évoque notre confrère et la méconnaissance des réalités de notre pratique constituent une des difficultés majeures que nous avons à affronter pour faire reconnaître nos spécificités d’exercice. Il ne s’agit pas pour nous de défendre, au prix de quelque habileté dialectique, tout et n’importe quoi : nous ne réclamons aucun statut d’exception par rapport à l’éthique professionnelle, mais simplement (?) la reconnaissance des «exceptions» éventuelles qu’impliquent la nature de notre champ d’intervention et les méthodes que celle-ci exige. Rien de plus, rien de moins.

Gérard Bles


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