A propos de la "permanence médicale"

Gérard Bles
Retour au sommaire - BIPP n° 17 - Juin 1998

Réunion à l’Ordre National des Médecins (17 juin 1998)

Cette réunion, à laquelle participaient des représentants de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et du Ministère de la Santé (Direction des Hôpitaux, Direction Générale de la Santé, Bureau de la psychiatrie SP3) a été déclenchée à l’origine à la suite de la demande d’avis du S.N.P.P. au Conseil National de l’Ordre (lettre du 13.3.98) :

    Nous souhaiterions recevoir l’avis du Conseil National de l’Ordre sur le problème suivant, qui nous parait avoir des implications déontologiques.

    Les psychiatres exerçant en hospitalisation privée ont le plus souvent un statut libéral, rémunéré à l’acte, selon la NGAP. Par ailleurs, dans le cadre de l’Annexe XXIII, les établissements ont l’obligation de mettre en place une permanence médicale non spécialisée (en particulier nuits et W.E.).

    Un certain nombre d’établissements estiment aujourd’hui que l’honoraire perçu par le psychiatre libéral devrait couvrir également cette permanence médicale (en jouant notamment sur les termes des deux textes ci-dessus évoqués), ce qui aurait comme conséquence

soit que les praticiens rémunèrent directement le ou les médecins assumant la permanence;

soit que les coûts exposés par cette permanence soient répercutés dans la redevance perçue par l’établissement sur les honoraires libéraux.

    Indépendamment du débat juridique proprement dit (interprétation des textes), il nous apparaît que ces deux solutions entraîneraient de fait pour les médecins libéraux la mise en place d’un assistanat salarié réputé pallier une partie des obligations supposées entraînées et rémunérées par leurs prestations libérales - ce qui nous apparaît incompatible avec le code de déontologie.

Une première réponse du CNO (17 avril) introduisait dans le débat la notion de participation des médecins aux services de garde de jour et de nuit (art. 77 du code de déontologie).

    On peut faire un certain nombre de remarques :
    - L’annexe XXIII du décret n° 56-284 du 29 mars 1956 précise les conditions techniques d’agrément des maisons de santé pour maladies mentales.

    Ce texte, vieux de quarante ans ne mérite-t-il pas d’être revu ? En tout état de cause nous constatons que son article 20 prévoit une permanence médicale, sans préciser si elle est ou non spécialisée.

    - S’il appartient à l’établissement de prendre toutes les mesures nécessaires pour remplir les conditions techniques d’agrément, tout médecin doit, pour sa part, participer aux services de garde de jour et de nuit conformément à l’article 77 du code de déontologie médicale. Il peut, de façon non systématique, se faire remplacer dans sa garde.

    - Il manque enfin, à votre courrier les éléments :

- que prévoient les contrats des médecins psychiatriques dans ce domaine ?

- dans quel cadre, coordonnent-ils les intervenants?

    Vous évoquez la question de la surveillance constante dans l’établissement, mentionnée dans la nomenclature et la norme numérique qu’elle comporte. Là encore, ces dispositions prêtent à interprétation et on doit le déplorer.
    Il ne faudrait pas qu’à terme, une situation conflictuelle entre les médecins et les établissements pèse sur la permanence des soins dus aux patients.

Cette réponse entraînait une mise au point de notre part :

    Je suis bien d’accord avec vous sur le caractère plus ou moins obsolète des textes qui régissent l’activité médicale en maisons de santé pour maladies mentales. Mais, en tout état de cause, leur révision ne peut être escomptée dans l’immédiat. Pour ce qui concerne l’Annexe XXIII, une refonte complète en avait été proposée dans les années 80, dans le cadre d’une commission de travail au Ministère de la Santé : elle est restée dans les cartons (pourquoi ?) et rien n’est programmée à cet égard. Quant à la N.G.A.P., sa remise en chantier pour la psychiatrie n’est pas prévue avant 2000/2001.... Concrètement donc, nous sommes obligés d’utiliser les références existantes : or, il y a urgence dans la mesure où les conflits se multiplient, allant jusqu’à la dénonciation des contrats existants par certains établissements - la controverse, au delà des apparences, étant essentiellement d’ordre financier : qui doit prendre en charge la rémunération des praticiens (le plus souvent non psychiatres) assurant la «permanence médicale», c’est-à-dire les gardes de nuit et, éventuellement, des jours fériées, indépendamment des astreintes assurées par les psychiatres traitants eux-mêmes ?

    Plusieurs remarques à cet égard :

    - L’article 20 de l’Annexe XXIII, dans sa formulation, indique bien que la permanence médicale n’exige pas du praticien qui l’assure d’être qualifié en psychiatrie (fait corroboré par l’usage depuis 40 ans - ce que les tutelles n’auraient pas manqué de contester si celui-ci avait été non conforme). C’est pourquoi, s’agissant d’une obligation réglementaire propre aux établissements, c’est ceux-ci qui pendant très longtemps (et encore actuellement dans de nombreux cas) en assuraient l’organisation et le financement (salariat);

    - Les médecins qualifiés en psychiatrie qui assurent les soins psychiatriques ont, dans la plus part des cas, le statut libéral et sont donc rémunérés à l’acte : il s’agit si bien «d’actes» qu’un certain nombre de contentieux actuels avec le contrôle médical des Caisses portent justement sur les preuves à apporter quant à la matérialité ponctuelle de ces actes, ce qui exclut toute notion de caractère forfaitaire de ces rémunérations, en particulier en ce qui concerne le «C» dit «de surveillance» (...)

    - La plupart des contrats (quand ils existent) ne font pas référence à une quelconque obligation d’assurer la «permanence médicale» - mais font simplement état d’une mise à disposition des praticiens d’un quota de lits (au maximum 30) et de la fixation d’un taux de redevance répondant à un certain nombre de prestations définies de l’établissement au profit des praticiens (secrétariat, téléphone, recouvrement des honoraires, etc..., sans référence particulière à la «permanence médicale»);

    - la notion de «surveillance constante» (terme repris par analogie avec la formulation utilisée pour les autres types d’établissements) ne peut évidemment signifier que le thérapeute reste l’arme au pied au chevet de son patient, mais que c’est lui qui, jour après jour, assure le suivi des soins. L’extrapolation que l’on tente d’opérer entre cette notion et celle de «permanence médicale» (potentiellement non psychiatrique) est complètement abusive;

    - Vous vous interrogez sur la question de la coordination des interventions entre praticiens : bien que de nombreux établissements aient depuis longtemps bénéficié du concours de praticiens qui harmonisaient entre eux leur emploi du temps, cela ne peut être considéré comme systématique, une telle organisation dépendant souvent beaucoup de la structure de l’institution elle-même et du type de soins qu’elle délivre. Mais il est certain que la mise en place systématique des CME d’une part et la pression des ARH d’autre part va nécessairement aboutir à généraliser une solide articulation entre intervenants - qui, s’agissant de libéraux, ne peut néanmoins reposer que sur le volontariat sous l’égide des dites CME et en dehors de tout lien de subordination à l’établissement lui-même (ce qui aboutirait autrement à terme à une transformation du statut de ces praticiens, qui ne le souhaitent pas, pas plus que leurs organisations représentatives).

    Ces éléments contribueront, je l’espère, à éclairer le Conseil sur le problème particulier qui lui est posé. Soutenir que la «permanence médicale» (non spécialisée) et sa rémunération salariée sont incluses implicitement dans l’acte libéral aboutirait à organiser un assistanat non déguisé - et déontologiquement interdit : en l’occurrence, encore une fois, il ne s’agit pas de gardes de spécialité et il ne peut s’agir de «remplacements non systématiques» (comme vous le suggérez) puisque cette permanence doit, ne serait-ce que par obligation réglementaire pour l’établissement, être systématiquement organisée. J’ajouterai que la majorité des établissements disposent de moins de 100 lits et qu’imposer à 2 ou 3 psychiatres d’assurer cette permanence représenterait une contrainte impossible à soutenir (ce qui n’est pas le cas des astreintes) et, de toute façon, absolument pas reconnue et rémunérée comme telle.

    Si je me permets d’insister pour que le CNO adopte au moins une position de principe plus claire, c’est que, je vous le rappelle, les conflits et contentieux se multiplient sur le terrain, allant jusqu’à la dénonciation des contrats, aux dépens de l’intérêt des malades, la qualité du travail thérapeutique effectué devant souvent beaucoup de praticiens en place, de par leur propre industrie et l’esprit qu’ils ont su insuffler aux équipes soignantes. Je ne vous apprendrai pas qu’en psychiatrie, le facteur «institutionnel» joue sans doute un rôle majeur dans l’opératoire des soins (...)

Le CNO prenait cependant l’initiative d’une réunion multipartite dont l’objet s’infléchissait vers la question de «la permanence des soins et les gardes», extension non innocente même si l’on y retrouve quelque analogie avec les problèmes d’autres spécialités (anesthésiologie par exemple).

La réunion elle-même s’avérait plutôt brouillonne, où l’on vit interférer les contentieux actuels (notamment la cotation du «C de surveillance» sans que la matérialité de l’acte soit prouvée), les doléances financières des établissements du fait notamment de l’évolution du coût des praticiens salariés assurant la permanence (UHP), la mise en cause du paiement à l’acte comme non adapté (CNAM) et non inhérent au statut libéral (Secrétaire Général du CNO), cependant que, par ailleurs, était réaffirmé le caractère opposable de la Nomenclature (CNAM) alors qu’un médecin-conseil de l’échelon national soulignait en contrepartie que l’acte en C ne devait pas rémunérer la garde - tout ce débat, peu cohérent, demeurant enserré dans le leitmotiv du «coût constant».

Bref, le problème juridique n’était pas vraiment abordé au fond, pour ne pas dire qu’il a été éludé alors par exemple qu’un Conseil départemental de l’Ordre, consulté, avait, quant à lui, adopté une position beaucoup plus claire :

Première question : Est-il autorisé ou non, sur le plan déontologique, qu’un médecin se fasse assister par un autre médecin qu’il salarie directement ou indirectement ? La réponse est bien évidemment non. Il suffit de se référer :

- à l’article 69 du Code de Déontologie : «L’exercice de la médecine est personnel; chaque médecin est responsable de ses décisions et de ses actes. (Le caractère personnel de l’exercice médical et la notion de responsabilité sont intimement liés; l’un ne se conçoit pas sans l’autre).»

- à l’article 87 : «Il est interdit à un médecin d’employer pour son compte, dans l’exercice de sa profession, un autre médecin ou un étudiant en médecine. (L’exercice de la médecine étant personnel, chacun travaillant sous sa propre responsabilité, il n’est pas possible d’employer un assistant, sauf pour des raisons de santé).»

Deuxième question : Un médecin généraliste peut-il exécuter tout ou partie de l’acte de spécialiste honoré comme tel, à savoir celui du médecin psychiatre, à la place de celui-ci ? Là encore la réponse du Conseil de l’Ordre est négative.

    Pas d’explications de la DGS ou de la DH sur les nombreuses révisions avortées de l’Annexe XXIII. Quant à la Nomenclature, le processus pour la révision du libellé du «C de surveillance» apparaît enclanché mais ne pourra aboutir, en tout état de cause, avant plusieurs mois.

En attendant, on a promis de se revoir...!

Gérard Bles


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