Bourgogne : une expérience d'interformation
Le groupe de pairs est constitué de praticiens qui se rencontrent de manière régulière pour échanger à propos de leur pratique dans le but à la fois de se distancier de cette pratique et d’élaborer une réflexion plus théorique. Nous avons personnellement l’expérience de ce type de groupe depuis une dizaine d’années puisque nous avons déjà eu l’occasion de participer à la mise en place de deux d’entre eux en région Bourgogne. Quel bilan peut-on en tirer après quelques années ?
Expérience régionale
A. Une première expérience non durable
Le premier a été mis en place à Dijon il y a une dizaine d’années avec une demi-douzaine de praticiens qui ressentaient le besoin d’un lieu d’échange et de réflexion sur la pratique de cabinet. Ce premier groupe de travail a fonctionné de manière satisfaisante durant environ trois ans, au rythme d’une réunion tous les mois environ.
Il était uniquement composé de jeunes praticiens qui avaient également une pratique psychanalytique et cette dernière caractéristique a peut-être été à l’origine de son épuisement. En effet, après trois ans de fonctionnement, quelques uns de ses membres ont souhaité se consacrer uniquement au travail plus institutionnalisé qu’ils effectuaient par ailleurs au sein d’écoles de psychanalyse.
Après réflexion, il nous a rétrospectivement semblé que cette première expérience a surtout joué le rôle d’une sorte de société de réassurance mutuelle pour de jeunes praticiens fraîchement installés au moment de sa mise en place.
B. Une seconde tentative toujours vivace
Un second groupe a été créé l’année suivante à partir de la demande d’une douzaine de praticiens du département de Saône et Loire. Ce groupe, qui compte maintenant près de six ans d’existence, fonctionne toujours. Il a été ouvert à tous les praticiens libéraux du département et des départements limitrophes et a pu connaître jusqu’à une vingtaine de participants lors de certaines réunions. L’effectif moyen de la participation reste cependant de l’ordre de la douzaine, nombre critique qu’il semble d’ailleurs difficile de dépasser sans nuire à la qualité du travail.
Ce groupe se réunit régulièrement toutes les six à huit semaines durant tout un samedi après-midi. Il s’est constitué en association loi 1901 afin de se doter des moyens de louer régulièrement une salle pour travailler. Il n’est financé que par les cotisations de ses membres, le principe d’un sponsoring ayant été d’emblée écarté dès sa fondation.
Il est composé de praticiens de tous âges et de divers horizons théoriques : analystes, comportementalistes, ou praticiens “généralistes” ne se réclamant pas particu-lièrement d’une tendance ou d’une autre.
Par opposition au premier groupe que nous avions mis en place, il nous semble que l’hétérogénéité des arrière-plans théoriques, la diversité des âges, en un mot la différence des pratiques représentées dans ce groupe, constituent précisément les facteurs qui non seulement permettent sa longévité mais encore garantissent la réalité du travail qui y est effectué. En outre, nous devons souligner que nous nous trouvons dans une région à la démographie médicale extrêmement faible (environ 30 psychiatres libéraux) et dans laquelle l’offre de formation médicale continue est par ailleurs peu importante. Ce dernier point a sans doute son importance pour expliquer la continuité du travail.
C’est donc essentiellement à partir de l’expérience de ce second groupe que je développerai les quelques principes qui me semblent pouvoir être généralisés de cette expérience.
Nature du travail
Le travail au sein du groupe ne fait pas l’objet d’un protocole précis mais, sommairement, le mode opératoire peut se décrire selon trois modalités essentielles :
A. Les réunions
1. Cas cliniques
Le cas le plus fréquent (dans la mesure où cette manière de faire est celle qui requiert le moins de préparatifs) est celui dans lequel l’un des membres du groupe expose un cas clinique qui va servir de base à la discussion générale.
Il est habituel que l’exposé d’un premier cas clinique entraîne l’exposition d’autres cas de la part d’autres membres du groupe. Cette profusion ne nuit pas selon nous à la qualité du travail dans la mesure où il s’agit bien de nous enrichir mutuellement de la confrontation de nos pratiques et non pas de rédiger une monographie à propos d’un cas précis.
2. Réunions à thème
Plus rarement, un thème particulier a été proposé par l’un d’entre nous et retenu à l’avance pour la réunion. Dans ce cas un ou plusieurs membres du groupe sont chargés de proposer un court exposé théorique sur la question et ceci sur une stricte base de volontariat, en fonction des intérêts personnels de chacun. Ces exposés débouchent naturellement ensuite sur une confrontation des points de vue étayée par la pratique personnelle de chacun.
3. Réunions d’interface
Enfin, de manière exceptionnelle étant donné la plus grande difficulté de mettre en place ce genre de réunion, le travail peut être consacré à une réflexion en commun avec des interlocuteurs non psychiatres afin de réfléchir à l’articulation de nos pratiques avec d’autres intervenants sur certains problèmes précis.
Ainsi, à titre d’exemple, avons nous consacré dans l’année écoulée une réunion à travailler avec le réseau d’intervenant en toxicomanies du département et une autre réunion à réfléchir avec plusieurs magistrats sur la mise en œuvre dans le département des obligations de soin des délinquants sexuels.
Ce dernier type de réunions est par ailleurs ouvert aux confrères du secteur public qui souhaitent y assister et qui y participent d’ailleurs assez largement.
Cette dernière modalité de travail peut sembler à priori éloignée de la clinique mais nous pensons toutefois qu’elle a toute sa place au sein de ce groupe dans la mesure où chacun est bien invité à parler depuis sa position de praticien.
B. Le travail écrit
Dès la formation du groupe, la question d’un travail d’écriture a été discutée. Il semblait a priori évident à tous que la validité du travail réalisé ne pourrait pas se soutenir sans cette élaboration écrite après coup.
Les discussions préliminaires qui ont amené à la constitution de ce groupe en ont cependant décidé autrement. En effet, face à l’exigence quelque peu idéale de laisser trace de l’élaboration commune dans un texte, l’évidence s’est assez rapidement imposée que la spontanéité des échanges et, par dessus tout, le risque de dévoilement que chacun prenait face aux autres ne se soutiendraient que dans la mesure où ces mêmes échanges pouvaient se dérouler non seulement dans une ambiance confraternelle mais encore avec un minimum de garantie de confidentialité.
Il a donc été d’emblée décidé que les réunions consacrées aux seuls cas cliniques ne donneraient pas lieu à un quelconque travail écrit même si chacun reste évidemment libre de prendre des notes personnelles. Ce second niveau d’élaboration, quoique non négligeable, a donc délibérément été sacrifié afin de privilégier la possibilité pour chacun de s’exposer face aux autres.
En revanche les réunions consacrées à un thème précis, et a fortiori, les réunions d’interface, peuvent faire l’objet de comptes rendus plus formels qui en résument la teneur.
Évaluation
Il pourra sembler présomptueux de parler d’évaluation au regard d’un travail qui, ainsi que nous venons de le préciser, ne se soucie pas de laisser la moindre trace tangible. Des informations plus indirectes peuvent cependant nous renseigner sur le profit que les praticiens peuvent y trouver.
Nous observons tout d’abord que dans notre expérience, et ceci est valable pour les deux groupes que nous avons constitués, il existe une assiduité tout à fait remarquable de la majorité des participants, aucune réunion n’ayant rassemblé moins des deux tiers des membres du groupe. Cette assiduité est d’autant plus louable que le travail a lieu le week-end et que la majorité des participants doivent parcourir des distances variant de 30 à 80 kilomètres pour s’y rendre. Le premier constat qui s’impose donc est que les praticiens qui participent à ce type de travail ont incontestablement le sentiment d’un bénéfice suffisant pour soutenir cette participation.
Il reste à cerner la nature de ce bénéfice.
Ainsi que nous l’avons déjà dit, il ne faut pas sous-estimer un premier effet de réassurance chez des praticiens isolés dans leurs cabinet. Il est clair en effet que certains prennent la parole plus facilement que d’autres et, à l’extrême, quelques uns ne dévoilent pratiquement rien de leur propre pratique. Cette réserve a d’ailleurs été l’occasion de contestations de la part de certains parmi les plus actifs. Pour notre part, nous ne pensons pas que ce manque d’implication personnelle autorise à douter de la réalité d’un travail quand chacun est par ailleurs libre de rester chez soi.
Au delà, nous sommes par ailleurs convaincus que le principal bénéfice de ce type de groupe est d’entretenir chez chacun de ses membres un travail d’interrogation sur la pratique dont le premier effet est de l’écarter tout autant de la paresse intellectuelle que des divers dogmatismes qui, dans notre discipline, menacent de nous éloigner de la prise en compte de la singularité de chacun de nos patients. Cette interrogation est d’ailleurs incontestablement d’autant plus soutenue que les membres du groupe appartiennent à des horizons théoriques différents.
Ce travail de groupe permet donc de mettre en œuvre un véritable travail d’interformation, chacun apportant aux autres une ouverture sur ses propres intérêt théoriques sans pour autant viser une homogénéisation des pratiques qui serait non seulement mythique mais en outre certainement peu souhaitable dans notre discipline, sinon au risque de dériver à terme vers des soins complètement protocolisés.
Conclusion
Ce témoignage d’une expérience d’interformation ne prétend pas être la seule modalité possible de mise en œuvre de ce type de travail. En outre, il reste clair que ce type de formation continue ne prétend certainement pas s’imposer à la place de tout autre et qu’il n’exclut nullement les processus de transmission de connaissances plus formels, qui gardent parallèlement toute leur valeur.
Il demeure cependant que la recherche de la qualité des soins en psychiatrie se soutient davantage de l’intensité du questionnement de chacun sur sa pratique plutôt que des seules réponses toutes faites qui pourraient être trouvées par ailleurs. C’est précisément à entretenir ce processus d’interrogation – sans risque que les questions soient colmatées par un savoir trop vite ingurgité – que vise le travail dont nous avons esquissé ici les grandes lignes.
Jean-Jacques LABOUTIERE