Le plan Johanet : principales dispositions

Gérard Bles
Retour au sommaire - BIPP n° 22 - Juin 1999

Gilles Johanet, ce brillant et combatif énarque redevenu en 1998 directeur général de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) après avoir assuré les mêmes fonctions entre 1989 et 1993, présentait au début 1999 un plan de sauvetage de l’Assurance maladie adopté entre temps par le Conseil d’administration de la CNAMTS dont il est devenu le " plan stratégique ". Accueilli au départ plutôt fraîchement par Martine Aubry, qui affirmait sa volonté de garder sous sa responsabilité directe la gestion des hôpitaux et du médicament, il a été soutenu avec obstination par la CFDT, la CGC et surtout le MEDEF (patronat) qui en a posé l’adoption comme condition de son maintien aux responsabilités de la gestion de la Caisse nationale – alors que par ailleurs la Ministre a besoin de se concilier cet organisme pour la mise en place de la loi sur les 35 heures. L’annonce, ces dernières semaines, d’un nouveau "dérapage " des dépenses de santé et d’un déficit prévisionnel de 12 milliards pour la branche maladie semble avoir définitivement vaincu les réticences gouvernementales, Martine Aubry acceptant de s’en remettre à la Caisse nationale pour assurer une "régulation " dont le Conseil d’Etat, en condamnant les reversements, lui a retiré les moyens.

Sur les diverses dispositions de ce plan, la profession médicale s’affiche partagée, chaque centrale syndicale soutenant ou récusant telle ou telle d’entre elles en ordre dispersé – ce qui n’est pas un gage d’efficacité ! Une réflexion approfondie s’impose à tous sur les implications d’un tel plan pour l’avenir et la substance même du système de soins. Pour ouvrir le débat, nous rappellerons ci-après les principales mesures envisagées qui, selon son auteur " tracent[…] un ensemble cohérent qui établit que le financement des soins pour tous, en s’inscrivant dans la démarche qualité, ne nécessite aucune contribution supplémentaire de la part des assurés et des entreprises ni aucune modification du niveau moyen de prise en charge des assurés : c’est par le redéploiement et l’optimisation des ressources existantes que le progrès médical peut et doit être financé et l’équilibre atteint ".

Les fondements du plan stratégique

L’assurance maladie doit devenir un " acheteur avisé, à même de sélectionner ce qu’il finance en fonction de la qualité, des besoins, de l’utilité et des coûts ".

La démarche qualité
Elle est sélective, fonction des besoins appelant une réponse sanitaire " Au final, c’est l’Etat et lui seul […] qui est maître de la définition des besoins de santé, des besoins de soins et des besoins en soignants ". Cette sélection doit échapper à l’irrationalité et l’opacité actuelles. Il faut définir périodiquement un " panier des biens et services pris en charge ", sélectionner également les producteurs en remettant en cause le conventionnement automatique, en particulier du fait du caractère excédenta ire de l’offre de soins.

Elle doit être partenariale. Elle doit impliquer le producteur mais aussi le consommateur qui devrait renoncer à " déambuler librement " dans l’univers des soins. Elle suppose par ailleurs une redéfinition des rôles entre Etat, Assurance maladie et communauté scientifique – l’Assurance maladie devant disposer d’une pleine autonomie à travers une " convention d’objectifs et de gestion " révisable périodiquement.

Elle doit être transparente " sur la nature, la qualité et le coût des prestations ", au prix d’un codage complet des actes médicaux, remboursés ou non, assurant leur "traçabilité complète " pour un " pilotage fin " de l’offre de soins. Elle implique certification des professionnels de santé, accréditation des établissements – mais doit également concerner les patients pour lesquels " la qualité totale des soins est antinomique avec la préservation absolue de l’intimité".

Cela revient notamment à changer la nature des contraintes en les déportant des modalités de prise en charge des soins (contraintes administratives et financières) vers les modalités d’accès aux soins et leur dispensation (contraintes " médicalisées "), sur la base de critères de choix " objectifs et rationnels ".

L’implication des professionnels de santé dans la démarche qualité

1 – refonder le conventionnement sur la (re)certification, selon des critères définis par la communauté hospitalo-universitaire, appliquée par des experts hospitalo-universitaires, des médecins-conseils et des libéraux désignés par l’ANAES, tous les 7 ans (sauf contrôle ou enquête réclamée par l’Assurance maladie), en commençant par les praticiens les plus anciens.

2 – conventionner l’offre de soins en fonction des besoins : sans instaurer d’emblée un "conventionnement sélectif " qui serait mal accepté, on reviendrait, pour réduire les zones de surdensité médicale, sur la liberté d’installation dans ces zones, en limitant le conventionnement au remplacement des départs (la surdensité étant supposée induire des stratégies individuelles opposées à une démarche qualité et déconnectée des besoins réels). Par ailleurs, une réduction des effectifs sera favorisée par des primes de reconversion, modulées par région et par discipline, en fonction du revenu et du potentiel d’activité résiduel.

3 – moduler le champ du conventionnement en fonction de l’habilitation professionnelle, remise en cause radicale de l’omnivalence du diplôme et même de la qualification spécialisée, aboutissant à encadrer un certain nombre d’activités " pour des motifs de qualité et de santé publique, avec des conséquences positives sur la maîtrise de l’évolution des dépenses de santé ". Cette habilitation repose sur divers critères d’équipement, de formation, d’expérience (avec par exemple désignation de " centres d’excellence " ou instauration de la nécessité dans certains cas d’un " deuxième avis "), mais aussi sur une exclusion de professionnels " dont la pratique déviante/dangereuse est constatée par un comité de pairs " (cas de figure différent de celui prévu par l’actuel article L 460 du CSP, concernant avant tout les problèmes psychiatriques). Dans cette habilitation, les médecins-conseils seraient amenés à jouer un rôle remettant en question l’article 103 du Code de déontologie.

4 – généraliser le compte-rendu écrit des actes médicaux techniques et intellectuels, à compter du 1/1/2000, consultable par le contrôle médical. Il serait seulement périodique lorsque le spécialiste assure lui-même la prise en charge d’un traitement.

5 – contractualiser le conventionnement des médecins en secteur 2, considéré comme source d’inégalité et de déséquilibre entre les parties contractantes : c’est-à-dire non seulement en refuser l’accès dans les " zones d’ombre " (secteur 2 majoritaire), mais introduire des limitations de dépassement par acte et en masse, l’obligation de prescrire des " équivalents thérapeutiques " et de télétransmettre, contrat imposé d’abord aux plus anciens…Serait instauré en contrepartie un nouveau secteur ouvrant droit à dépassement plafonné et pris en charge pour les chefs de clinique assistants et les praticiens surqualifiés. Cotisations et prestations seront alignées sur le régime général.

6 – moduler la prise en charge des cotisations sociales, qui coûterait 8 milliards alors qu’il n’est plus nécessaire de rendre le conventionnement attractif. Cette " subvention " serait progressivement plafonnée et modulée par région et spécialité comme en fonction par exemple de la prescription d’équivalents thérapeutiques et de la télétransmission. Par ailleurs elle serait assise sur les seuls honoraires remboursés.

La régulation de l’offre repose en outre sur le maintien ou le renforcement du numérus clausus global et par spécialité, en fonction d’un " schéma cible d’accès aux soins "

L’implication des assurés dans la démarche qualité

7 – un carnet de santé/volet de santé (carte Vitale) opposables, sous peine de minoration de prise en charge, l’obligation portant sur l’inscription de l’acte effectué et des prescriptions (le droit d’opposition portant sur les données médicales proprement dites), ce dispositif visant à apprécier leur pertinence et à favoriser la " continuité optimale des soins ", en fait le travail en filière ou en réseau.

8 – un choix rationnel entre modes d’accès aux soins, visant en fait à favoriser la démarche en filière (médecin référent) par une majoration du taux de prise en charge dans le cadre de cette option, dont le bénéfice serait toutefois perdu " en cas de refus répété par le patient de la transparence des données sanitaires ".

9 – un bilan des soins effectué par le contrôle médical pour les patients " grands consommants " hors ALD et hors filière pour leur permettre de " s’approprier progressivement une démarche optimale de soins "…

10 – rendre certaines normes d’investigation et de dépistage progressivement opposables aux patients.

Créer un environnement régulateur et restructurant

A – les mesures de régulation du secteur de soins ambulatoires

11 – la régulation des dépenses médicales par un dispositif conforme à la Constitution, efficace et acceptable pour les professionnels, la démarche de qualité, par sa progressivité, n’assurant pas les besoins immédiats de maîtrise du système de soins. Ni le contrôle individuel, très lourd à gérer et complexe pour l’Assurance maladie, ni le système de lettres-clé flottantes par discipline, propre à " corriger un déséquilibre ponctuel " (comme ce sera le cas pour 1998) mais pas une régulation globale de par ses difficultés d’application (arbitrages entre disciplines, normation des revenus, etc.), ne peuvent se substituer à un dispositif de régulation collective conforme aux exigences constitutionnelles. Ainsi, à partir des deux enveloppes traditionnelles (généralistes et spécialistes, honoraires + prescriptions), modulerait-on les reversements de façon individualisée par rapport à un revenu moyen par spécialité calculé sur l’année N - 1 et applicables même aux praticiens situés en deçà de la moyenne ; l’assiette individuelle intégrerait les dépassements. Le taux de reversement serait ainsi de T sous la moyenne, T2 au dessus de la moyenne, T3 pour les dépassements du secteur 2. Ces taux seraient atténués en fonction d’un engagement individuel de maîtrise défini par discipline (seuil maximal d’activité, limitation des dépassements, coordination des soins, prescription en équivalents thérapeutiques).

…..

15 – prise en charge des médicaments avec dissociation du prix fabricant et du tarif de responsabilité, en allant progressivement des génériques et des équivalents thérapeutiques aux classes pharmacothérapeutiques proprement dites.

B – les mesures transversales ville/hôpital

Elles concernent la chirurgie ambulatoire, la dialyse, les chimiothérapies, les tranports sanitaires.

C – Les mesures propres au secteur hospitalier

Elles comprennent l’audit des structures par les Caisses, l’harmonisation des modes de financement à travers l’exploitation généralisée des PMSI comme instrument de tarification, enfin une gestion centralisée mais déconcentrée du patrimoine hospitalier.

D – Les mesures d’économie

Elles concernent des postes aussi divers que les cures thermales, les vaccins anti-grippaux (régularisation des marges), la gestion des excédents de trésorerie des hôpitaux, la prise en charge des médicaments à faible ASMR (amélioration du service médical rendu) par diminution ou suppression de leur remboursement (par exemple homéopathie, vasodilatateurs, nootropes, antiacides et topiques gastro-intestinaux, myorelaxants, mais aussi antihistaminiques, cholagogues, antidiarrhéiques, antispasmodiques, laxatifs, veinotoniques, etc.). – ou les cliniques privées…

C’est dans ce cadre ( !) que l’on voit apparaître les mesures d’économie portant sur les spécialités dites "inflationnistes", cardiologues, ophtalmologues, anatomo-pathologistes et…neurologues, neuropsychiatres et psychiatres. Pour ceux-ci, pas d’effet de déport d’activité à redouter puisque 95% de leurs actes sont des consultations : puisque la masse d’honoraires a augmenté de 3,2% en 1998 (3% par praticien), on diminuera le Cnpsy de 4,4% (de 225 à 215 F), soit 124 millions d’économies escomptés. On remarquera à ce propos que non seulement ce sont les plus faibles parmi les " dépasseurs " mais qu’aucune référence n’est faite à leur niveau de revenus (absolu ou relatif)…

Suivent de volumineuses annexes exposant d’abord les étapes du plan et le chiffrage des économies escomptées (62 milliards en année pleine), avec le retour à une évolution tendancielle des soins de ville à 1,1 %/an en volume. A la suite, 23 fiches détaillent les mesures précédentes, en incluant un protocole d’accord, d’harmonisation et de non concurrence entre Assurance maladie obligatoire et assureurs complémentaires. Très techniques, très détaillées, elles réservent quelques surprises de taille ! Par commodité, nous avons inclus certaines des précisions qu’elles fournissent dans l’énumération globale des diverses mesures que nous venons d’effectuer.

Cette analyse devrait servir de base à la réflexion collective. On en trouvera un premier essai dans le texte de Jean-Jacques Laboutière qu’on lira ci-après.

Gérard BLES


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