Démographie : la discipline psychiatrique unanime
Le 22 mars dernier, le S.N.P.P. s’adressait à l’ensemble des syndicats de psychiatres dans les termes suivants :
" Il n’est certainement pas besoin de détailler à votre intention les difficultés que traverse ces dernières années notre spécialité, soumise de plein fouet à une politique de santé dont les déterminants économiques sont devenus plus que jamais prévalants alors qu’elle se heurte par ailleurs à une incompréhension relative qui ne date pas d’hier et qu’elle doit sans doute à la nature même de son objet.
L’un des signes les plus flagrants en sont les mesures de réduction démographique adoptées en catimini et sur lesquelles encore le 10 octobre dernier (Journée nationale de la santé mentale) notre ministre de tutelle a refusé de répondre – alors que ses conseillers n’hésitent pas à affirmer qu’elles sont irrévocables.
Chaque catégorie de psychiatres se heurte par ailleurs à des difficultés propres qu’elles ne cessent de dénoncer – dont il faut bien voir que leurs conséquences rejaillissent sur la discipline toute entière. Les hospitaliers, leurs moyens et leur statut, les associatifs, leurs réductions d’horaire et de responsabilités comme leurs difficultés de recrutement, les libéraux enfin, soumis à des mesures multiples portant atteinte à leur indépendance et au respect de la confidentialité des soins et qui, de surcroît, se voient annoncer une diminution de la valeur de leur acte de consultation dans le cadre du plan Johanet – tous ces faits paraissent dessiner un avenir plus que sombre pour leur discipline, et surtout pour les patients qu’ils prennent en charge.
Aussi nous paraît-il aujourd’hui indispensable et urgent que nous réagissions collectivement et solidairement pour dénoncer une aussi grave évolution ".
Notre syndicat proposait à leur approbation le texte d’"un cri d’alarme", dont la version définitive était adoptée par les huit syndicats signataires et faisait l’objet d’une adaptation en version abrégée et d’un communiqué de presse commun le 2 avril.
UN CRI D’ALARME
La psychiatrie, n’est pas le seul instrument au service de la santé mentale, tant s’en faut – pas plus que les psychiatres ne sont les seuls opérateurs à intervenir dans l’exercice de cette discipline. Néanmoins :
- la psychiatrie, branche de la médecine qui puise ses ressources dans de multiples domaines de connaissances, biologiques, psychologiques ou sociales, au carrefour des quelles elle se situe et dont elle tire ses moyens d’intervention, tient sa spécificité de son objet (la prise en charge de la souffrance psychique et des décompensations dont elle s’accompagne) comme de ses méthodes, fondées sur la multidisciplinarité mais aussi la place déterminante qu’y occupe la relation. Discipline soignante, elle intervient de surcroît sur le mode préventif en offrant à la fois des possibilités d’intervention précoce dans les situations de crise, qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes, avant que ne se constituent des situations pathologiques plus ou moins invalidantes et une capacité de suite évitant aggravations ou rechutes ;
- les psychiatres, de par leurs études approfondies, longues (12 années en moyenne), multidisciplinaires, et la place qu’y occupe la formation à une relation thérapeutique maîtrisée, mettent au service de la psychiatrie la double potentialité complémentaire et spécifique de leurs compétences médicales et psychothérapiques, enrichies par une expérience clinique spécifique soumise elle-même à un questionnement théorique permanent.
C’est pourquoi, alors que les pouvoirs publics reconnaissent eux-mêmes l’importance que prennent dans le champ de la santé les difficultés de la sphère psychique quelles qu’en soient les manifestations (des maladies mentales proprement dites à la pathologie dite psychosomatique), alors que ces mêmes pouvoirs publics dénoncent les carences ou inadéquations dans la prise en charge de ces difficultés, il apparaît incompréhensible que dans le même temps ils aient programmé une réduction démographique drastique de la spécialité (30% en 15 ans) : des centaines de postes sont dès à présents vacants dans le service public de psychiatrie comme dans les institutions spécialisées du secteur associatif, cependant que, dans la plupart des régions, les délais d’attente atteignent plusieurs semaines dans les cabinets de ville en raison d’une augmentation toujours croissante des besoins et de la demande de soins. Ces mêmes pouvoirs publics ne méconnaissent apparemment pas la réalité des besoins comme l’insuffisance numérique et qualitative des opérateurs potentiels puisqu’ils sollicitent les psychiatres, publics ou privés, de participer activement, notamment dans le cadre de, à la formation et la coordination d’autres intervenants, généralistes, infirmiers, psychologues. Or un tel engagement suppose que les psychiatres, quel que soit leur statut, distraient une part importante de leur activité d’un temps proprement soignant pourtant plus que jamais nécessaire puisque cette soustraction ne ferait qu’aggraver les manques existants. La solution qui consisterait à réduire les psychiatres à la fonction d’experts et de formateurs implique un contresens majeur en ce que, il faut le souligner, leur capacité expertale, dans tous les domaines, ne peut se soutenir que dans la poursuite d’une expérience soignante importante, seule capable d’entretenir et d’améliorer constamment leurs compétences.
Non moins incompréhensible est l’attitude qui consiste à limiter ou réduire les moyens de soins, en personnels ou en équipements, dans le domaine institutionnel (secteur psychiatrique, structures associatives), comme à refuser les aménagements statutaires légitimement revendiqués par les psychiatres intervenant à ce niveau. Toutes aussi absurdes seraient des mesures telles que celle que vient de proposer le rapport Johanet consistant à réduire le montant de l’honoraire de consultation en pratique privée, mesure qui serait perçue comme une dénégation insupportable de la compétence propre au psychiatre et entraînerait le risque presque inéluctable d’une altération qualitative des prestations en réduisant le temps d’écoute et donc de la dimension psychothérapique spécifique de l’acte psychiatrique au profit d’un accroissement dès lors inévitable des prescriptions médicamenteuses – mesure de surcroît contre-productive dans la recherche d’une optimisation des dépenses de santé.
Les structures de concertation existent, mais ne sont plus que médiocrement utilisées depuis quelques années – ce que les organisations représentatives des psychiatres déplorent. L’information proposée au grand public, la demande qui lui est adressée de contribuer à l’évolution des structures sanitaires, sont certainement intéressantes – mais ne résolvent pas pour autant le problème des moyens, sauf à nourrir l’illusion résumée dans une formule qui fut célèbre : " la psychiatrie doit être faite/défaite par tous ". Notre société est légitimement exigeante en termes de compétences comme de performances : il serait aberrant de renoncer à améliorer ou, pire encore, d’accepter de détruire ce qui existe dans l’espoir, fallacieux, de mettre en place des solutions à la fois plus " simples " et…moins onéreuses. Les problèmes que pose la souffrance psychique vont croissants tant dans leur importance que dans leur complexité. Plus qu’une erreur, ce serait une faute grave, humainement et socialement extrêmement coûteuse, que de les méconnaître ou de les sous-estimer.
COMMUNIQUÉ DE PRESSE DU 2 AVRIL 1999
La psychiatrie est une branche de la médecine qui puise ses ressources dans de multiples domaines de connaissances, biologiques, psychologiques ou sociales, dont elle tire ses moyens d’intervention. Elle tient sa spécificité de son objet (la prise en charge de la souffrance psychique et des décompensations dont elle s’accompagne) comme de ses méthodes, fondées sur la multidisciplinarité mais aussi la place déterminante qu’y occupe la relation. Discipline soignante, elle offre de surcroît un fort potentiel préventif qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes.
Les psychiatres, bien qu’ils ne soient pas les seuls opérateurs dans ce champ, offrent, de par leurs études longues et approfondies, leur expérience clinique spécifique et la place privilégiée qu’y occupe la formation à une relation thérapeutique maîtrisée, le service irremplaçable de leur double potentiel médical et psychothérapique.
C’est pourquoi alors que les pouvoirs publics reconnaissent l’importance sanitaire des troubles psychiques, voire les carences existantes dans leur prise en charge (postes vacants, délais d’attente, défauts d’alternatives, etc.), il apparaît incompréhensible qu’ils puissent programmer une réduction démographique de la spécialité (30 % en 15 ans), laquelle est au demeurant sollicitée pour former des intervenants de moindre qualification. Formateurs et experts, les psychiatres verraient ainsi se réduire de plus en plus leurs fonction soignante qui est à la source même de leur compétence.
Tout aussi incompréhensible est la réduction des moyens institutionnels, le refus des évolutions statutaires, comme, proposition toute récente, le serait la diminution de l’honoraire de consultation, avec les risques d’altération qualitative de celle-ci aux dépens de sa dimension psychothérapique spécifique (au profit d’un accroissement des prescriptions, lui-même contre-productif sur le plan économique).
Notre société est légitimement exigeante en matière de compétences comme de performances : compromettre l’acquis et ses progrès potentiels dans l’illusion d’une simplification des méthodes comme d’une réduction des dépenses dans le domaine éminemment complexe de la psychiatrie serait une faute grave, humainement et socialement extrêmement coûteuse.
Syndicat National des Psychiatres Privés
Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public
Syndicat des Psychiatres Français
Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
Syndicat des Psychiatres de Secteur
Syndicat Universitaire de Psychiatrie
Union Syndicale de la Psychiatrie