Correspondances

Retour au sommaire - BIPP n° 22 - Juin 1999

Vous êtes nombreux à nous communiquer vos réflexions ou les lettres que vous adressez aux Ministres, députés ou autres responsables politiques – lettres tour à tour incisives, ironiques, indignées, mais tout autant propres à refléter une certaine vérité sur votre engagement professionnel. En voici quelques extraits :

Dr Christophe BADOR (Thonon-les-Bains) :

[…] Je lis dans le rapport de Mr Johanet qu’il envisage de baisser le CNPsy à 215 F au lieu de 225 F. Ce monsieur ou ses conseillers savent-ils ce que représente ce CNPsy ? Sur la base de 45 minutes, plus 5 minutes de mise en ordre des notes, cela fait une recette brute moyenne de 270 F de l’heure effectuée face au patient. Supposez 40 heures (minimum minimorum) hebdomadaires, plus les heures administratives (comptabilité, lettres, coups de fil aux confrères, rédaction de certificats = environ 5 à 6 heures), plus les heures d’autoformation (lectures, supervision, travail théorique en petit groupe = habituellement 3 à 5 heures hebdo), vous arriverez à […] 216 F de recette brute de l’heure travaillée, soit avec 50% de frais professionnels une recette nette de 108 F horaire : même mon plombier refuse de travailler à ce tarif ! Et ne venez pas contester ces chiffres, dont nous avons maintes fois parlé entre psychiatres : dans la France entière ce sont les mêmes du moment que vous faites des psychothérapies efficaces, donc difficiles, qui demandent l’engagement énoncé ci-dessus.

Un psychiatre ne peut pas, sauf en réduisant le temps consacré à chaque patient, augmenter le nombre de ses consultations annuelles de façon significative : la seule modulation du revenu se fait par le nombre d’heures travaillées avec les patients, ou par le tarif pratiqué (secteur 2). Mais la variation par le tarif est modeste : les personnes très touchées sur le plan psychiatrique ont souvent une insertion sociale précaire ou difficile et n’ont pas des revenus qui autorisent des dépassements d’honoraires. Dans cette optique, le secteur 2 est une bouée de sauvetage qui permet de faire participer les personnes à hauts revenus à l’aide donnée aux personnes au RMI ou sans protection sociale. Car il nous arrive de soigner gratuitement, eh oui, mais vous l’ignorez ou faites semblant…J’ai fait par exemple une thérapie gratuite pendant 2 ans _ sans que cela apparaisse sur le fameux RIAP, jusqu’à ce que le patient se restaure et retrouve une insertion sociale permettant de toucher les fameux 225 F, par le tiers payant. Oui, la grande majorité des médecins se sent concernée par les problèmes sociaux, mais ne nous dégoûtez pas de notre métier !

Que diriez-vous de voir vos revenus baisser constamment depuis 1991 ? Cette année-là, mon bénéfice net annuel a été de 361.614 F, mais j’avais fait 65 heures hebdomadaires face aux malades et depuis, je n’ai pu que diminuer ce temps aux alentours de 50 heures hebdo […] Alors vos attaques sur notre situation de nantis ! […]

L’accès direct au psychiatre me paraît une innovation facile à maintenir : il s’est développé petit à petit dans ma région, laquelle est traditionaliste et par la même difficilement touchée par les processus innovants. Depuis environ 10/12 ans il est la règle et permet un accès plus rapide aux psychothérapies ou chimiothérapies de pointe. Revenir sur ces acquis me semble dangereux : pas pour les psychiatres qui refusent toujours des demandes de prise en charge faute de temps disponible, mais pour les patients démunis, en difficulté psychologique aiguë. […]

Notre responsabilité est individuelle et si sauvegarde [économique] il doit y avoir, elle ne peut être qu’individuelle, en particulier s’il y a pénalité financière. Le principe des lettres clé flottantes est une moquerie : comment construire un budget prévisionnel si les bases de celui-ci sont remises en cause du jour au lendemain ? Quelle valeur aura notre travail s’il est coté de manière fluctuante ? Je trouve là un coté " boursicoteur " malsain, émanant de personnes politiques de gauche. Notre travail ne peut être considéré sous cet aspect et si vous souhaitez faire une " politique de revenus ", ayez le courage de proposer une mensualisation, ce qui sera clair pour tout le monde…[…]

Il est nécessaire de réformer notre système de protection sociale pour le sauvegarder mais, de grâce, veuillez rechercher un véritable consensus avec nos représentants majoritaires et non pas avec les seules organisations minoritaires de la profession […]

Dr Jacques HEMERET (Niort)

L’attitude du Pouvoir face au corps médical et face au public peut se théoriser et s’illustrer en terme de Stratégie perverse Narcissique. Son but est clair : faire taire les médecins en les culpabilisant et en les confusionnant jusqu'à ce qu’ils se découragent, et en promouvoir une image mythique discréditée auprès d’assurés sociaux rendus d’autant plus aptes à adhérer qu’ils sont privés d’information et bercés de propos lénifiants. Les effets sont redoutables car ils sont subtils et agissent sur notre propre raisonnement à notre insu, ils visent à « mettre la main dans notre tête ». Ils sont à comprendre en termes de Régression Psychique Inconsciente, et nous conduisent au piège des « injonctions paradoxales » où l’on s’enfonce encore plus chaque fois que l’on veut s’en sortir. Il en résulte que la fermeture des cabinets en fin d’année uniquement pour tenter d’échapper aux reversements est dangereuse, car logiquement vouée à l’échec : inexorablement, elle aboutit à ce qu’Aubry attend de nous. Il faut faire grève, oui - et plutôt deux fois qu’une ! - mais pas pour ces raisons-là et sans doute pas à ce moment-là : c’est vers l’information et vers la participation des assurés sociaux qu’il faut centrer notre effort afin de leur restituer leur place et leur part de responsabilité.

Dr Jean-François KATZ (Saint-Brieuc)

Le plan Juppé a ouvert une brèche dans les valeurs démocratiques. Sa vision uniquement comptable des dépenses de santé, sans prise en compte des besoins réels de la population, ne garantissait plus l’accès à des soins de qualité […] Le plan Johanet va encore plus loin dans cette brèche et constitue un véritable glissement fascisant […]

Notre fonction de médecins est, chaque jour, d’être au contact des souffrances humaines physiques et morales. Les conditions dans lesquelles nous exerçons s’aggravent profondément et nous sommes inquiets pour demain. […]

La demande en psychiatrie libérale est croissante du fait de la vacance d’un nombre important de postes de psychiatres hospitaliers, du désengagement progressif des pouvoirs publics d’une réelle politique de santé mentale, de la détresse provoquée par le taux de chômage et les difficultés de vie liées à des politiques qui méconnaissent les réalités humaines, de l’anonymat urbain, de la rupture des continuités familiales, de l’allongement de la durée de vie […]

Un groupe de psychiatres libéraux des Pyrénées atlantiques

[…] Ainsi donc des Etats généraux de la Santé ont eu lieu à Bayonne, traitant essentiellement qui plus est des diverses addictions que nous nous échinons quotidiennement à soigner de notre mieux, nous, petits psychiatres libéraux et manifestement parents pauvres du système de Santé publique puisque exclus de cette rencontre. Certes, nous accomplissons silencieusement notre longue et lourde tâche sans avoir jamais cherché à intégrer la Nomenklatura locale. Que nous n’appartenions pas au Gotha médical du pays basque, nous le subodorions. Que dans l’esprit d’aucuns nous ne possédions pas de compétences suffisantes dans le domaine addictif, nous nous en doutions. Mais que nous n’étions même pas à la hauteur pour écouter, comprendre, voire discuter le discours des élites de notre région, nous l’ignorions.[…]

" Etats généraux " ! Avec présidents d’associations et travailleurs sociaux, bien entendu. Mais sans la participation de la majorité de ceux qui, tous les jours, sont confrontés en première ligne, et ailleurs que dans les salons, aux problèmes posés! Pour nous qui avons coutume d’analyser le langage, quelle supercherie ! Etats très particuliers plutôt : leurre destiné, à grand renfort d’un emphatique article, à rassurer le bon peuple sur qui veillent de " grands " professionnels ? La question, vu les circonstances, mérite d’être posée. […] Ce fut en réalité une journée de dupes.

Dr Daniel NOLLET (Paris)

[…] La maltraitance psychopharmacologique est hélas trop répandue dans notre pays. Elle est quantitative (abus de prescription de psychotropes) et qualitative (indications thérapeutiques imprécises, manque de projet thérapeutique global et cohérent). La prescription symptomatique vise un bénéfice à court terme qui débouche trop souvent sur une chronicisation et une dépendance aux psychotropes.

Ma proposition est de rendre la prescription des psychotropes autorisable en DCI aux psychiatres qui donneront le bon exemple, puis généralisable et opposable aux non psychiatres. [Elle] devrait permettre :

- une restauration des prescriptions hippocratiques, centrées sur le principe actif du médicament et non sur l’image commerciale martelée par les firmes […]

- un développement de la concurrence et la promotion des génériques.

Cette mesure serait susceptible d’apporter plusieurs milliards d’économies sans pénaliser les patients, bien au contraire […] Si les psychiatres, qui sont bien souvent à l’avant-garde des innovations dans ce pays, apportaient la preuve du bien fondé de cette mesure, elle pourrait être progressivement généralisée à l’ensemble de la pharmacopée.


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