Conférence de presse commune du 6 mai 1999
Le 6 mai, nos huit syndicats tenaient une conférence de presse commune dans le cadre de l’amphithéâtre Magnan à Sainte-Anne, présentant aux journalistes une série de dossiers très étoffés sur les caractéristiques et les difficultés des différentes modalités de pratique.
Participaient à la conférence de presse :
- pour le Syndicat des Médecins Psychiatres des Organismes publics, Semi-publics et Privés
Dr Roger Salbreux (Président)
- pour le Syndicat National des Psychiatres Privés
Dr Gérard Bles (Président), Dr Jean-Jacques Laboutière (Secrétaire général)
- pour le Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public
Dr Dominique Brengard (Conseiller national)
- pour le Syndicat des Psychiatres Français
Dr François Kammerer (Secrétaire général adjoint)
- pour le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
Dr Pierre Faraggi (Président)
- pour le Syndicat des Psychiatres de Secteur
Dr Sylvie Peron (Vice-présidente)
- pour le Syndicat Universitaire de Psychiatrie
Pr Lucien Colonna (Président), Pr Daniel Sechter (Secrétaire général)
- pour le Union Syndicale de la Psychiatrie
Dr Alain Abrieu (Président), Dr Olivier Boitard (Vice-président), Dr Paul Machto (Conseiller national)
En introduction à cette conférence, le Président du S.N.P.P. effectuait la déclaration suivante :
La psychiatrie française apparaît originale à bien des égards, même si elle a suivi ou parfois précédé les évolutions de la psychiatrie européenne et mondiale. Pour en rester au dernier demi-siècle, si elle a émergé de la guerre avec un équipement et un fonctionnement obsolètes, un petit groupe de psychiatres engagés a impulsé une conception nouvelle de l’institution soignante (qui s’appellera plus tard la psychothérapie institutionnelle) en même temps que celle-ci s’efforçait de s’ouvrir sur la société. Berceau de la psychopharmacologie (chlorpromazine, 1952) qui a facilité son évolution, la psychiatrie française s’est surtout marquée par la mise en place à partir de 1960 de la politique de secteur qui a bouleversé progressivement l’organisation d’un service public alors largement prédominant. Le développement des pratiques ambulatoires comme l’emprise croissante des conceptions psychanalytiques favorisait dans un deuxième temps l’expansion d’une pratique privée à dominante psychothérapique, soutenue par la généralisation d’une couverture sociale autorisant le plus large accès aux soins. La séparation de la neurologie et de la psychiatrie en 1968 concrétisait la maturité d’une discipline qui devenait ainsi maîtresse de ses propres filières de formation. L’expansion démographique du corps professionnel jusqu’à ces dernières années répondait à la multiplication croissante des tâches qui lui étaient confiées parallèlement à l’augmentation considérable d’une demande de soins individuelle désormais largement assumée par une majorité de la population.
Cependant, de nombreuses carences subsistaient dans divers domaines qui ne tenaient pas qu’aux crédits d’équipement, puisque des centaines de postes demeuraient vacants dans le service public comme dans le secteur associatif et que les délais de prise en charge tendaient le plus souvent à s’allonger de plusieurs semaines en pratique de ville. La question démographique n’apparaissait donc pas résolue, tant s’en faut. C’est pourtant dans ce contexte qu’on a vu s’amorcer une politique malthusienne " à bas bruit ", dont la première manifestation a été la réduction brutale du nombre de psychiatres en formation, apparemment noyée dans une démarche généralisée de réduction du nombre de spécialistes. Aucune politique officielle n’était affichée à cet égard, alors que les projections laissaient apparaître qu’en 20 ans la psychiatrie allait perdre 35 % de son effectif de médecins qualifiés. On peut croire cependant qu’une décision a été prise quelque part, à l’insu des instances consultatives en ce domaine (instances qui ne se réunissent d’ailleurs plus depuis quelques années…). Le Secrétariat d’État à la Santé laisse entendre que dans tous les cas une telle évolution serait irrévocable !
Pourquoi ? Faut-il considérer que les besoins de soins psychiatriques non seulement seraient satisfaits (ce qu’affirme seul, et sans preuves, le rapport Nicolas à l’encontre d’autres bilans, beaucoup plus approfondis, comme le récent rapport du Conseil Économique et Social) mais qu’ils vont aller en régressant eux aussi de 35 % ? Compte tenu des missions nouvelles qu’on nous affecte, compte tenu aussi des incitations qui nous sont adressées à former de nouveaux intervenants en psychiatrie, non spécialistes, on ne peut accréditer une telle version des choses.
Les psychiatres se seraient-ils avérés défaillants à accomplir une tâche dans laquelle ils conjoignent leur compétence médicale et scientifique à une formation approfondie aux techniques de relation qui demeurent de façon incontournable au cœur de leur pratique ? On leur demande certes d’évoluer, de s’impliquer plus dans les " réseaux " (dont le " secteur " constitue déjà un exemple presque paradigmatique…) : le refusent-ils, même s’ils revendiquent de préserver au maximum le caractère personnel de la relation soignante ?
Coûtent-ils trop chers (par exemple 2,7 % de la dépense libérale pour 5 % de l’effectif des praticiens libéraux – il est vrai que G. Johanet envisage de réduire encore la valeur de notre acte…) ? On envisage bien de rémunérer, légitimement, les " nouveaux " intervenants, ce qui ne laisse pas augurer d’économies particulières – à moins que certains actes ne soient plus remboursés par l’Assurance Maladie ?
Dans quelle ambition s’origine alors cette démarche de déqualification en psychiatrie ? On nous laisse entendre maintenant que notre rôle devrait se réduire à celui d’expert consultant – ce qui est gravement méconnaître que notre expertise résulte justement de notre pratique soignante qui la nourrit et la renouvelle sans cesse, sauf à nous déconnecter de toute réalité souffrante. Dans un rapport récent auquel le Gouvernement a donné un large écho, E. Zarifian dénonçait l’absence de " stratégie thérapeutique globale " dans tout ce qui ressortissait de la prise en charge non spécialisée, entraînant une surconsommation des psychotropes justement mise en question : voudrait-on accentuer encore un tel déséquilibre ?
Il faut cinq ans au minimum et une vaste expérience clinique pour former un psychiatre. De surcroît sa compétence s’enrichit de l’abord de multiples domaines nouveaux qui ne se prêtent guère à l’improvisation. Il opère par vocation et par nécessité un double travail d’ analyse et de synthèse – ce qui exige notamment de considérables et spécifiques efforts de formation continue supposant une disponibilité particulière qui s’accommode mal d’autres centres d’intérêt. Il peut concourir certes à l’initiation et la sensibilisation de praticiens d’autres disciplines aux problèmes psychiatriques, ce qui améliorera chez ceux-ci la perception des difficultés en ce domaine mais devrait plutôt contribuer à accroître la demande de soins spécialisés pour la réalisation desquels il demeure irremplaçable. À moins que l’on estime que nos patients ne méritent pas une telle mobilisation de compétences : c’est à eux en définitive d’en juger – et c’est pour cela que nous leur lançons aujourd’hui ce " cri d’alarme ".
Le S.N.P.P. pour sa part, outre des données chiffrées concernant la pratique libérale (déjà publiées dans le BIPP n° 18, sept. 98), proposait un dossier ainsi présenté :
La psychiatrie en danger
Dès 1997, le S.N.P.P. prenait une position très ferme sur les questions de démographie, dans le contexte d’une recherche prioritaire de qualité (Déclaration du 19 octobre 1997).
En septembre 1998, le S.N.P.P. avançait à l’intention des pouvoirs publics et des Caisses un certain nombre de propositions dans la perspective d’une concertation sur l’amélioration des soins psychiatriques, portant notamment sur les caractéristiques de la consultation du psychiatre, la démographie et la formation (Propositions du S.N.P.P., extrait, cf. BIPP n° 20, jan. 99).
Ces dernières années, la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent s’est beaucoup développée en pratique libérale, au risque que les praticiens soient confrontés à une réglementation réductrice et absurde remettant en question de l’unicité de la spécialité (Note sur la P.E.A. en exercice libéral, voir ci-après).
En 1999 enfin est sorti le plan Johanet qui, par ses ambitions et les méthodes qu’il propose pour les réaliser, nous paraît s’inscrire en convergence avec l’évolution démographique dont nous dénonçons la programmation, dans la mesure où il repose probablement sur les mêmes sources d’inspiration (Le plan Johanet : de la Sécurité sociale aux H.M.O. ?, voir dans ce même numéro).
La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (P.E.A.)
en pratique libérale
De nombreux psychiatres exerçant en cabinet libéral reçoivent en consultation des enfants et des adolescents en plus de leur clientèle d’adultes, qu’ils soient titulaires ou non de l’option P.E.A.
Etant donnée la saturation des équipes de P.E.A. associatives (CMPP, CAMPS) et publiques (CMPI de l’intersecteur), ces confrères sont très sollicités. Face à une demande de soins ambulatoires en forte augmentation concernant les enfants et adolescents en difficulté, l’importance de leur contribution évolue rapidement dans de nombreuses régions.
Ces psychiatres exercent donc une activité de P.E.A. non exclusive, dans la mesure où ils reçoivent par ailleurs des adultes, soit pour leur pathologie propre, soit comme parents d’enfants ou d’adolescents en difficulté. Dans ce dernier cas, cela autorise un abord multifocal des problèmes individuels et/ou familiaux.
Il paraît inconcevable d’établir en termes de capacité d’exercice un clivage selon l’âge des patients comme sont tentés de le faire certains responsables de l’Assurance maladie ou l’Ordre des médecins, attitude qui reflète leur incompréhension des réalités de la pratique psychiatrique.
La qualification en psychiatrie générale permet de recevoir des enfants et des adolescents. En miroir, ceux des psychiatres qui sont détenteurs de l’option P.E.A. peuvent également prendre en charge des adultes.
Une réaffirmation de l’unicité de la discipline paraît de la plus grande opportunité.
Nous complétons enfin cette évocation de la conférence de presse du côté de la pratique privée(1) en reproduisant la note préparée par le Dr. R. Salbreux (Syndicat des Médecins Psychiatres des Organismes publics, Semi publics et Privés) qui rejoint parfaitement les conclusions de notre séminaire sur « la pratique psychiatrique privée salariée en institution » du 20 mars dernier auquel notre collègue avait activement participé :
Les difficultés des psychiatres salariés du secteur associatif
Plus de 4000 psychiatres travaillent à temps partiel et parfois à temps plein dans les quelque 4500 établissements et services pour personnes handicapées et inadaptées de ce secteur qui, toutes proportions gardées, peut se comparer au secteur sanitaire.
Initialement conçu pour accueillir en long séjour et pour assurer des conditions de vie moins exceptionnelles et donc plus proches de la normale que le secteur sanitaire, mais aussi pour donner une meilleure qualité de vie à des enfants ou des personnes âgées gravement inadaptées ou dépendantes, ce secteur s’est vu confier d’autres activités comme la prévention, le dépistage et le diagnostic, comme dans les centres d’action médico-sociale précoce (C.A.M.S.P.) et les centres médico-psychopédagogiques (C.M.P.P.). C’est dire que la dimension des soins et du traitement ne lui sont nullement étrangères.
Cependant, depuis une vingtaine d’années et tout particulièrement après la loi d’orientation sur les personnes handicapées du 30 juin 1975, on assiste à une démédicalisation et à une dépsychiatrisation de ces établissements et services au nom d’une idéologie qui veut que le handicap soit la séquelle sociale d’une maladie ancienne et disparue, voire d’un accident ou d’une blessure ou encore de l’âge et que la réhabilitation de la personne handicapée passe davantage, sinon exclusivement par le " traitement social " du handicap au détriment des soins et de l’accompagnement médicaux.
Ainsi l’on est passé d’une direction bicéphale réellement médico-administrative ou médico-éducative, qui dans bien des endroits persiste encore, à une direction purement administrative ou socio-éducative avec marginalisation du médecin ou du psychiatre, celui-ci étant finalement réduit à cautionner le remboursement des prix de journée ou des forfaits de fonctionnement par l’assurance maladie. Dans la plupart des cas, en effet, sauf pour les établissements dépendants directement du Conseil Général c’est la Sécurité sociale qui finance le secteur.
Cette évolution est apparue très visible à l’occasion des licenciements de plus en plus nombreux pour perte de confiance qui frappent les praticiens ou les psychiatres concernés, comme on a pu le voir récemment dans la presse à propos de la malheureuse affaire du Coteau.
L’indépendance thérapeutique et le secret professionnel sont mis à mal dans un grand nombre d’établissements, contribuant ainsi à détériorer la confiance qui est évidemment à la base de toute approche thérapeutique ou psychothérapeutique qu’elle soit individuelle ou institutionnelle.
1- On retrouvera dans ce cadre la contribution du Syndicat des Psychiatres Français dans La lettre de Psychiatrie Française n° 85, p. 10 à 12. Les éléments complets du dossier de presse, comportant également de nombreuses informations sur la psychiatrie de service public, peuvent vous être adressés sur demande à notre secrétariat, S.N.P.P., 141 rue de Charenton 75012, Paris.
Communiqué final
La politique malthusienne instaurée en psychiatrie, qui doit aboutir en 20 ans à une réduction de 35 % du nombre de psychiatres, a réussi à faire l’unanimité de la discipline contre elle. Les 8 syndicats représentatifs des diverses catégories de psychiatres, universitaires, publics, privés, salariés ou libéraux, ont, dans une conférence de presse tenue le 6 mai 1999 à Paris, lancé un " cri d’alarme " à l’intention des français en soulignant les graves conséquences d’une telle politique pour la santé mentale et la qualité des soins apportés aux personnes en situation de souffrance psychique. Face à des besoins psychiatriques sans cesse croissants, transférer la charge de soin vers des personnels moins qualifiés ne constitue certainement pas une solution bénéfique pour la santé, même sur le plan économique. Former un psychiatre prend 11 à 12 années minimum, ce qui rend tout processus de " rattrapage " totalement aléatoire. Les psychiatres sont tout à fait disponibles pour contribuer à former les autres intervenants en santé mentale mais se refusent à renoncer pour cela à tout ou partie de leur fonction soignante, source même de leur compétence. Ils réclament d’urgence une négociation approfondie sur ces questions avec leurs autorités de tutelle afin que soit réformée pendant qu’il en est encore temps une politique ici catastrophique.