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Gérard Bles
Retour au sommaire - BIPP n° 23 - Septembre 1999

Le CNPsy SAUVE DES EAUX

Comme nous l’avons déjà annoncé, tout laisse croire que, pour l’instant, les tutelles ont renoncé à réduire la valeur du CNPsy comme le proposait Gilles Johanet dans la première version de son " plan stratégique ". Ce projet avait soulevé un tollé général et les interpellations syndicales les plus vigoureuses. Nous relevions entre-temps que Martine Aubry, qui avait entrepris de se saisir des spécialités " coupables " (de dépassement de l’ONDAM en 1998) pour leur imposer des réductions soit d’activité, soit d’honoraires (avec ou sans modifications des cotations), ne nous avait pas convoqués. Mais surtout tout dispositif sur le CNPsy avait disparu de la deuxième version du " plan stratégique ". Cependant, aucune réponse officielle, aucune précision sur ce point ne nous avaient été fournies jusqu’à ce que G. Johanet, à l’occasion d’une confrontation publique avec Claude Maffioli, ne déclare en substance à propos des psychiatres: " On a eu tort, on l’a reconnu dans le débat et on a retiré cette proposition. Connaissez-vous beaucoup d’organisations à même de la faire ? " (Le médecin de France, 905, 20 juillet 1999). On aurait apprécié une réaction plus officielle – mais enfin, c’est le résultat qui compte !


… RIEN POUR ATTENDRE ?

Pouvons-nous croire pour autant que cela corresponde à un début de compréhension des problèmes de la psychiatrie, qu’il s’agisse de son ensemble ou des difficultés propres au secteur libéral ? Rien ne le permet, tant s’en faut. Mais, si l’on s’en tient pour l’instant au seule problème des honoraires et de leur évolution en masse, que va-t-il désormais se passer ?

Martine Aubry vient de le confirmer : sans doute lasse d’être répétitivement recalée par le Conseil d’Etat, pour tout ce qui concerne la médecine de ville elle passe la main à la CNAM, à charge pour celle-ci de faire respecter l’objectif des dépenses, avec des bilans au quatrième et au huitième mois de chaque année. Ce sont donc les Caisses qui vont gérer l’enveloppe de ville (fixée à quel niveau, avec quels critères d’inclusion ?), liberté leur étant laissée en ce qui concerne les seuls honoraires d’arbitrer à l’intérieur de celle-ci entre catégories de médecins comme de sanctionner par des modulations tarifaires les spécialités trop coûteuses – les mesures individuelles en passant d’abord par un renforcement des contrôles (encore récemment réclamé par la Cour des Comptes) cependant que les reversements individuels, à nouveau un moment évoqués comme devant porter cette fois-ci uniquement sur les honoraires sur un mode personnalisé, ne sont pas pour l’instant programmés. L’Ondam 2000 devrait être majoré de 2,5 %, à 658 milliards, ce qui ne doit pas faire illusion car, comme précédemment, il reprendra en compte les dépassements 1999.

Aucune souplesse donc à prévoir a priori – nonobstant " l’indulgence " dont nous venons de bénéficier. Ce d’autant que l’Assurance maladie n’étant pas chargée de la politique de santé en soi, les arguments liés à l’importance des besoins ou aux priorités de santé publique ne sont pas censés devoir a priori l’émouvoir. Elle se doit avant tout d’assurer l’équilibre des comptes, sous peine en cas d’échec que le Gouvernement reprenne à nouveau les choses en main. La balance des responsabilités est subtile…

Martine Aubry conserve par contre sous sa coupe la gestion des hôpitaux (évitant ainsi d’avoir à discuter les mesures " désagréables " qu’avait imaginées G. Johanet dans son plan stratégique). La novation pourrait être qu’il en soit de même pour les cliniques, excluant les Caisses des relations tripartites existantes jusqu’alors. Le pouvoir des A.R.H. s’en trouvera renforcé – et surtout, on reparle d’une tarification par pathologie, ce qui ne manquerait pas de remettre en cause le statut libéral des praticiens y exerçant. Qu’en sera-t-il dans un tel contexte et une fois de plus de l’" exception " psychiatrique ?

On rappellera enfin que la politique du médicament reste aussi du ressort direct du Ministère des Affaires sociales – et que le montant des dépenses liées aux prescriptions sont bien évidemment incluses dans l’Ondam. La tutelle sera là bicéphale, le contrôle des prescriptions et de leur montant appartenant aux Caisses (via les R.M.O. et autres règles à venir, dont la limitation des prescriptions en fonction de la spécialité pratiquée) – alors que les prix restent fixés par le Gouvernement (avec des hausses parfois inattendues !) de même que le taux de remboursement (qui devrait fluctuer désormais en fonction du S.M.R., service médical rendu, avec un premier tri annoncé qui devrait déboucher en psychiatrie sur le déremboursement des " petits " médicaments, phytothérapiques ou autres, qui n’étaient pourtant pas sans intérêt, ne serait-ce que comme placebos…).

UNE POLITIQUE DE LA PSYCHIATRIE : AVEC QUI ?

La redistribution des cartes, telle qu’elle s’annonce, ne va certainement pas simplifier la partie politique qui reste plus que jamais à soutenir pour ce qui concerne l’avenir de la psychiatrie. L’hôpital – et donc le service public de psychiatrie, mais aussi l’hospitalisation privée – d’un coté, comme sans doute le secteur associatif, et de l’autre la pratique " de ville ", libérale : à quel niveau vont donc s’opérer les indispensables articulations, qui va être habilité à promouvoir une politique d’ensemble pour ce qui concerne la santé mentale ? 

L’interlocuteur théorique aurait pu être le Secrétariat d’Etat à la Santé : nous n’avons pu obtenir grand chose de constructif du temps de Bernard Kouchner, mises à part quelques déclarations générales sans suite et des Etats généraux dont la " synthèse ", sauf erreur de notre part, n’a toujours pas été rendue publique (" beaucoup de bruit pour rien ", pour paraphraser Shakespeare). La Commission des maladies mentales (quelque soit son nouveau nom), lieu de confrontation structurellement logique, ne s’est plus réunie depuis belle lurette. Et, apparemment, ce n’est pas l’arrivée de Dominique Gillot qui risque de changer grand chose, celle-ci ayant pointé d’emblée les limites de sa mission et sa subordination complète au Ministre des Affaires sociales. Certes, son chef de cabinet, Nicole Prugniaux, ancienne directrice de CHS, devrait à priori en savoir un peu plus sur la psychiatrie que le précédent cabinet, mais encore faudrait-il qu’elle soit missionnée pour intervenir dans ce secteur. Quant au nouveau Directeur général de la santé, le Pr Lucien Abenhaïm, épidémiologiste de formation et spécialiste de santé publique, il est censé devoir se préoccuper prioritairement de sécurité sanitaire, d’expertise scientifique et de prévention générale – sans référence particulière à la psychiatrie. Il est vrai que son prédécesseur, Joël Ménard , pour s’être mêlé de ce domaine, notamment en matière de démographie, ne nous avait pas particulièrement rendu service…

Bref, il apparaît que sur le plan de la concertation et de l’harmonisation, tout, une fois de plus, est à reconstruire !

VERS UNE SYNERGIE SYNDICALE ?

Au fond, en ce domaine, le fait le plus saillant de ces six derniers mois est constitué par l’amorce d’un travail intersyndical en psychiatrie. Sans parler d’une unité qui demeure pour l’instant de l’ordre de la fiction, la volonté d’une parole commune s’est concrétisée en effet par la prise de position solidaire, à l’initiative du S.N.P.P., des huit syndicats de psychiatres sur le problème de la démographie – ce que nous avons largement relaté dans le dernier BIPP. Au demeurant, si cette démarche a bénéficié d’un bon écho médiatique, elle n’a pour le moment entraîné aucune réaction de la part des tutelles. Sa retombée la plus immédiate à par contre été la constitution d’un Comité d’action syndical de la psychiatrie (C.A.S.P.), associant S.P.H., S.P.F., S.N.P.P., U.S.P. et salariés C.G.C.. On soulignera cependant, en le regrettant, que sur les huit syndicats, deux se sont officiellement dissociés (S.P.E.P. et S.P.S., représentant des psychiatres de service public), alors que le Syndicat universitaire de la psychiatrie ne s’est pas encore prononcé. Toujours est-il que ce Comité a diffusé en juin le communiqué suivant :

Les syndicats soussignés qui représentent une majorité des psychiatres de tous modes d’exercice, associatif, libéral, public, dénoncent les graves menaces qui pèsent sur l’avenir de la psychiatrie et vont hypothéquer durablement son organisation, ses missions, la qualité des prises en charge et du service rendu aux patients.

L’organisation de la psychiatrie en France, telle qu’elle s’est progressivement tissée, structurée depuis plus de vingt cinq ans, représente un incomparable réseau de compétences et de partenariats, au plus près des usagers, au service du patient et de la santé mentale. Et la société ne s’y trompe pas, qui ne cesse de lui adresser de nouvelles demandes.

Or, cette organisation, reconnue, validée, souvent citée en exemple à l’étranger, va se trouver radicalement remise en cause dans les prochaines années, menacée qu’elle est, bien sûr par de successives contraintes économiques et surtout par la réduction massive du nombre de psychiatres prévue pour les prochaines années

Les syndicats soussignés condamnent l’attentisme et les négligences des pouvoirs publics vis-à-vis de ce qui ne manquera pas de devenir une nouvelle catastrophe de santé publique. Ils préparent dès maintenant une campagne d’information et de mobilisation pour la défense de leur discipline et se rassemblent en un Comité d’Action Syndical de la Psychiatrie.

Déjà précédemment et au-delà de sensibilités ou de conceptions tactiques parfois divergentes, une volonté d’action en commun s’était affirmée depuis deux ans entre le S.P.F. et le S.N.P.P. pour ce qui concerne la psychiatrie privée, sur des sujets précis comme l’hospitalisation privée, la nomenclature ou encore le statut de la psychothérapie dans l’acte psychiatrique.

Cette volonté devrait trouver à nouveau l’opportunité de se vérifier à l’occasion de la manifestation du 17 octobre prochain où nos diverses organisations syndicales se regrouperont sous une bannière commune et unique, celle de la psychiatrie. Les objectifs communs feront par ailleurs l’objet d’une communication presse dans la semaine qui précède.

LES PSYCHOTHÉRAPIES EN QUESTION

Voilà justement un domaine où la guerre n’est pas loin de faire rage et où la synergie syndicale s’impose – ce qui est d’ailleurs le cas.

En 1998, l’Association européenne des psychothérapeutes (Michel Meignant) a suscité un audit ( ?) sur les psychothérapies, confié à l’AFNOR (Association française de normalisation !) – partant du principe que seuls les psychothérapeutes ayant subi une formation agréée (par qui ?) peuvent prétendre dispenser ce type de soin et alléguant au passage que les psychiatres ne sont pas précisément formés pour cela. Entre temps (et à l’incitation de qui ?) la Direction générale de la Santé s’est saisie du dossier sous l’argument, semble-t’il, de la protection des consommateurs et dans le souci notamment d’écarter les pratiques qui pourraient s’apparenter aux activités des sectes…

Bref, le Ministère a d’abord reçu pour s’informer sur la question le Conseil de l’Ordre, les centrales syndicales (CSMF, SML, FMF, MG France), le syndicat des psychologues, celui des psychothérapeutes, etc…mais pas les syndicats de psychiatres ! Ensuite, en juillet dernier, c’est la Fédération Française de Psychiatrie qui a été consultée, celle-ci s’appuyant bien sûr sur les contributions en ce domaine de nos représentants. – mais toujours pas les syndicats de psychiatres en tant que tels. C’est pourquoi nous avons obtenu du Président de la C.S.M.F. qu’il intervienne directement auprès de Madame Aubry dans une lettre du 9 septembre 1999 que nous avons largement inspirée et qu’on pourra lire ci-après :

La C.S.M.F. a été conviée à rencontrer la Direction Générale de la Santé au sujet d’un travail que celle-ci aurait entrepris sur la question des psychothérapies en se fondant sur un " audit " effectué par l’AFNOR, organisme de normalisation industrielle mandaté lui-même par une association privée.[…]
Je ne souhaite pas entrer dans le détail de ce sujet très spécialisé, mais il me paraît indispensable d’attirer votre attention sur quelques points de principe :

1 – Je ne comprends pas que notre ministère ait pu s’appuyer pour cette étude sur l’avis d’un organisme certes estimable mais dont la compétence de base n’a rien à voir avec l’exercice médical et l’activité soignante en général – ce d’autant que l’on dispose en France d’une structure précisément compétente quant à l’évaluation de la qualité des soins et leur validation, l’ANAES, qui à notre connaissance n’a pas été consultée.

2 – Le Gouvernement se préoccupe vivement actuellement, et à juste titre, de sécurité sanitaire et des garanties qu’il doit apporter à la population sur la validité et la qualité des soins. Il a souligné par ailleurs et à maintes reprises ses préoccupations concernant la santé mentale et les besoins toujours croissants qui lui sont corrélatifs.
Je ne vous apprendrai pas la complexité des problèmes qui sont abordés dans ce cadre, exigeant à la fois du soignant de solides connaissances médicales de base, une expérience clinique soutenue des troubles mentaux dans toute leur diversité et une formation approfondie à la relation, en particulier dans sa dimension psychothérapique, qui se trouve au cœur de l’acte de soins.
Ces caractéristiques sont celles qu’offre un médecin spécialiste, le psychiatre. Sa qualification constitue justement la reconnaissance de sa compétence sur ce registre et constitue précisément la garantie recherchée dans l’intérêt de la population, qu’il est de surcroît seul à offrir.

3 – Les recommandations de l’Union Européenne des Médecins Spécialistes (UEMS), section psychiatrie, dans le cadre du Conseil de l’Europe, ne font que confirmer, s’il en était nécessaire, la double et exigible compétence du psychiatre, à la fois médicale et psychothérapique. […]

Psychiatres publics et privés, nous sommes farouchement attachés à l’indissociabilité de l’acte psychiatrique et de la psychothérapie, qui pourrait également se voir remise en question à l’occasion des travaux sur la future nomenclature – tout comme avec la réduction de notre nombre nous mettant dans l’incapacité de répondre pleinement à la demande de soins. Certains travaillent déjà à des " solutions de remplacement ". Si elles devaient aboutir un jour, s’en serait fait de la psychiatrie telle que nous la concevons et la défendons.
(dans notre prochaine livraison, nous publierons un article de N. Garret-Gloanec, secrétaire générale du S.P.H., sur la question).

LE PLAN JOHANET (bis)

Une nouvelle version du plan Johanet est parue au mois de juillet dernier. Pour notre part, nous en retiendrons avant tout le retrait de la mesure consistant à diminuer les honoraires des psychiatres qui figurait dans la première version. Pour le reste, cette nouvelle mouture ne présente pas de différences significatives avec la première. En ce qui concerne la médecine libérale, la " sélection de l’offre de soins ", c’est à dire les procédures de recertification et de conventionnement sélectif restent au cœur du dispositif de maîtrise, de même que la transparence des actes, toujours érigée en dogme absolu.

A l’heure où nous écrivons, la question la plus cruciale est de savoir dans quelle mesure ce plan sera appliqué dès lors que madame Aubry a clairement fait connaître son intention d’abandonner aux Caisses la maîtrise des dépenses en médecine libérale, se réservant le secteur hospitalier. Le Plan Johanet propose trois séries de mesures visant aussi bien la médecine libérale que la médecine publique et les usagers pour réaliser plus de 60 milliards de francs d’économies. Si l’hospitalisation publique reste hors du champ d’application de ce plan, M. Johanet va-t-il tenter de réaliser toutes les économies sur le compte de la médecine libérale ?


TOUT VA TRÈS BIEN...

Air nouveau autant que connu !
Au moment où nous mettons sous presse, Martine Aubry s’est abandonnée à un merveilleux numéro d’optimisme - qui tient presque de l’injonction paradoxale ! Ainsi, nous nous serions modérés ! Vous voyez bien que c’était possible - et que les besoins sont néanmoins satisfaits. À ceci près que les chiffres (12 milliards de déficit pour l’Assurance maladie au lieu des 13 attendus) sont moins démonstratifs qu’on ne voudrait le croire. Voudrait-on au passage désamorcer la journée du 17 octobre ?

Gérard Bles


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