Cinquième lettre à mes patients

Retour au sommaire - BIPP n° 23 - Septembre 1999

Madame, Mademoiselle, Monsieur,

Comme chaque automne, la loi de financement de la Sécurité sociale va être débattue à l’Assemblée nationale. Et comme chaque année, à travers de multiples déclarations, on réaffirmera l’impérieuse nécessité qu’il y a à maîtriser l’évolution des dépenses de santé. Cela étant, il vous sera peut-être encore plus difficile que d’habitude de vous y reconnaître car si certains, et en particulier les organismes gestionnaires, les Caisses d’assurance-maladie, réclament une réforme assez radicale du système de soins, le Gouvernement de son côté se félicite tout d’un coup d’être parvenu à un presque équilibre du budget de la Sécurité sociale – un résultat lié surtout à de meilleures rentrées financières (cotisations et CSG) à l’instar de ce qui s’est passé, vous le savez, pour les impôts. Cette amélioration est attribuée aux circonstances, au retour à une certaine prospérité et à une restauration relative de l'emploi (ce qui rejoint, soit dit en passant, l’analyse souvent proposée par les organisations médicales comme par certains syndicats, selon laquelle le fameux déficit serait avant tout lié à la crise économique et au chômage plutôt qu’à l’abus de soins).

Est-ce dire que tout est réglé, que plus rien désormais ne menace ni notre protection sociale, ni la qualité des soins médicaux ? Ce serait aller bien vite en besogne.

En effet, arguant justement du caractère circonstanciel et donc temporaire de l’amélioration observée, ce n’est pas pour autant que les pouvoirs économiques vont renoncer à obtenir une transformation profonde de l’organisation des soins. Leur projet est de traiter ceux-ci comme n’importe quel produit de consommation dans le système marchand qui règne désormais dans nos sociétés. C’est ainsi qu’aujourd’hui on parle de plus en plus du panier de soins remboursables, c’est-à-dire d’un ensemble de prestations qui ne varierait plus en fonction des besoins de la population mais strictement selon l’argent qu’on déciderait d’affecter à leur satisfaction, en concurrence avec d’autres consommations. C’est la conception comptable des dépenses de santé que la majorité de la profession médicale ne cesse de dénoncer et contre laquelle elle manifestera le 17 octobre prochain.

Qu’est-ce que cela veut dire et quels sont les risques que vous font courir une telle évolution ?

Il faut comprendre que dans cette nouvelle organisation, les critères de référence ne seront plus désormais ni les besoins eux-mêmes, toujours si difficiles à cerner mais dont il est abusif, vous le savez bien, de dire qu’ils sont pleinement satisfaits (à considérer seulement carences et délais de prise en charge), ni la demande que chacun peut formuler pour construire sa propre santé (une demande dont le contenu dépend certes en partie du niveau d'information et d’éducation de chacun – mais avant tout de sa souffrance). Non, le critère de base sera désormais d’ordre gestionnaire, comme dans n’importe quel système d’assurance : c’est-à-dire que le fonctionnement de l’assurance maladie sera prioritairement organisé selon une prévision et une évaluation des risques comme du poids des " réparations ", c’est-à-dire en fonction de leur coût.

À partir de quoi il n’est que deux types de réponses possibles : ou bien on fait varier le montant des " primes " (cotisations) versées en fonction du risque évalué (c’est ce qui se passe par exemple pour l’assurance automobile avec le mécanisme de bonus-malus, voire la radiation des assurés), ou bien on limite la nature des " dégâts " pris en charge et le montant des réparations qu’ils exigent (en désignant au besoin des " réparateurs agréés ", comme par exemple dans le système des " médecins référents " dont vous avez peut-être entendu parler). C’est l’assureur lui-même qui fixe la règle en fonction des exigences de sa gestion… et de ses profits éventuels.

De ce mécanisme apparemment simple découle toute une série de conséquences :

- la prévision des risques va constituer l’activité principale et déterminante de l’assureur gestionnaire. Plus les risques seront prévisibles dans leur fréquence et leur importance comme dans les coûts qu’ils induiront, mieux il sera possible de déterminer leur place dans le fameux " panier de soins ". On aura tendance à en écarter ceux des risques qui sont mal mesurables, difficiles à cadrer, à planifier (comme par exemple les soins psychiatriques ou au moins une partie d’entre eux) ;

- comme, en l’état actuel des choses, on ne peut prétendre faire varier les primes (les cotisations) en fonction du risque, l’équilibre de la gestion sera assuré en éliminant une partie des risques pris en charge ou des moyens mis en œuvre pour y remédier – ceci de façon variable en fonction des résultats comptables obtenus. C’est déjà le cas par exemple pour certaines assurances ou mutuelles complémentaires ;

- dans une telle conception, rien ne s’opposerait à ce que soient mis en concurrence les différents gestionnaires potentiels : à cet égard les assureurs privés ne manqueront pas de prétendre être plus efficaces parce que plus rigoureux.

On voit que ce sont les principes fondamentaux de notre protection sociale en matière de santé qui sont ainsi remis en cause. Certains estimeront qu’une telle évolution est inéluctable dans une société marchande. D’autres soutiendront que la santé collective et individuelle fait partie des objectifs prioritaires que peut s’assigner une société évoluée – et riche, quoiqu’on en dise. C’est ce qui s’appelle un choix politique – auquel donc il appartient à chacun de contribuer, vous les premiers.

La grande majorité des médecins, quant à eux, ont choisi de refuser ce qui leur apparaît comme inacceptable, parce que c’est le sens même de leur mission qui est ainsi mis en cause : non seulement soulager la souffrance mais permettre à chacun d’atteindre au meilleur équilibre physique et psychique possible. Pour cela, ils ont le souci d’assurer les soins les plus conformes aux besoins de la population et aux acquis de la science tout en se préoccupant de le faire sans dépenses superflues afin que puisse perdurer l’organisation médico-sociale originale qui est celle que les français ont conquise depuis cinquante ans. Pour cela, ils ont fait et feront encore des propositions constructives : ils attendent qu’on en débatte avec sincérité et lucidité, pour le bien collectif. Il vous appartient aussi d’imposer cet effort de concertation à tous ceux qui vous représentent.

N’hésitez pas à en parler avec votre psychiatre : il est à votre disposition pour cela.

Syndicat national des psychiatres privés


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