Filiation et transmission psychanalytiques

Linda Sarfati
Retour au sommaire - BIPP n° 25 - Mars 2000

Actuellement, notre mode d'exercice est menacé de disparition. Je souhaite défendre la place de la psychiatrie et de la psychanalyse dans le champ de la médecine.

Si la psychanalyse est de plus en plus contournée dans la pratique de la psychiatrie, au bénéfice des "thérapies brèves", chimiques ou autres, témoins de l'air du temps, l'Inconscient est incontournable. Le refoulé se fraie toujours un chemin.

La clinique remonte aux origines de la civilisation, qu'elle soit Égyptienne, Grecque ou Latine. Elle commence avec la parole.

Le médecin traduit les symptômes offerts par le malade, en signes; traduction qui permet de passer du registre plus ou moins confus, enchevêtré, qu'est le discours du malade, au registre "épuré", clarifié, du discours médical, c'est-à-dire un discours qui se veut scientifique.

Il n'y a nul sujet derrière le symptôme dans le discours médical. C'est sans doute grâce à cette distinction entre malade et maladie que la médecine occidentale a pu se développer.

Ce que Freud découvrit avec la psychanalyse, c'est le fait qu'on pouvait se rendre malade de n'avoir pas l'usage des mots pour dire le plus vif de son expérience et qu'on pouvait guérir en trouvant ces mots, pour peu qu'il y ait un autre capable de l'entendre.

Si la science vise à montrer la réalité objective, la psychanalyse tend à fonder l'objet dont nous ne saurions rien si ce n'est qu'il est cause de désir. Par là elle reconnaît au sujet une place qu'au contraire la science tend à évacuer en constituant un discours où le sujet de l'énonciation n'a aucune place, puisque la vérité énoncée par elle doit être indépendante de celui qui l'énonce.

La dichotomie entre psyché et soma tend à effacer la nouveauté de la voie psychanalytique.

La pulsion, il convient de le rappeler, est un concept majeur de la théorie freudienne et c'est précisément à l'occasion de sa définition que Freud se trouve contraint d'abandonner l'opposition du psychique et du somatique.

La psychiatrie ne peut tenir le langage étiologique de la médecine sans aboutir à une sorte de contemplation. Dans la perspective médicale, les symptômes psychiatriques n'ont plus aucun sens: la cause dont ils devraient être le témoin, échappe: ils ne font que renvoyer à des maladies qui, en retour, n'ont d'autre définition que symptomatique.

Comme exemple, cela fait plus de 20 ans que j'entends parler de la cause génétique de telle ou telle psychose sans aucune démonstration qui tienne et avec comme effet de clore toute recherche...

Il existe un formidable arsenal thérapeutique chimique pour apaiser les symptômes. Et il n'est pas question ici de plaider pour s'en passer. Mais de dire notre farouche opposition à la biologisation croissante de la psychiatrie. Cet apport thérapeutique ne doit en aucun cas devenir camisole chimique.

Même si le patient se représente sa souffrance comme étrangère à lui même, il peut, pour peu que quelqu'un l'écoute, la reconnaître comme participant de son désir. (Les psychiatres ne prescrivent que 20% des psychotropes, du fait qu'ils écoutent leurs patients et ceux qui préconisent des économies méconnaissent cet aspect pourtant mesuré).

L'écoute en question n'est pas nécessairement et toujours une cure psychanalytique. Le patient n'en a pas forcément la demande. Et si cette demande se pointe, il en saura l'adresse.

Je ne soutiens pas " l'hégémonie d'un modèle" pour reprendre les propos d'un collègue. D'autant que la psychanalyse n'est ni un modèle ni un discours totalisant et que, je le répète, le patient repère, à mon avis, à qui il va adresser sa demande.

Ce sont quelques-unes des raisons pour que le libre accès au psychiatre de son choix soit maintenu et que la psychanalyse ne soit pas exclue, interdite dans notre pratique.

Rendez-vous compte du progrès: 1923, Édouard Toulouse introduisait la psychanalyse à Sainte Anne; à présent, on se fait poursuivre pour cet exercice dans le cadre de notre pratique !

J'en arrive à la question de la formation.

La médecine est une science que l'on enseigne.

La pharmacologie s'enseigne.

La clinique psychiatrique est un point de départ pour l'enseignement de la psychiatrie.

La psychanalyse ne peut pas s'enseigner et les concepts qui s'y découvrent sont l'œuvre de l'analyse personnelle. Et c'est dans un rapport original que l'on peut considérer ce qui se joue entre l'analyse personnelle et la théorie, la théorie et la pratique, la théorie et la technique. La théorie analytique se différencie de toute autre démarche scientifique en ce que l'analyse a partie liée avec le transfert.

Tout acte médical a partie liée avec le transfert. Mais pour la psychanalyse, le transfert est un axe opératoire du traitement.

À propos de la transmission de la psychanalyse, terme plus heureux que celui de formation, il n'aura échappé à personne qu'il y a eu de la scission dans l'air à chaque fois que la question aura été posée dans les groupes d'analystes...

Filiation: de filius, fils (fille). Silence sur l'origine.

Lancinante question du Père qui traverse l'œuvre de Freud : le complexe d'Oedipe, Totem et Tabou; Moïse et le monothéisme.

Plus tard, Lacan aborde cette question notamment avec l'écriture de l'objet a. Écriture dont je soutiens qu'elle prolonge l'invention Freudienne et nous éclaire sur le malaise dans la civilisation, la nôtre en particulier, et de laquelle je vais vous livrer ma lecture.

Cet objet, nous n'en saurions rien, sinon qu'il est cause du désir. C'est en tant que substitut de l'Autre que les objets oraux, anal, scopique, vocal, sont demandés. C'est par les moyens des fantasmes qu'ils sont identifiés à l'objet cause du désir.

On ne demande que parce qu'on désire mais ce qu'on désire on ne le sait pas.

Autrement dit, il y a des objets, objets de la demande, qui représentent, par l'intermédiaire de l'Imaginaire et des fantasmes, pour de l'objet qui manque et qui, du fait qu'il manque, est cause du désir.

Autrement dit, le désir inconscient, ce n'est pas le désir de quelque objet que ce soit. C'est une énigme. C'est comme manque à exister que l'objet a se manifeste comme objet.

Le lieu de l’Autre, à savoir le lieu de la vérité, est troué et l'objet a constitué le trou qui se désigne dans l’Autre. Lieu de l'Autre qui n'existe pas comme une place. Lieu du fantasme fondamental, c'est-à-dire originaire.

Il pourra se fabriquer et se dévoiler des fantasmes, l'accès au fantasme fondamental, originaire, sera toujours barré, inactualisable.

Il en est de même pour le signifiant et le signifié. Il y a une barre entre eux, infranchissable, qui fait qu'un signifiant ne peut se signifier lui même. Il ne signifie rien du tout. Il n'est pas identique à lui même. Il représente pour du sujet auprès d'un autre signifiant.

Si j'ai fait appel à ce point de "théorie", c'est qu'il me semble fondamental pour entendre et soutenir mon propos.

Si l'on pensait que Le Père, l'Origine, existent comme tels ; si l'on pensait qu'il pouvait exister l'origine commune, freudienne, lacanienne, ou bien la formation des psychanalystes, des psychiatres..., ce serait une réflexion qui viendrait du miroir.

Si on se mettait à croire en une fiction, si on la croyait vraie, on serait entrés en religion et du même coup en guerre de religion.

Il me semble que c'est un abord utile pour entendre de quoi il retourne dans les scissions à l'intérieur des courants analytiques.

Les signifiés analyste, freudien, lacanien, nous aurions à les entendre au niveau de leurs effets de signifiant. Ce ne sont pas des identités fixes à des places fixes. La "formation" serait tout autant à entendre comme un signifiant. La formation et aussi bien la déformation, ça circulerait, entre nous, d'autant qu'il y a du manque à la formation et que c'est une raison qui fait que l'on cause toujours.

Il n'y a pas de rapport entre une Éthique et quelque origine que ce soit, si elle est tenue pour vraie, identique à elle- même.

Le savoir, le savoir de l'inconscient, n'a aucun rapport avec la vérité, le vrai. Le paradoxe est qu'il faille en passer par le vrai pour avoir accès à ce savoir dont il n'est pas question d'avoir une idée. Ce vrai, il passe par des signifiés, des énoncés. Ils peuvent avoir des effets de signifiant, d'énonciation, de sujet.

En quoi consiste le processus analytique ? À défixer des identités, pour laisser fonctionner du manque à l'identité; à déplacer du manque de quelque chose pour laisser fonctionner du manque à sa place.

Il serait question de transmettre du manque à la place, du manque à l'identité, du manque à la place de l'origine qu'il n'y a pas comme telle, du manque n'ayant aucune espèce de valeur d'échange.

Ce qui occasionne notre difficulté à en parler, notre tendance à nous embrouiller dans nos énoncés.

Si vous m'avez suivie, vous aurez entendu comment le processus analytique se propose comme issue de tout discours totalisant, voire totalitaire.

Et il ne serait pas plus question d'effectuer une analyse, d'être analyste, freudien, lacanien, comme on se placerait derrière un étendard, soit un trait unique, pour reprendre l'expression de Freud.

Autant dire que l'origine bonne ou pure de la psychanalyse tout autant que la psychanalyse "pure" seraient un mythe ou un idéal. Les idéaux de pureté ça peut mener sur certaines pentes...

Je vous raconte ça en écho à des propos que j'ai entendus et qui sont souvent tenus. Il n'y a pas à les prendre au pied de la lettre mais cela m'a provoqué un frisson. Je pense que ce collègue voulait parler de la cure analytique dite classique. Ce frisson est aussi une illustration de comment on peut se prendre la main dans le sac de ramener un dire au seul rang de signifié, ça peut faire réagir...

Ce que je soutiens, c'est qu'il est possible de faire un travail sur l'inconscient dans notre pratique, qu'on arrive à la "cure-type" ou non, d'autant qu'il s'agit d'un idéal.

Je pense qu'il faut se battre pour pouvoir continuer de le faire.

L'Inconscient, pour la théorie analytique, n'est jamais qu'une hypothèse.

C'est en quoi cette théorie est une science qui se distingue cependant du discours scientifique courant.

Si l'origine est barrée, la garantie (de la vérité et de l'erreur) l'est tout autant. Sinon, nous serions mal barrés! Si la "cause Il est perdue, nous ne sommes tenus de la soutenir!

Nous avons à redoubler de vigilance. L'État veut contrôler notre discipline sous prétexte d'en contrôler le coût. Il est aussi question de contrôler notre formation dans ses contenus et par son financement.

Certains offrent un label de "formation d'origine -contrôlée -garantie " ! Distributeurs garants d'un savoir correct...

L'enjeu serait pour certains, le pouvoir et/ou l'argent. Pour d'autres, pour nous, un problème d'éthique.

Linda SARFATI (Marseille)


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