Accès spécifique et métapsychologie

Pierre Cristofari
Retour au sommaire - BIPP n° 42 - Novembre 2005

De façon un peu grandiloquente, on dira que le SNPP était dans le sens de l’Histoire. L’accès spécifique pour la psychiatrie, dont la nécessité allait de soi, ne nous met pas, comme on l’a dit à tort, en marge de la médecine. Il nous met au contraire en plein dedans. Le psychiatre, comme le médecin généraliste, est un médecin qu’on consulte en première intention quand on se sent mal. Est-ce dire qu’il est à part des autres médecins spécialistes ? Sans doute. Qu’il est à part d’une technicisation croissante, dérapante, cartésienne ? Sûrement. Les batteries de tests et d’examens complémentaires sont en psychiatrie d’une modeste utilité. Or, à tous points de vue, c’est dans ce registre de la technicité que sont confinés la plupart des spécialistes. Cette technicité, pourtant, ne peut se concevoir que comme le prolongement de l’interrogatoire, de l’examen, du colloque singulier, de l’acte clinique. Un examen paraclinique qui n’est pas sous-tendu par un examen clinique a un sens en santé publique, il n’en a aucun en médecine de la personne. On peut décider tel test, tel dépistage, telle réponse à l’intention de telle partie de la population et améliorer ainsi significativement la santé de la population concernée ; on peut même affirmer de façon fort logique que cette réponse, améliorant la santé d’une partie de la population, améliore la santé de l’ensemble de la population. C’est une tout autre approche que celle de la médecine générale, qui aborde le sujet souffrant à partir d’une unicité irréductible aux cohortes des statisticiens, l’argument de fréquence n’étant plus, en face d‘un patient, qu’un argument parmi d’autres - alors qu’il est, par essence, le plus important de tous en santé publique.

Dans la position de bon sens qui met sur le même plan le recours au médecin généraliste et au psychiatre, il y a plus, beaucoup plus, qu’un compromis administratif. Il y a l’affirmation de l’unicité du sujet, il y a l’idée que quelqu’un qui souffre essaie d’exprimer sa souffrance comme il peut, avec le langage dont il dispose et qu’il essaie, avant tout, de se faire entendre. Cet accès spécifique doit être entendu comme un refus de morcellement du sujet, comme un refus de la dualité corps-esprit : quels que soient les symptômes d’appel, c’est un médecin que le sujet qui souffre va voir. Mieux, c’est celui qu’il va voir qui est mis en position de médecin. La liberté de cet accès ne dit pas, pas du tout, qu’il y a des médecins pour le corps et des médecins pour l’esprit ; bien au contraire, il laisse flotter la demande qu’exprime un patient avec ses symptômes, lui donnant la possibilité de la reformuler.

Voici un rappel utile de l’unicité du sujet : retour à une pensée archaïque ? Certainement. Au sens de la pensée archaïque (en termes de psychopathologie), exprime sûrement plus de vérité du sujet souffrant, que bien des élaborations ultérieures.
Le cartésianisme, avec son cortège de dogmes, avec le psychologisme qui en découle, n’a pas apporté grand-chose à la psychiatrie. Peut-être Descartes n’était-il pas plus cartésien que Lacan n’était lacanien, et ce n’est pas faire le procès d’une œuvre que de remarquer que beaucoup de paroles découlant de cette œuvre n’ont guère apporté à l’art de soigner.
Curieusement, anecdotiquement peut-être, cet épisode conventionnel, rappelant que la psychiatrie est du côté de la médecine générale, récuse le morcellement de la personne humaine. Il nous invite à un regard plus humaniste sur la médecine, s’appuyant sur une philosophie médicale, plutôt que sur une métapsychologie médico-administrative paternaliste et bébête.

Pierre CRISTOFARI
Hyères


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