Unis vers... s'y taire

Pierre Coërchon
Retour au sommaire - BIPP n° 42 - Novembre 2005

Septembre 2005

Tous unis vers… quelque chose, dont il sera ici tenté l’explicitation… et s’y taire, c’est-à-dire fermer sa trappe, puis me permettrai-je d’ajouter (mais tout de même hors du titre)… s’y laisser retourner.

En ces temps où la psychiatrie est aussi mise à mal tandis que le malaise dans la civilisation et de fait la demande à l’adresse d’un supposé spécialiste du mental ne cesse de croître, nous nous retrouvons devant un paradoxe où l’on (cette figure énigmatique du « on ») ne s’y retrouve plus. Perdu, on ne sait plus où donner de la tête et on ne sait plus sur ou plutôt avec qui ou quoi compter. Il s’agit en effet, au grand dam de tous, d’une affaire comptable impliquant donc, comme toute comptabilité, des conséquences déterminantes sur le plan du lien social. Or, un médecin n’a pas à se défendre et espérer échapper à la logique économique. Son engagement professionnel le convoque à en rendre compte de la place qui détermine sa légitimité, d’autant plus en cette période d’indistinction, de suspicion généralisée et de discrédit. S’il nous prenait de vouloir coloriser l’affaire aux tons et à la mode de l’actualité, nous pourrions bien faire remarquer que c’est à s’intégrer à une certaine éco-logie, soit une logique de tri et de traitement du déchet, que le psychiatre se trouve invité, alors que d’autres se chargent de la récupération.

Nous avons donc à présent urgence et obligation à élaborer une analyse logique de la situation.

Dans une perspective qui viserait à nous désengluer des références imaginaires spectaculaires si prégnantes aujourd’hui, il nous apparaît difficile de faire ici l’économie d’un outil lacanien majeur, d’une boussole efficace quand on la perd : les mathèmes tétraédriques des quatre (voire plus) discours organisateurs du lien social isolés par Lacan.

Premier point, force est de constater la position mal commode de la psychiatrie depuis sa naissance somme toute encore assez récente à l’intérieur de la Médecine. Dilemme originaire qui prend à la fois ses ordres du discours de maîtrise médicale, mais qui dans le même temps s’en démarque sous le constat des impossibilités ou de la iatrogénie des commandements de maîtrise dans la relation aux patients et sous l’effet de l’exposition (avec tous les dangers qu’elle comporte de réflexion y compris en miroir, de pollution voire d’envahissement…) au discours hystérique d’une part, mais aussi d’autre part aux tentatives d’échappement à l’aliénation intrinsèque de la division du sujet et de toute structure de discours (réserve de prise de partie du fameux courage de l’obsessionnel, déni du prix à payer du pervers qui tient absolument à en profiter, rejet catégorique et condamnation fondamentale de toute ordonnance signifiante du psychotique). Son instabilité fondatrice, mélange explosif ou sédatif, conduit ainsi la Psychiatrie à la plus grande des fragilités en ce qui concerne son ancrage et lui suggère une issue nomadique voire exploratrice souvent inconfortable, mais indubitablement au plus près de l’actualité, visant aussi, comme une intéressante possibilité de liberté désaliénante, à sortir du constat d’échec du rapport entre le discours du Maître et celui de l’hystérique. Semblant de liberté, car la logique structurale de l’économie des discours organisateurs du lien social ne lui laisse finalement que le peu de choix découlant de ses courageux désarrimages initiaux.

Deuxième point : laissons de côté les affres de l’errance pour souhaiter à la Psychiatrie une assise, une adresse, une prospérité pourquoi pas, et même une patrimonialité et une transmissibilité en une reproduction naturelle. Quelles autres voies logiques de discours s’ouvrent alors devant elle ? Inutile de signaler que, pour autant qualifiés de psychiatre que nous sommes, embarqués de fait dans l’ivresse vertigineuse de cette aventure exploratrice post-moderne et progressiste, à titre personnel et au plus fort de la tempête, nous nous sommes attachés et nous nous cramponnons toujours à notre boussole lacanienne. Néanmoins ce n’est pas le cas le plus courant et d’autres voies ont ainsi pu massivement se trouver investies ces dernières années. Deux directions ont remporté la palme en un plébiscite quantitativement massif en Psychiatrie dans le dernier quart de siècle. Deux discours qui, main dans la main, et d’une façon avantageuse, se sont développés en une parfaite alliance d’objectif et peut-être même une complétude de rapport pour un certain biais. Qui pourrait, en effet, nier le franc et massif succès d’audience des discours alliés universitaire et capitaliste ? Dans le champ médical, le discours universitaire a sans nul doute pris la main sur le système de transmission du Maître à l’élève. Puis, nous avons pu constater en un second temps une union de l’Université au discours capitaliste par le biais de l’industrie qu’elle soit pharmaceutique, technique ou d’imagerie. Nous pouvons même nous demander si de cette union, celle de l’impératif de savoir sur l’objet et celle de l’impératif du sujet à la production de cet objet, ne sortirait pas le fameux objet hybride technologique utilitariste si prisé actuellement et dont toute remise en cause s’avérerait d’ailleurs vaine.

Mais alors, d’où pourrait bien venir cet accord si cordial de dialogue logique de ces deux discours universitaire et capitaliste ?

C’est le troisième point que je me propose d’avancer ici et qui, s’il s’avère valide, devrait nous mener à la logique finale du retournement. En effet, quel est le point qui finalement ne fait pas conflit entre le discours universitaire et le discours capitaliste ? À l’examen des mathèmes proposés par Jacques Lacan, la complicité de nos deux compères pourrait bien résider dans le fait que ces deux discours courent vers le même objectif en vérité à savoir le signifiant maître. C’est alors, à l’issue de cette révolution scientifico-marchande, qu’a beau jeu le maître de cueillir et retourner nos deux complices en les renvoyant à leur impuissance, car quant à lui maître, le signifiant maître, il n’a jamais pensé courir derrière, mais l’a placé dès l’origine comme promoteur de son discours, semblant certes, mais toujours d’une efficacité redoutable et hypnotique dans la fascination qu’il exerce.

Aurions-nous d’autres possibilités, mis à part bien sûr la désimplication dans un manquement à l’acte qui nous ferait nous retirer du jeu, le déni structural visant à piquer la jouissance ou la folie rejetante d’une exception nominative ?

Chercheurs ou trouveurs ?

Pierre COËRCHON
Clermont-Ferrand


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