Point d'étape
C’est quoi la différence entre un pédopsychiatre et un psychiatre ? me demandait un collègue dans un colloque.
La seule chose qui me venait à l’esprit c’est que le psychiatre avait affaire avec l’infantile de l’adulte et le pédopsychiatre avec l’infans dans la réalité.
Mais au fond était-ce si clair que cela, qui plus est de nos jours, où l’infans servait de réceptacle à des dépôts d’infantile inélaborés de la part de son entourage et se trouvait bien souvent mis à mal pour en faire quelque chose, qui lui serve structurellement et dans sa croissance, dans un contexte culturel - mais peut-on parler de culture ? - délivrant du traumatique et de la cellule de crise, dans un malaise des institutions garde-fou qu’étaient auparavant la justice, l’enseignement et la médecine ?
“Docteur mon fils se touche, est-ce que vous pouvez vérifier si il a été abusé ?” : médicalisation de l’autoérotisme d’un enfant en phase œdipienne, confusion des pulsions partielles et des théories sexuelles infantiles ou de la curiosité sexuelle infantile avec une effraction de la sexualité phallique parentale… abus incestueux, voire crimes sexuels.
Car c’est plus souvent qu’avant que le traumatique sexuel fait irruption dans la consultation pédopsychiatrique, avec une demande procédurière sous-jacente. Qui de nous n’est pas confronté à des demandes de consultations pour vérifier des suspicions d’abus sexuels lors de l’exercice des droits de garde d’un des parents… Qui de nous n’est pas tout autant mis en demeure de traiter les effets
de barbarie sexuelle sur des enfants, pour lesquels toute curiosité devient du traumatique mortifère et marqué à vif ?
Le climat sociétal sent parfois plus qu’à l’ordinaire la violence, la crudité, à travers nos consultations, n’épargnant dans ses messages mondialisés ni les enfants ni les adultes. Entre cellule de crise et psychologisation à tous crins, entre éducation y compris sexuelle, et positions phobiques avec ses nouveaux retranchements défensifs que représentent le monde virtuel, et internet, sommes-nous confrontés à un “bug” de la perversion sexuelle polymorphe infantile, c’est-à-dire à une pseudoérotisation de la sexualité désexualisée ?
Freud définit dans les trois essais sur la théorie sexuelle, la pulsion comme “le représentant psychique d’une source continue d’excitation provenant de l’intérieur de l’organisme, différenciée de l’excitation extérieure et discontinue”. Organiser la pulsion suppose donc un certain travail psychique, et chez l’enfant en particulier cela suppose que des repères pare-excitants puissent lui être offerts par son entourage parental, en fonction de son âge c’est-à-dire en fonction de son degré de maturité physique et psychique mais aussi par la culture, le temps qu’il puisse l’organiser psychiquement lui-même.
Nous constatons de plus en plus souvent des enfants “babysittés” par la télévision, éduqués à travers le monde virtuel des écrans de tout poil, en dehors de toute relation humaine, livrés à une excitation pulsionnelle qui n’est plus relayée par une pare-excitation et une contenance relationnelle parentale.
Que l’excitation, la pulsion soit enracinée dans le vivant et que de la tension qu’elle procure entre le besoin réveillé en interne et le manque de sa satisfaction réelle soit à l’origine du désir, et donc au cœur de la vie, est une chose, mais les enfants que nous recevons en consultation sont soumis soit à des programmes télévisés, profondément seuls pour en transformer la teneur excitatoire en du pulsionnel intégrable psychiquement, soit assommés de discours explicatifs des dangers d’ordre sexuel du monde extérieur, sous le primat de la transparence et de l’information. Confusion du côté des adultes entre transmission et décharge, et laissant les enfants bien en peine d’en faire quelque chose.
Le pédopsychiatre est confronté aux dépôts excitatoires de l’adulte et de la culture chez l’enfant, dans un monde qui confond libertés et initiations, droits et apprentissages, satisfaction et désir, offre d’excitation et travail de la pulsion.
“Privé de soi, privé de ses moyens, on est bien vite privé des autres”. (Hervé Bazin).
Françoise Cointot
Saint-Malo